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“Maurizio Cattelan” Not afraid of love
à la Monnaie de Paris, Paris

du 22 octobre 2016 au 8 janvier 2017



www.monnaiedeparis.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 18 octobre 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Maurizio Cattelan, Him, 2001. Cire, cheveux humains, vêtements, résine polyester, 101 x 41 x 53 cm. Photo : Attilio Maranzano. Courtesy Maurizio Cattelan's Archive.
2/  Maurizio Cattelan, La Nona Ora, 1999. Résine polyester, cheveux naturels, accessoires, pierre, moquette. Dimensions variables selon l'espace. Photo : Zeno Zotti. Courtesy Maurizio Cattelan's Archive.
3/  Maurizio Cattelan, L.O.V.E., 2010. Marbre de Carrare blanc. Vue d’installation Piazza degli Affari, Milan, 2010. Photo : Zeno Zotti. Courtesy Maurizio Cattelan's Archive.

 


2014_Maurizio-Cattelan audio
Interview de Chiara Parisi,
directrice des programmes culturels de la Monnaie de Paris et commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 18 octobre 2016, durée 7'21". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire : Chiara Parisi, directrice des programmes culturels



Dans la lignée des projets artistiques remarquables et remarqués tels que le Concert pour hélicoptères de Stockhausen, Your Name in Lights de John Baldessari ou encore la Chocolate Factory de Paul McCarthy, la Monnaie de Paris accueille cet automne Maurizio Cattelan pour sa plus grande exposition jamais proposée en Europe. Du 22 octobre 2016 au 8 janvier 2017, sous le commissariat de Chiara Parisi. Not Afraid of Love, marque le grand retour de Maurizio Cattelan à la Monnaie de Paris.

Il y a cinq ans, avec All au Guggenheim, exposition-révérence (et référence) pour les uns, suicide artistique génial pour les autres, on pensait que tout avait dit. Une fois n’est pas coutume, avec Maurizio Cattelan, les certitudes sont bousculées, il revient avec une exposition post requiem.

« Cette exposition est vraiment la première, après celle au Guggenheim, qui comporte plus de trois oeuvres de moi dans le même temps : c’est une édition spéciale des choses que j’avais fait avant de me retirer. Disons que c’est une exposition post requiem. Comme dans le nouvelle de Poe, je fais semblant d’être mort, mais je peux encore voir et entendre ce qui se passe autour ».


Cattelan est de retour avec son post-requiem show

Les oeuvres de Maurizio Cattelan ont aujourd’hui largement dépassé l’enthousiasme, la critique ou encore la controverse. Imprimées dans notre rétine collective, elles incarnent pleinement leur époque, elles en sont à la fois la muse et l’interprétation. « Une simple provocation est oubliée en deux jours, une oeuvre réussie durera beaucoup plus longtemps ».

Marqueuses de leur temps, elles ne sont pour autant pas cantonnées à leur époque. L’oeuvre de Maurizio Cattelan dépasse les unités de lieu et d’action pour acquérir en permanence de nouvelles significations permettant ainsi des lectures inédites qui les réactualisent. Les oeuvres choisies pour son nouveau projet à la Monnaie de Paris sont considérées par Cattelan lui-même comme les plus importantes et emblématiques. Dans Not Afraid of Love, nous découvrons, pour la première fois, une vision personnelle de son parcours, une articulation et une mise en dialogue de ces œuvres majeures. Diamétralement opposé à son projet au Guggenheim et, de fait, terriblement complémentaire, l’artiste ne se lance pas ici dans une recherche d’exhaustivité mais dans une quête de sens, dans une narration. L’artiste se livre, à la Monnaie de Paris, à l’exercice du post-requiem et conçoit un parcours unique dans sa carrière, démontrant ainsi comment créer quelque chose de nouveau avec ses oeuvres anciennes, montrer leur caractère vivant, leur capacité à toujours générer une surprise et une fascination. Il démontre ainsi à quel point ses oeuvres constituent autant de déclencheurs pour des histoires individuelles qui viennent varier d’un spectateur à l’autre. Si All disait tout, et dans un génial tour de passe-passe, se libérait de toutes ses oeuvres, Not Afraid of Love, est certainement l’exposition la plus « parlante » jamais conçue par Maurizio Cattelan.

« Mes oeuvres sont moins drôles qu’elles n’y paraissent. On me colle cette étiquette depuis mes débuts, mais je suis beaucoup plus sérieux que l’on croit et j’établis moins de second degré que ce que ma réputation laisse penser. Ce qui a pu ressembler à une blague par le passé paraît aujourd’hui beaucoup plus sérieux ».

Portraits irrévérencieux, caricatures surprenantes ou parfois ludiques, ce qui frappe dans l’oeuvre de Cattelan, c’est l’émotion « physique » qu’elle génère chez chacun d’entre nous. L’éclat de rire se transforme aussi vite en rictus mal assis/mal debout, et ce qui nous avait tétanisé au premier regard nous fait sourire la seconde suivante. L’oeuvre de Cattelan capture et sublime la condition humaine. Ses oeuvres sont un hymne à l'être, à sa fragilité, à ses contradictions, à ses paradoxes, à ses aspects les plus créatifs et à ceux les plus destructeurs. Elles sont aussi une projection de la crise d’identité que nous traversons tous : qui suis-je quand l’individuel devient collectif ?

Lorsqu’elles se rapportent à la mort, c’est Cioran que ses oeuvres convoquent : « Nous ne courons pas vers la mort, nous fuyons la catastrophe dès la naissance, nous nous démenons, rescapés qui essaient de l'oublier. La peur de la mort n'est que la projection dans l'avenir d'une peur qui remonte à notre premier instant ». Cattelan semble se jouer du principe-épitaphe gravé sur la tombe de Duchamp, c'est toujours les autres qui meurent.

C’est au coeur de l’un des plus beaux Palais jouxtant la Seine, la Monnaie de Paris, Manufacture d’Etat millénaire, que Maurizio Cattelan se remet au travail. Sans jamais avoir la prétention ou l’ambition de changer le monde, son oeuvre se définit comme une philosophie de vie, peut-être la seule possible pour l’être jeté dans la « gueule du monde ».

« Lorsque j’étais jeune, j’ai dû me mettre à travailler pour aider ma famille alors que mes amis poursuivaient leurs études. Dès lors, j’ai toujours ressenti le besoin de me soustraire des nécessités financières. Devenir maître de ma situation fut une révolution : je devais absolument tirer le meilleur de chaque minute, et c’est toujours ce que j’essaie de faire ».


Not Afraid of Love - Parcours de l’exposition

Dès l’entrée de l’exposition par l’Escalier d’honneur de la Monnaie de Paris, le visiteur se retrouve au coeur du ring : ce sera l’oeuvre qui se frotte à l’architecture, sublime et monumentale de la Monnaie de Paris. Entre lévitation et potence, en suspension : La Donna Crocefissa et Novecento. Ici se joue l’essentiel : la férocité du monde et la légèreté avec laquelle nous pouvons parfois nous en accommoder.

Le premier paradoxe de l’exposition nous questionne sur l’intention de l’artiste : a-t-il figé ces sculptures dans leur ascension ou les laisse-t-il pendre ainsi ? Que vivent réellement ces personnages, l’extase ou la souffrance ?

En passant la grande porte qui donne sur le Vestibule, menant autrefois au Musée monétaire, deux chiens montent la garde et surveillent un poussin (Senza Titolo) . Ensemble, ils illustrent l’idée baroque selon laquelle la vitalité renvoie également à la précarité de la vie, de sa nature fragile et éphémère.

Assis au bord du vide dans le Salon d’honneur, Tamburino et ses percussions appellent le visiteur à entrer et découvrir une des pièces magistrales de Cattelan : La Nona Ora. Cette œuvre majeure du XXe siècle s’offre ici dans une grandiose mise en scène : la figure du pape Jean-Paul II, porteur de la croix, face au poids du monde se retrouve foudroyé par une météorite, force naturelle et absurde tombée du ciel.

En pénétrant dans l’Enfilade des salons, l’oeil du spectateur vient se focaliser sur une silhouette agenouillée face à un mur, celui de la dernière salle. Ce n’est qu’au terme de son parcours dans les salons du bord de Seine, après des va-et-vient constants, entre surprise et recueillement, que le visiteur s’approche avec la plus grande intensité de l’oeuvre Him. Vu de dos : un enfant en train de se recueillir dans une petite salle, seul ; de face : la figure du Mal. « L’art ne provient pas tant de l’inspiration que des obsessions et craintes auxquelles nous sommes confrontées chaque jour ».

Cette exposition offre aux connaisseurs un nouveau regard sur l’oeuvre de Cattelan et permet aux néophytes de découvrir un artiste « marqueur » de ce début de XXIème siècle. On y retrouve les grands questionnements de l’humanité : l’amour, le double, le mal, le vide, la mémoire, la mort, le paradoxe, l’infini…

Ce projet à la Monnaie de Paris permet également à Maurizio Cattelan de jouer avec ses oeuvres, de les confronter, de les faire évoluer, c’est le cas avec l’iconique L.o.v.e, (dont la version en marbre de 4 mètres de haut fait face à la Bourse de Milan) sur laquelle un avatar de l’artiste Mini-Me vient se poser.

Promulguant avec force cette affirmation du soi, Maurizio Cattelan installe dans l’enfilade une galerie de portraits jouant de sa personnalité multiple, en revenant tant sur son art de la fuite que de l’intrusion. Sa surprenante tête jaillissant du sol (Senza Titolo), sa personnalité facétieuse, son enfance dont il déclare « La pire période de mon existence. Les décisions sont toujours prises par quelqu'un d'autre : parents, professeurs… Je n'en garde aucun bon souvenir ». Charlie don’t surf ou Senza Titolo qui représente un petit pantin aux traits de Cattelan habillé d’une veste en feutre, pieds et bras ballants, l’air déconfit et accroché sur un mur en donnent une image poignante. Cette « autobiographie sculptée » va même au-delà, envisageant la vie jusqu’à la dernière heure avec We, le double autoportrait de l’artiste, ou avec l’enfant pendu et toujours vivant comme dans son célèbre Pinocchio de Collodi.

Au sein de ce parcours, All, neuf gisants sculptés dans du marbre de Carrare jonchant le sol entier de la salle engagent une réflexion sur la mort qui convoque autant l’histoire de l’art - renvoyant aux gisants royaux de nos églises gothiques ou à celles baroques de Naples -qu’à notre Histoire. Point d’orgue de l’épreuve de la compassion du visiteur, Gérard, se cachant sous une couverture. Au-dessus, le dominant majestueusement, un peu comme un trophée de chasse inversé, Senza Titolo, cheval dont la tête enfouie dans le mur, raconte une certaine fragilité de la toute-puissance.

On en revient alors à la structure essentielle du travail de Cattelan, ses oeuvres ont toujours une emprise directe avec la vie, avec « notre » vie. C’est là que réside la puissance de son travail, il parle au plus grand nombre, il touche tout le monde car ses oeuvres parlent de nous. En cela, ses oeuvres constituent une catharsis tant des peurs de l’artiste que du genre humain dans son ensemble. « Ce qui est intéressant, c’est la manière dont on regarde les oeuvres, le pouvoir qu’on leur donne ».

Ceci étant dit, les oeuvres de Cattelan ne sont jamais revendicatrices, l’artiste refuse de prendre une position morale et surtout idéologique, préférant laisser chaque visiteur dans une confrontation directe avec l’art dans sa complexité et ses contradictions. Et pour éviter que l’exposition ne devienne trop sérieuse, dans une pure tradition de Comedia dell’arte, Cattelan n’hésite pas à créer une nouvelle ouverture qui peut surgir à tout moment selon la volonté de chaque visiteur.

« Not Afraid of Love est une contradiction dans les termes : l’amour pourrait être la solution de tous les problèmes dans le monde mais il n’y a pas d’amour dans l’exposition. Le manque d’amour, ou la quête d’amour, est ce qui meut chaque créature, et la cause de toutes les guerres, probablement ».

À 56 ans, Maurizio Cattelan n’a presque plus peur de rien, ni de l’amour, ni de la mort, ni de se raconter un peu plus. Lui qui a toujours été maître de la pirouette, de la disparition, de la fuite se livre avec Not Afraid of Love.

« Je pense que le rire et la mort sont étroitement liés : la comédie est la réaction humaine par excellence à la peur de la mort. C’est probablement lié au fait que nous sommes les seuls animaux qui savons que nous devons mourir. Les autres animaux ne le savent pas jusqu'au moment où ils meurent. Avant, ils sont incapables d'articuler quelque chose comme cette phrase – « nous sommes tous mortels » - et en rire ».

Même pas peur…