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“Art et Liberté” Rupture, guerre et surréalisme en Égypte (1938 -1948)
au Centre Pompidou, Paris

du 19 octobre 2016 au 16 février 2017



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation de l'exposition, le 19 octobre 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Ida Kar, Nature morte, c.1940. Papier au gélatino-bromure d’argent - 23,40 X 22,80 cm. National Portrait of Gallery, Londres.
2/  Rateb Seddik, Sans titre, c. 1940. Huile sur bois - 120 x 220 cm. Musée Rateb Seddik, Le Caire.
3/  Georges Henein, Portrait Surréaliste de Gulperie Efflatoun, 1945. Papier argentique sur gelatine - 6,40 x 8,60 cm. Fondation Arabe pour l’Image, Beyrouth.

 


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Interview de Sam Bardaouil et Till Fellrath, commissaires de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 19 octobre 2016, durée 15'23". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : Sam Bardaouil et Till Fellrath, Art Reoriented



Art et Liberté : Rupture, Guerre et Surréalisme en Égypte (1938 – 1948) est la première exposition consacrée au groupe Art et Liberté ( jama’at al-fann wa al-hurriyyah), qui a rassemblé autour de Georges Henein une constellation d’artistes et écrivains résidant au Caire dans les années 1930 et 1940.

Fondé le 22 décembre 1938 à l’occasion de la publication du manifeste Vive l’art dégénéré, le groupe Art et Liberté a fourni à une jeune génération d’artistes, d’intellectuels et d’activistes une plate-forme hétérogène propice à de nombreuses réformes culturelles et politiques. Les membres du groupe ont joué un rôle actif au sein d’un réseau international dynamique d’intellectuels et d’artistes liés à la mouvance surréaliste. À l’aube de la Seconde Guerre mondiale et dans une Égypte sous domination coloniale britannique, le groupe Art et Liberté s’est inscrit dans un projet culturel et politique international en défiant le fascisme, le nationalisme et le colonialisme. Questionnant le surréalisme, il a tenté de construire un langage littéraire et pictural contemporain engagé au niveau mondial autant qu’enraciné dans les préoccupations artistiques et politiques locales.

Sur invitation de Catherine David, directrice adjointe du musée national d’art moderne en charge de la recherche et de la mondialisation, les commissaires indépendants Sam Bardaouil et Till Fellrath / Art Reoriented, ont rassemblé les résultats de cinq années de recherches approfondies et de centaines d’entretiens menés sur le terrain en Égypte et dans de nombreux autres pays.

Ils ont sélectionné près de 130 tableaux, oeuvres sur papier et photographies datant de la fin des années 1920 au début des années 1950, ainsi qu’un grand nombre de documents d’archives (photographies historiques, séquences de films et premiers manuscrits jamais exposés auparavant). Ces oeuvres d’art pour beaucoup inédites, ont été empruntées à plus d’une cinquantaine de collections publiques et privées en provenance d’Égypte et de onze autres pays.

En réunissant pour la première fois ces oeuvres et ce corpus essentiels à la compréhension du paradigme surréaliste dans toute sa complexité, cette exposition historique offre une vision globale du groupe Art et Liberté, dont l’une des figures de proue demeure l’écrivain, poète et journaliste égyptien Georges Henein (1914-1973).

Cette manifestation s’inscrit dans le cadre de différents projets que le Centre Pompidou a souhaité organiser en parallèle à la célébration de la mort d’André Breton (1896-1966).

À la suite du Centre Pompidou à Paris, l’exposition sera présentée au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia de Madrid, à la Kunstsammlung K21 de Düsseldorf ainsi qu’à Tate Liverpool entre 2017 et 2018.

Parallèlement à l’exposition, un colloque international intitulé Art et Liberté (1938-1948) et modernité en Égypte : au-delà du discours postcolonial se tiendra le 25 novembre 2016 au Centre Pompidou en collaboration avec l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) et un catalogue abondamment illustré de 256 pages, sera publié par les éditions SKIRA, en coédition avec les éditions du Centre Pompidou. Quatre autres versions seront éditées en anglais, allemand, espagnol et arabe. L’ouvrage constituera la première publication de références visuelles de ce moment du surréalisme en Égypte.




Parcours de l’exposition


Chapitre I « La révolution permanente »

Groupe Art et Liberté, La séance continue, 1945

Le groupe Art et Liberté apparut sur la scène artistique cairote alors qu’y existait déjà une véritable pratique de l’exposition. Celle-ci se manifestait chaque année par l’organisation du salon du Caire, événement organisé par la très conservatrice Société des amis de l’art qui bénéficiait du soutien de l’État égyptien. L’exposition de 1927 attira par exemple jusqu’à 55 000 visiteurs. Fortement empreintes de l’idéologie nationaliste, ces manifestations instaurèrent une hiérarchisation des artistes selon leur nationalité. Dans la droite ligne du surréalisme, Art et Liberté refusa cette confusion entre art et politique, tout autant que l’idée d’un art qui se contenterait de ne reproduire que les mêmes allégories et métaphores artistiques sans formuler de nouvelles propositions. Quelques-uns des écrits les plus controversés du groupe Art et Liberté critiquèrent ainsi vivement les artistes pratiquant cette forme d’art et qui incarnaient aux yeux du groupe une norme à renverser.


Chapitre II « La voix des canons »
Catalogue de la première exposition du groupe Art et Liberté, 1940

Les revendications et aspirations d’Art et Liberté furent indissociables de la montée des idéologies fascistes qui, au-delà de leur emprise en Europe, étaient par ailleurs en plein essor en Égypte depuis le début des années 1930. Bien que l’Égypte ne fût pas en première ligne de la guerre, son statut de colonie britannique l’y impliquait de facto. Le pays fut obligé de mettre ses ressources nationales ainsi que toutes ses infrastructures à disposition des Britanniques. En 1941, un bataillon composé de 140 000 soldats tenait garnison au Caire tandis que les troupes armées et les chars d’assaut déferlaient dans les rues de la ville. Le fervent engagement dans la guerre et les ravages de celle-ci furent les leitmotivs de tout le spectre artistique et littéraire d’Art et Liberté, notamment de la caricature et de la littérature. Les représentations surréalistes des champs de bataille et des dégâts causés reflètent ainsi l’état d’anxiété suscité par cette guerre dévastatrice. Certains membres d’Art et Liberté ayant perdu des proches ou subi des déplacements forcés, méditent sur leurs expériences en se servant de symboles de mort et d’images obsédantes de l’Apocalypse.


Chapitre III « Les corps fragmentés »
Kamel el-Telmisany, Don Quichotte numéro 12, février 1940

Au moment où apparut le groupe Art et Liberté, Le Caire était une ville marquée par de profondes inégalités économiques. L’essentiel des richesses était détenu par quelques propriétaires terriens et hommes d’affaire, tandis que plus de la moitié de la population, en majorité des travailleurs ruraux et des ouvriers, vivait dans la misère. Art et Liberté imputait cette injuste répartition des ressources principalement à la bourgeoisie qui entravait l’évolution des classes défavorisées. La révolution était donc un outil nécessaire à la destruction d’une mentalité bourgeoise dominante tant sur les plans économiques, sociaux et artistiques. La fragmentation de la figure humaine fut ainsi pour Art et Liberté un outil surréaliste de lutte contre le symbolisme et le naturalisme – qui idéalisait jusqu’aux corps les plus décharnés – défendus par la bourgeoisie. Le groupe choisit quant à lui de représenter des figures déformées, démembrées ou distordues, illustrant sans détours les souffrances humaines causées par la grande précarité économique qui touchait la société. Le motif du corps « fragmenté » ou « émacié » tel qu’a pu le qualifier le groupe Art et Liberté devint ainsi le lieu d’une révolte aussi bien sociale qu’artistique. Au sein d’oeuvres de tout format, Art et Liberté dépeignit la douleur de l’Homme placé au coeur d’un décor hostile, qui n’était pas sans faire écho aux images des mutilés de guerre, de batailles et de champs de ruines qui circulaient durant la Seconde Guerre mondiale.


Chapitre IV « Le Réalisme Subjectif »
Ramsès Younane, Le but de l’artiste contemporain, 1938

Art et Liberté trouvait dans le surréalisme tant un appel à la révolution sociale et morale qu’un mouvement artistique, et requalifia le mouvement de « réalisme subjectif ». En 1938, le peintre et principal théoricien d’Art et Liberté, Ramsès Younane, identifia le surréalisme comme un mouvement en crise dont il distingua deux types. Le premier, dont les compositions étudiées de Dalí et Magritte sont particulièrement représentatives, était considéré comme trop prémédité et bridant toute imagination. Le second, caractérisé par l’écriture et le dessin automatiques, jugé trop autocentré et trop peu tourné vers l’émancipation collective. Younane appela au renouvellement du mouvement en le requalifiant de « réalisme subjectif », espace où les artistes introduisirent des symboles puisant aux sources du subconscient, démarche que Kamel el-Telmisany – également théoricien et artiste d’Art et Liberté – qualifia d’« Art libre ». Les membres du groupe employaient indifféremment ces deux termes tout en cherchant à développer un langage visuel distinct. Cette nouvelle « mythologie collective », telle que décrite par Ramsès Younane, exprimait la responsabilité de l’artiste au sein de sa propre société.


Chapitre V « La femme de la ville »
Georges Henein, Déraisons d’être, 1938

Parmi les principaux mécènes et artistes d’Art et Liberté, on compte plusieurs femmes, dont Amy Nimr, Marie Cavadia et Lee Miller. Mettant à contribution leurs réseaux à travers le monde, elles jouèrent un rôle fondamental dans l’introduction du surréalisme en Égypte. Grâce à l’activité intense des galeries d’art qu’elles accueillaient chez elles, elles mirent en relation plusieurs artistes d’Art et Liberté qu’elles soutenaient également. Le rôle actif que ces pionnières eurent dans la formation du groupe contribua à renforcer la position féministe d’ Art et Liberté, particulièrement notable dans un grand nombre de leurs publications, dont al-Tatawwur et Don Quichotte. Dans le monde des arts visuels, et ce en temps de guerre où l’extrême pauvreté et l’afflux massif de soldats incitèrent un très grand nombre de femmes à la prostitution, certains sujet furent particulièrement abordés. La prostituée en souffrance, ou la « femme de la ville », comme l’écrivait Georges Henein dans son poème « Saint Louis Blues », est un thème exploré dans un grand nombre de peintures d’ Art et Liberté. Le groupe exposait la souffrance des prostituées en les représentant seules dans des décors surréalistes, le corps mutilé et déformé. Certaines d’entre elles étaient perforées de clous, tandis que d’autres étaient lacérées par des arbres aux allures monstrueuses. À la différence de certaines pratiques surréalistes où le regard masculin prédominant représentait le corps féminin comme un objet sexuel, les membres du groupe critiquaient l’érotisation de la femme. Ils mettaient en valeur la souffrance des prostituées, les dépeignant comme des objets usagés par la vie et ravagés par la consommation masculine.


Chapitre VI Le groupe de l’art contemporain : « Un Art Égyptien »
Abdel Hadi el-Gazzar, Loisirs n° 21, printemps 1950

En 1946, certains membres d’Art et Liberté cofondèrent un collectif indépendant sous le nom de Groupe de l’art contemporain, actif jusqu’au milieu des années 1950. Certains membres du groupe, comme Abdel Hadi el-Gazzar, Hamed Nada et Samir Rafi, allaient devenir des figures de proue du modernisme égyptien. Le Groupe de l’art contemporain dévia progressivement du surréalisme en préférant l’emploi d’un langage plus local, vernaculaire, nourri d’un répertoire symboliste emprunté à la tradition populaire. De la fin des années 1940 au début des années 1960, la question d’un art authentiquement égyptien devint, pour les artistes comme pour les intellectuels, une préoccupation majeure renforcée par la Révolution de 1952 et son projet nationaliste. Le Groupe de l’art contemporain fut peu à peu identifié par le public comme le représentant de cet art véritablement égyptien, position critiquée par le groupe Art et Liberté – séparé depuis 1948 – qui y vit une nouvelle forme de nationalisme.


Chapitre VII « La photo surréaliste »
Ahmed Rassim, Le Progrès égyptien, 7 juin 1945

À partir du milieu des années 1930, des photographes d’Art et Liberté, comme Ida Kar, Hassia, Ramzi Zolqomah, Khorshid et Van Leo employèrent différentes techniques, telles la solarisation et le photomontage devenus indissociables de la photographie surréaliste. Lee Miller, qui vécut au Caire de 1933 à 1939, fut associée au groupe Art et Liberté et produisit au cours de cette période quelquesunes de ses photographies surréalistes les plus importantes. Le groupe explora diverses formes de composition sur le mode de l’absurde, s’intéressant plus particulièrement à la déconstruction de la forme humaine et à l’aliénation du familier. À l’instar du travail d’autres photographes surréalistes qui mobilisèrent des masques et objets primitifs afin de critiquer la vision coloniale et euro-centrée du monde, Art et Liberté utilisa la photographie pour condamner la récupération nationaliste de l’Égypte des Pharaons. Ses membres questionnèrent la perception familière des monuments et des objets anciens par le spectateur à travers des compositions originales et des juxtapositions absurdes.


Chapitre VIII Georges Henein

Le poète surréaliste et provocateur Georges Henein eut un rôle fondamental dans la création du groupe Art et Liberté. Né au Caire en 1914 d’un père diplomate égyptien et d’une mère égypto-italienne antifasciste, Henein vécut très tôt dans un environnement cosmopolite, passant toute son enfance entre l’Égypte, l’Italie, l’Espagne et la France. Il commença à introduire les idées surréalistes en Égypte dès 1934 par le biais de plusieurs publications, avant même de rencontrer André Breton à Paris deux ans plus tard. En 1936, Henein fît partie des signataires de La Vérité sur le procès de Moscou, une déclaration en réponse aux « Procès de Moscou » instruits contre Trotsky par les communistes staliniens. Il marqua par la suite la naissance quasi-officielle du groupe Art et Liberté en tenant la conférence Bilan du mouvement surréaliste au Caire le 4 février 1937. Le 22 décembre 1938 s’ensuivit la publication du manifeste fondateur du groupe, Vive l’art dégénéré, dont Georges Henein fut le principal contributeur. En 1947, André Breton lui confia le secrétariat de CAUSE, une coalition internationale pour des surréalistes d’après-guerre. La fidélité de Georges Henein envers André Breton prit fin en 1948 en raison de divergences de points de vue de plus en plus fréquentes. Cette rupture, accompagnée de difficultés croissantes d’ordre politique au niveau local, conduisit à la dissolution d’Art et Liberté.


Chapitre IX « L’écriture par l’image »
Albert Cossery, La Semaine Égyptienne, 17 mars 1941

L’un des traits distinctifs d’Art et Liberté est l’étroite corrélation entre les oeuvres plastiques et littéraires du groupe. Plusieurs textes de Georges Henein reposaient en effet sur les images tirées des travaux réalisés par plusieurs artistes du groupe, dont Kamel El-Telmisany, Amy Nimr et Mayo. Sa poésie surréaliste engendra quant à elle quelques-unes des oeuvres d’art les plus impressionnantes d’Art et Liberté, dont certaines réalisées par Inji Efflatoun et Ramsès Younane. De même, les portraits poétiques que fit Albert Cossery de la pauvreté constituèrent un motif récurrent pour plusieurs peintres, comme Fouad Kamel, Abdel Hadi el-Gazzar et Robert Medley. Entre 1939 et 1940, le groupe créa trois journaux novateurs : Don Quichotte en français, al-Tatawwur en arabe et le bulletin bilingue Art et Liberté. Du début des années 1940 au milieu des années 1950, Henein dirigea également deux maisons d’édition, Les éditions Masses et La Part du sable, qui diffusèrent les écrits d’auteurs majoritairement francophones, tels qu’Albert Cossery, Edmond Jabès, Mounir Hafez, Yves Bonnefoy, Jean Grenier, Philippe Soupault, Gherasim Luca et Arthur Lundkvist.