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“Déformation professionnelle” article 2025
à la Galerie Paris-Beijing, Paris

du 5 novembre au 21 décembre 2016



www.galerieparisbeijing.com

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition avec Raphaël Denis, le 5 novembre 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Sebastian Wickeroth, Sans Titre, 2016. Technique mixte, Dimensions variables. © Sebastian Wickeroth, Courtesy of Un-spaced Paris.
2/  Gabriel Leger, The Crystal Drill, 2016. Cristal de roche, perceuse, 20,7 x 34,9 cm. © Gabriel Leger, Courtesy of Galerie Sator.
3/  Léa Belooussovitch, The Last Letter of Mrs. Delvaux-Mufu, 2016. Texte imprimé, enveloppes, Dimensions variables. © Léa Belooussovitch, courtesy of Musumeci Contemporary.

 


2025_Deformation audio
Interview de Raphaël Denis, artiste plasticien et commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 5 novembre 2016, durée 9'47". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Un parallélépipède gris s'est crashé dans l'entrée de la galerie, tombé du ciel comme le monolithe extra-terrestre de 2001 l'odyssée de l'espace. L'objet plus imposant qu'une armoire, tenant dans un équilibre précaire bloque le passage, force au détour précautionneux autour des morceaux éparpillés, des brisures et éclats de plâtre et de bois, le revêtement froissé, déchiré. En contrepoint, une brique est plantée dans le sol, tenant sur un coin. La terre cuite s'est plissée sous l'impact, s'est assouplie dans une mollesse chaude et pâteuse, comme la trace d'une intense chaleur lors de l'impact. Les vagues marquant sa surface sont une onde sonore, l'enregistrement du bruit du choc gravé comme l'est le sillon d'un vinyle.

Dans l'espace blanc et silencieux de la galerie tonnent des explosions muettes, rugissent des perceuses, des visseuses, des disqueuses, frappent des marteaux. L'architecture est bricolée, rafistolée: des équerres métalliques retiennent le plafond. Des chevilles oubliées, des clous dispersés dans les coins, des morceaux de ruban adhésif sur les murs sont les stigmates discrets d'un monde pas aussi propre et neuf qu'il n'y parait. Une vieille perceuse lourde à la mèche de cristal, absurde, se tient prête pour un énième emploi, dans ce chantier éternellement inachevé, ce décor de théâtre qu'est l'espace de l'art contemporain.

Des vidéos de bagarres de rues tirées de youtube, où des inconnus explosent de rage, se rouent de coups, se succèdent. Les sous-titres rajoutés racontent avec un humour sombre des histoires de chefs d'ateliers de beaux-arts volant travaux et copines de leurs étudiants, de commissaires d'expositions malhonnêtes, d'artistes arrogants et vindicatifs prêts à toutes les bassesses pour percer, déshumanisés en machines à remplir des dossiers pour salons et subventions. Sur l'écran d'à côté, des hipsters furieux détruisent à la masse une exposition complète, imitant les soldats de l'état islamique réduisant à néant le patrimoine historique de l'humanité.

L'art se fond dans un cycle ininterrompu de production et de destruction, dont l'accélération et la frénésie finit par en gommer l'objet même, le réduisant à une absence, une invisibilité. L'agitation des outils et le fracas de la destruction deviennent ainsi les seules manifestations de la culture.

Un assemblage de planches soutient l'angle des murs comme un étai dérisoire, tenu par une forêt de tubes et de poutrelles métalliques. Cet ouvrage à la fois surdimentionné et frêle affiche avec panache son inutilité, tout en maintenant la pression d'une menace cacophonique d'effondrement. Cette promesse du fracas de sa destruction devient l'œuvre, réduite à un instant hypothétique, un futur probable qui n'aura lieu de toute façon que lorsque le spectateur que nous sommes ne sera pas là pour en être témoin. Au sous-sol, l'atelier de l'artiste se laisse visiter. Sur le bureau, des pinceaux dans un pot, un cendrier, une paire de ciseaux, un cutter, des rouleaux d'adhésif, des petites plantes sont en fait modelés en terre et peints. Le travail de l'artiste devient sa totale identité, engloutissant son habitat, ses outils, jusqu'à son briquet et sa tasse à café. L'individu et l'œuvre se fondent dans une artificialité de décor jusqu'à ce que plus rien ne subsiste de vivant, de mouvant, de sonore. Il ne reste alors de la galerie que le blanc des murs et le silence glaçant de l'absence.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : Raphaël Denis, artiste plasticien



avec Léa Belooussovitch, Justine Bougerol, Dieudonné Cartier, Claude Cattelain, Jerome Cavaliere & Stéphane Déplan, Morgane Fourey, Mathieu Gargam, Elodie Huet, Alexandre Lavet, Gabriel Leger, Maude Maris, Simon Nicaise, Félix Pinquier, Benjamin Sabatier, Mathias Tujague, Roeland Tweelinckx, Président Vertut, Sebastian Wickeroth et Michael Zelehoski.

Nourries par leur expérience de travail et d’observation dans l’univers des galeries et institutions culturelles, les créations proposées par les artistes réunis dans Déformation Professionnelle constituent autant de digressions sur le monde de l’art, les formes et matières de l’exposition, évoquant notamment la construction des oeuvres, leur mise en scène et l’intendance d’une galerie. Elles mettent au premier plan un ensemble de matériaux et un vocabulaire généralement invisibles au spectateur, laissés dans les réserves, évacués lors d’un dernier lissage avant l’ouverture au public ou conservés dans l’intimité de l’atelier.

Plusieurs oeuvres font ainsi directement référence aux outils et consommables employés par les régisseurs chargés de monter et construire physiquement les expositions ; les bleus de protection, les parois mobiles, les rouleaux de scotch, les différents dispositifs d’accrochage et de stockage, mais aussi les traces de peinture ou restes de plâtre deviennent le sujet principal de l’attention, transformés en oeuvres indépendantes, maniés pour eux-mêmes, mimés dans leur apparence ou encore utilisés à contre-emploi et rendus inutilisables, dans des constructions confinant à l’absurde ou au paradoxe comme les clous cloués de Simon Nicaise, les bâtons de colle collés d’Elodie Huet, les équerres soutenant le plafond de Roeland Tweelinckx, la cloison explosée de Sébastien Wickeroth ou la perceuse à foret de cristal de Gabriel Leger.

De l’intérêt pour les rebuts et les matériaux quotidiens d’emballage, de transport ou de protection naissent des jeux formels et installations relevant tantôt de la prouesse architectonique, tantôt du trompe-l’oeil ou de la stratégie poétique. Les différences d’échelle entre les formes spectaculaires ou minuscules que ces éléments standardisés et faciles d’emploi permettent de créer laissent toutefois toujours percevoir le même souci de perfection, la même délicatesse dans la mise en oeuvre. Ainsi des armatures apparemment instables de Claude Cattelain qui forment une installation à l’équilibre parfaitement maîtrisé, des tâches de peinture en porcelaine disposées au sol d’Alexandre Lavet ou encore de la tour interminable de rouleaux de scotch de Benjamin Sabatier.

Des équilibres similaires se retrouvent dans les mystérieuses constructions scénographiques de Maude Maris, élaborées à partir de maquettes constituées de moulages en plâtre, évoquant un monde de formes en devenir, prêt à s’animer, ou dans l’espace distendu conçu par Justine Bougerol. Le même silence, la même attente et la même tension semblent résonner dans les vues de galeries vidées de leurs oeuvres d’Alexandre Lavet – qui simulent l’état dans lequel les régisseurs les perçoivent avant et après l’exposition – ou émaner des tables de travail à la présentation très soignée de Mathias Tujague et Morgane Fourey, dont les arrangements évoquent des établis parfaitement ordonnés. Conçues comme un autoportrait ou une accumulation de restes, ces installations soulignent la parenté entre l’artiste et l’artisan ; d’autres oeuvres laissent percevoir les liens entre l’artiste et l’ingénieur technicien, comme les manipulations de modules et constructions graphiques du sculpteur Félix Pinquier.

À l’évocation directe de l’aspect pratique et matériel, très standardisé, du montage d’une exposition, s’ajoute celle d’un monde de l’art concurrentiel et des impératifs de séduction qu’il requiert (de la possession d’un espace et de la connaissance précise de collectionneurs jusqu’à l’envoi de centaines d’invitations que peut évoquer la ligne d’enveloppes de Léa Belooussovitch). Un monde aux apparences policées dont la brutalité et la sauvagerie sont clairement démontrées par les hilarantes vidéos de Jérôme Cavaliere et Stéphane Déplan et dont les références fonctionnent comme autant de signes immédiatement reconnaissables, objets de réappropriations et détournements dont certains confinent au fétichisme – ainsi des fragments de néons brisés issus d’une sculpture de François Morellet récupérés par Brice Raphalen ou des motifs de Sol Lewitt repris par l’artiste new-yorkais Michael Zelehoski. Aux rivalités artistiques s’ajoutent à l’occasion l’irruption de véritables guerres, de compromissions et d’arrangements, comme le rappelle Dieudonné Cartier avec son évocation du « don » de Jacques Chirac au Musée de Bamako d’une statuette volée qu’on lui avait offerte – ou encore Président Vertut avec sa vidéo minutieusement calquée sur les images de la destruction des oeuvres du musée de Mossoul par les sbires de l’État islamique, dans laquelle ces derniers sont remplacés par des hipsters fanatisés, saccageant une exposition d’art contemporain.

Raphaël Denis, Paris, Septembre 2016