contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Pascal” le coeur et la raison
à la BnF François Mitterrand, Paris

du 8 novembre 2016 au 29 janvier 2017



www.bnf.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 7 novembre 2016.

2026_Pascal2026_Pascal2026_Pascal

Légendes de gauche à droite :
1/  Jean Domat, portrait de Pascal, entre 1677 et 1681. BnF, Réserve des livres rares.
2/  Blaise Pascal, Traité du triangle arithmétique. Paris, 1665. BnF, Réserve des livres rares.
3/  Blaise Pascal, Pensées de M. Pascal sur la religion, et sur quelques autres sujets, qui ont esté trouvées après sa mort parmy ses papiers. Paris, 1669. BnF, Réserve des livres rares.

 


2026_Pascal audio
Interview de Jean-Marc Chatelain, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 7 novembre 2016, durée 13'55". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat : Jean-Marc Chatelain, directeur de la Réserve des livres rares, BnF



À une époque où le nom de Blaise Pascal demeure connu de tous mais où son oeuvre est très inégalement pratiquée, l’exposition que lui consacre la Bibliothèque nationale de France rappelle la puissance et la modernité d’un penseur dont la réflexion sur les droits, les pouvoirs, la conduite et les limites de la raison n’a rien perdu de son actualité. Quelque 200 pièces permettent de redécouvrir un homme de génie, tout à la fois mathématicien, physicien, inventeur, philosophe, moraliste et auteur spirituel. Au coeur de cette présentation d’ensemble figure le manuscrit autographe des Pensées : l’exposition offre une occasion exceptionnelle de voir ce volume aussi célèbre que rarement vu, qui compte au nombre des plus précieux trésors de la BnF.

L’un des points clés de la pensée pascalienne tient à la distinction des « ordres » : celui des corps, réglé par les déterminations de la coutume et de la nature ; celui des esprits, placé sous la juridiction de la raison ; celui du coeur, qui obéit à la loi de l’amour. Cette distinction sert de fil conducteur à l’exposition, dans le désir que la présentation de l’oeuvre offre aussi un accès au dynamisme d’ensemble qui l’anime de l’intérieur.

Selon les trois parties dictées par ces « ordres » pascaliens, le parcours se déroule dans une suite globalement chronologique : il replace d’abord l’homme Pascal dans les lieux et milieux qu’il a connus et fréquentés.

Il explore ensuite les aspects que revêt chez Pascal le travail de la raison, sous les deux aspects de l’oeuvre du savant, qui l’impose comme une figure majeure dans la révolution scientifique du XVIIe siècle, et de l’oeuvre rhétorique du redoutable polémiste, auteur des Provinciales.

Il considère enfin le dépassement de l’ordre de l’esprit dans celui du coeur en présentant le projet des Pensées, son développement et l’histoire de ses premières éditions, à travers laquelle se manifeste le destin paradoxal d’un livre inachevé devenu oeuvre majeure du patrimoine intellectuel de l’humanité.

Dans chacun de ces moments, l’exposition s’appuie sur des documents remarquables issus des collections de la BnF, parmi lesquels certaines éditions scientifiques très rares, comme l’Essai pour les coniques de 1640, premier texte publié par Pascal alors qu’il n’avait que 17 ans, le manuscrit autographe des Pensées ainsi que ses premières copies et son premier essai d’édition. L’exposition bénéficie aussi de prêts exceptionnels, comme l’exemplaire de la machine arithmétique que Pascal offrit au chancelier Séguier (Musée des Arts et métiers) ou le masque mortuaire qu’on réalisa à sa mort (Bibliothèque de la Société de Port-Royal).

En présentant ainsi les pièces originales par lesquelles l’oeuvre de Pascal s’est constituée, l’exposition permet de replacer celle-ci dans son contexte historique et d’éclairer par là sa compréhension. Elle est aussi une invitation à s’interroger sur le paradoxe d’une pensée qui est profondément tributaire de son histoire sans lui être jamais réductible, s’en échappant toujours pour acquérir une portée universelle : celle qui rend Pascal toujours présent.




Parcours de l’exposition

Pour permettre, à partir de la présentation des pièces originales, de prendre une vue plus générale de la pensée de Pascal et comprendre de l’intérieur la quête de vérité qui fut la sienne et la diversité des chemins qu’elle a successivement empruntés, nul instrument n’est plus utile que celui qu’il avait lui-même construit par sa théorie des trois « ordres », qui sont comme les différents régimes sous lesquels se déploie ce que Montaigne appelait « la forme entière de l’humaine condition » : ordre de la chair ou des corps, régi par les déterminations de la nature et de la coutume ; ordre de l’esprit, placé sous la juridiction de la raison ; ordre du coeur, qui obéit à la loi de l’amour. Cette partition est donc celle qui dicte le parcours de l’exposition, dans l’ambition de lire la vie de Pascal au prisme de sa propre pensée et tendre vers un portrait de Pascal par lui-même.

Le parcours de l’exposition s’attache à présenter d’abord les lieux et milieux qu’il a successivement fréquentés, tous « corps » propres à créer l’habitude d’une vie : Clermont-Ferrand, où il naît d’un lignage d’officiers de finance ; Paris, où son père l’introduit très tôt dans le cercle de savants auquel il était lié, dont les curiosités dicteront durablement les objets auxquels s’attacheront ses travaux de géométrie et de physique ; Rouen, où il séjourne de 1640 à 1647, où il développe ses recherches scientifiques, où il s’affirme ingénieur en inventant sa célèbre machine arithmétique, où il se convertit aussi à l’école spirituelle de Saint-Cyran – moment décisif, qui crée de nouvelles attaches dont le réseau recoupe en grande partie celui des salons aristocratiques et mondains qu’il fréquente après son retour à Paris.

L’exposition explore ensuite les aspects que revêt chez Pascal le travail de la raison : d’un côté les recherches physiques et mathématiques, de l’autre la réflexion sur la logique et l’argumentation, qui fait de lui un maître du discours et de ses puissances. En témoigne la machine de guerre des Provinciales, surgie dans le contexte théologique des conflits d’interprétation de la doctrine augustinienne de la grâce qui agitent l’Église depuis le concile de Trente et, en France, dans le contexte plus politique des luttes qui opposent jésuites et jansénistes à partir des années 1640. En mettant en parallèle ces deux versants de l’ordre pascalien de l’esprit, c’est aussi son principe commun qu’il s’agit de rendre sensible, qui consiste à porter la raison jusqu’à son propre bord en la confrontant aux questions qui la déconcertent : celles du vide, du hasard, de l’infini ou, dans un autre registre, de la grâce.

Le parcours suivi mène pour finir au dépassement de l’ordre de l’esprit dans celui du coeur, accompli par l’oeuvre capitale des Pensées. Après avoir rappelé les quelques événements biographiques qui la fondent, dont la nuit du 23 novembre 1654 d’où est né le texte du Mémorial, l’exposition s’arrête à son projet même en déployant, autour du manuscrit autographe, les thèmes majeurs de la méditation de Pascal, notamment celui du « Dieu caché ». Enfin est présenté le travail d’édition posthume mené entre 1662 et 1678, à travers lequel se manifeste déjà le destin paradoxal d’un livre inachevé, les Pensées, devenu une oeuvre majeure de notre patrimoine intellectuel tout en reposant sur un texte irrémédiablement instable.

Aussi le masque mortuaire de Pascal, venant clore un parcours ouvert par les portraits qui en dérivent, constitue-t-il le point d’orgue de cette exposition non comme une inévitable conclusion biographique, mais comme l’emblème d’une oeuvre qui ne nous est plus accessible que par l’empreinte de choix éditoriaux. Il en va en effet de l’oeuvre ultime de Pascal comme de son visage, dont le seul témoin authentique est une empreinte prise sur son corps mort d’où l’on tira ensuite des portraits : leur réalité disparue avec leur auteur, les Pensées ne se laissent connaître qu’indirectement, par l’imagination d’une figure reconstituée à partir de traces. Nous n’avons plus accès qu’à un portrait des Pensées, non sans savoir qu’« un portrait porte absence et présence, plaisir et déplaisir. La réalité exclut absence et déplaisir » (Pensées, 291).