contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Scènes de chasse en Allemagne” Rayski / Baselitz
au musée de la Chasse et de la Nature, Paris

du 8 novembre 2016 au 12 février 2017



www.chassenature.org

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 7 novembre 2016.

2028_Allemagne2028_Allemagne2028_Allemagne

Légendes de gauche à droite :
1/  Ferdinand von Rayski, Halte de chasse dans la forêt de Wermsdorf, 1859. Huile sur toile, 114 x 163 cm, Paris, musée de la Chasse et de la Nature. © musée de la Chasse et de la Nature, Paris – DR.
2/  Georg Baselitz, De Wermsdorf à Ekely (Remix), 2006. Huile sur toile, 300 x 250 cm, collection particulière. © Georg Baselitz 2016 / photo : Jochen Littkemann, Berlin.
3/  Ferdinand von Rayski, La Forêt de Wermsdorf, 1859. Huile sur toile, 105 x 114 cm, Dresde, Staatliche Kunstsammlungen – Galerie Neue Meister. © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / photo : SKD.

 


2028_Allemagne audio
Interview de Claude d'Anthenaise,
directeur du musée de la Chasse et de la Nature et co-commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 7 novembre 2016, durée 8'56". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Cette peinture de la nature se détache de l'allégorie pour chercher un enracinement dans le réel, dans la biologie. Les cerfs brâmant dans une brume qui se dissipe lentement ne font qu'obéir à un instinct naturel. De même la toile de Richard Friese représentant un combat de cerfs ne cherche aucune empathie antropomorphique, aucune métaphore, mais s'inscrit dans une observation neutre, presque comme un documentaire animalier. Le paysage allemand, le terroir célébré à travers la chasse impose le silence au spectateur. Sa majesté transcende la mort, comme dans cette scène d'intérieur où le chevreuil gisant au centre de la pièce l'éclaire, domine de sa présence les chasseurs assis autour.

La nature est éternelle et indomptable. Le paysage industriel d'August Von Wille montre une ville d'usines aux cheminées fumantes mais celle-ci est pâle, éthérée, aparaissant derrière des arbres qui s'ouvrent comme un rideau de scène sur un spectacle. Au premier plan, un groupe de chasseurs arpente une clairière intacte, sortant d'un bois touffu, sensuel et bien vivant. Il n'y a pas d'opposition ville/campagne, pas de menace de la modernité planant sur la nature tant celle-ci semble hors d'atteinte.

La chasse n'est que la théâtralisation du cycle naturel de prédation, de vie et de mort. La meute de chiens se jetant sur un sanglier dans un affrontement sanglant n'est que l'expression d'une loi naturelle, ce combat violent assurant la survie des espèces. Les hommes en sont d'ailleurs rejetés dans un arrière-plan flou, se fondant dans la neige dans le gris des troncs d'arbres, comme de lointains spectateurs.

Les braconniers fuyant sur un traineau à travers un lac gelé ont les mêmes caractéristiques : leurs yeux sont révulsés par la peur et l'urgence, un filet de sang s'écoule du flanc de l'homme comme d'un animal blessé. Cette énergie vitale de survie s'exprime dans des gestes désespérés devenus instinct.

La confrontation entre Ferdinand Von Rayski et Georg Baselitz vient terminer ce parcours dans une brillante synthèse. Les petites gouaches sur papier de Rayski réussissent à comprimer le temps et l'espace pour exprimer en un instant l'expérience de la chasse, le ressenti d'une matinée. Un chasseur et son chien avancent courbés sous l'effet d'un vent froid. Malgré la simplicité du rendu, on peut percevoir les frissons leur parcourant l'échine. Attendant contre un arbre, un autre chasseur se détend, son chien dresse subitement la tête hors des broussailles. Un lapin est saisi en plein saut au moment où il est fauché par une balle.

Dans ses toiles, personnages et animaux ne sont que les vecteurs de la présence de la forêt, de la saison. Un lièvre grelottant dans la neige évoque la montagne entière dans laquelle il évolue, le désert blanc et froid, la faim, le silence et la solitude sont le sujet véritable. La trentaine de personnages de la Halte de Chasse dans la forêt de Wermsdorf, si ils occupent la surface du tableau, ne réussissent pas à remplir le paysage. Le bois automnal est immense, puissant d'une noblesse hors d'atteinte de tout roi ou prince.

Chez Baselitz, le feuillage impénétrable engloutit la toile jusqu'à en recouvrir tout repère. Il n'y a plus ni haut, ni bas, droite ou gauche. Il ne reste que le mouvement, l'énergie de la sève coulant dans les branches comme dans des veines, la trajectoire d'un lapin bondissant en fines éclaboussures. L'oiseau sur sa branche se camoufle dans le décor, l'animal et le végétal se fondent dans une grande partition musicale. Le vert finit par disparaître, le peintre n'en ayant plus besoin pour peindre la nature. Le terroir allemand s'exprime alors en automnes bleus, en hivers gris et roses, porteur d'une promesse de renouvellement et d'éternité.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : Gilbert Titeux, Claude d’Anthenaise et Karen Chastagnol



La nature n’est-elle pas la même de part et d’autre du Rhin ? Du moins, à en juger d’après les représentations artistiques, l’image que Français et Allemands s’en font diffère nettement. Les forêts sont-elles plus mystérieuses en Allemagne, les cerfs plus imposants et leur territoire plus sauvage ? En tout cas, les pratiques de chasse et la place du chasseur dans ces sociétés ne sont pas les mêmes.

À travers un panorama constitué d’oeuvres emblématiques (de Kröner, Leibl, Fohr, Liebermann…) provenant de divers musées allemands et suisse, et couvrant la période 1830-1914, l’exposition met en évidence les spécificités germaniques dans la manière de représenter la chasse. Cette abondante production artistique reste largement méconnue en France.

Aux chasses romantiques servant de prétexte à exprimer la beauté du paysage, succède une production diversifiée exaltant la convivialité de la chasse, la fierté du chasseur ou la puissance expressive du gibier. Certes, cette dernière est indissociable de la figure du cerf bramant à gorge déployée, devenue, dans l’espace culturel allemand, l’archétype du kitsch. Mais de nombreux peintres se sont orientés dans une voie différente. Ainsi, les membres du « cercle de Leibl », ces authentiques représentants du « réalisme » initié en France par Gustave Courbet, ont su développer un mode de représentation original et fort.

Le second volet de l’exposition réserve une place particulière à l’un des maîtres de l’École de Dresde, le peintre Ferdinand von Rayski (1806-1890). Sa Halte de chasse dans la forêt de Wermsdorf, qui est une commande de la cour de Saxe, a été acquise récemment par le musée de la Chasse et de la Nature. Ce tableau joue un rôle important dans la carrière artistique du peintre contemporain Georg Baselitz qui a utilisé l’étude préparatoire conservée au musée de Dresde dans divers travaux. La figure de Rayski et son travail ponctuent l’oeuvre de Baselitz de ses débuts à nos jours.

L’exposition est l’occasion d’organiser un face-à-face entre ces deux artistes, d’époques et de tempéraments différents, mais pour qui la faune sauvage et la chasse constituent une source d’inspiration.




Parcours de l’exposition

L’exposition Scènes de chasse en Allemagne se développe dans deux espaces distincts au sein du musée de la Chasse et de la Nature

Panorama de la peinture de chasse en Allemagne entre 1830 et 1914

Au premier étage du musée, à l’issue des salles abritant les collections permanentes, un espace situé dans l’hôtel de Guénégaud permet de présenter une sélection d’œuvres significatives conçues par des peintres germaniques du XXe siècle et inspirées par la chasse. Ces peintures sont regroupées dans cette salle autour de cinq thématiques.

Dans la première section, le visiteur est accueilli par un choix d’oeuvres permettant d’évoquer le caractère féodal du droit de chasse en Allemagne au début du XIXe siècle. Celle-ci reste un privilège que les nobles se réservent jusqu’à ce que les troubles de 1848 obligent à ouvrir son accès au plus grand nombre. Carl Wilhelm Hübner dénonce les abus de ce Droit de chasse (1846, Bonn, Landesmuseum) dans un tableau militant qui figure un délit de braconnage trop sévèrement réprimé. Le modèle français est évoqué à travers l’Hallali d’un cerf peint par Joseph Kirchmair (1841, Paris, musée de la Chasse et de la Nature) qui témoigne des tentatives d’introduction en Allemagne de cette pratique cynégétique originaire de France.

Puis, les artistes allemands ont trouvé, à travers la chasse, le moyen d’animer la peinture de paysage. La sélection des oeuvres inclut des peintres de la génération romantique comme l’artiste nazaréen Joseph Anton Koch (Paysage après l’orage, vers 1830, Stuttgart, Staatsgalerie) et Daniel Fohr (Le Château d’Eberstein, près de Gersnbach, avec un cortège de chasse médiéval, 1843, Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle). Ils donnent l’image d’une chasse « contemplative » avec Carl Friedrich Lessing (Deux chasseurs, 1841, Düsseldorf, Museum Kunstpalast) et s’attachent comme Konrad Reinherz (Capture d‘un aiglon, le 21 juin 1860, par le comte Arco-Zinneberg, Munich, Deutsches Jagd-und Fischereimuseum) à traduire la grandeur spirituelle du paysage alpin. Avec la génération suivante et August von Wille (Paysage industriel, 1870, Bonn, Rheinisches Landesmuseum), le territoire de chasse n’est plus un espace hors du temps et s’ouvre à l’urbanisation contemporaine. À la fin du siècle, dans un souci de réalisme, les artistes n’hésitent pas à recourir à la photographie pour rendre compte avec plus d’exactitude des données physiques du territoire de chasse. Wilhelm Leibl et Johan Sperl procèdent ainsi dans leurs tableaux cynégétiques peints à quatre mains (Le Chasseur de tétras-lyre, 1893, Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum).

La deuxième section laisse une large place à l’art animalier où domine la figure du cerf en rut. Elle est articulée autour de la peinture monumentale de Christian Kröner, Scène de brame au Brocken (1885, Leipzig, Museum der bildenden Künste) placée à proximité d’un autoportrait où l’artiste s’est représenté dans son atelier, environné de quelques-unes de ses peintures animalières (Autoportrait dans l’atelier, 1871, Düsseldorf, Stadtmuseum). Fleuron d’une famille d’illustrateurs de la chasse, Carl Friedrich Deiker est présent dans l’exposition à travers deux toiles, dont le magistral Sanglier mâle tenu au ferme par des mâtins (1876, Düsseldorf, Museum Kunstpalast). Enfin, de Richard Friese, maître internationalement reconnu pour la puissance de ses évocations de faune sauvage, on expose deux oeuvres emblématiques (Combat de cerfs, 1906, Jagdschloss Letzlingen et Le 16 cors tiré par S. M. Guillaume II le 26 septembre 1890 dans le district forestier de Szittkehmen (Rominten), 1890, Lunebourg, Ostpreussisches Landesmuseum).

La chasse fournit de nombreux thèmes pour la peinture de genre. En ce domaine, la production des artistes allemands est caractérisée par la figure récurrente du braconnier. Elle est évoquée ici par l’oeuvre monumentale d’August Wilhelm Dieffenbacher (La Fuite du braconnier, 1888, Schwerin, Staatliches Museum). Dans le contexte germanique, les départs ou les retours de chasse sont l’occasion de peindre des scènes d’intérieur où la tenue du chasseur suffit à caractériser son activité. Si ce genre est longtemps resté marqué par le style Biedermeier, comme en témoigne encore Hugo Kauffmann (Intérieur avec chasseur et chevreuil mort, 1890, Schweinfurt, Museum Georg Schäfer), elle s’en émancipe avec les artistes issus du cercle de Leibl auquel appartient Karl Haider (La Nouvelle Carabine, 1880, Dresde, SKD - Galerie Neue Meister).

À la fin du XIXe siècle, et au début du siècle suivant, la chasse n’est pas étrangère aux recherches picturales caractérisant l’art moderne. Carl Schuch, également membre du cercle de Leibl fait la preuve de son audace picturale dans ses natures mortes de gibier (Deux canards avec un pot d’étain, 1881, Fribourg-en-Brisgau, Morat Institut) tandis que Max Liebermann utilise le motif du chasseur dans plusieurs de ses toiles (Le Chasseur et sa meute, 1913, Soleure, Kunstmuseum Solothurn). Avec Christian Rohlfs, le pointillisme fait également une brève incursion dans le domaine cynégétique (Chasseur, vers 1903, Hagen, Osthaus Museum).


Dialogue entre Ferdinand von Rayski et Georg Baselitz

Dans la galerie située au rez-de-chaussée du musée, dans l’hôtel de Mongelas, le visiteur peut découvrir la suite de l’exposition. Dans cet espace est aménagé un face à face entre l’oeuvre de deux artistes emblématiques de la création picturale allemande : Ferdinand von Rayski (1806-1890) et Georg Baselitz (né en 1938). Le rapprochement entre ces deux artistes que séparent plus de cent trente années n’est pas sans intérêt. Georg Baselitz, dans sa démarche radicale, ne cesse de se référer au lointain prédécesseur à qui il emprunte certains de ses motifs. La succession des quatre salles formant la galerie met en évidence les liens complexes entre deux tempéraments et deux personnalités que tout semblerait devoir séparer hormis leur commune appartenance à la Saxe et leur intérêt pour les motifs cynégétiques. Elle veut également valoriser la qualité et la diversité du travail de Ferdinand von Rayski, artiste encore trop méconnu du public français.

L’antichambre abrite deux peintures de Georg Baselitz. de Ferdinand von Rayski III (1960, collection particulière) fait partie des premières expérimentations de l’artiste dans le domaine de la figuration. Il s’est appuyé pour cette série sur un autoportrait de Rayski à présent disparu. À proximité, Un chien en descente (1968, collection particulière) témoigne de la récurrence des motifs cynégétiques dans la peinture de Baselitz.

La salle Ferdinand von Rayski permet de présenter divers aspects de l’oeuvre du peintre de la cour de Dresde. Figurant la chasse et l’aristocratie saxonne, Rayski associe ces deux thèmes dans ses portraits de chasseurs dont l’exposition présente quelques-uns des plus beaux exemplaires. Le Portrait du baron Philipp von Bechtolsheim en chasseur (1838, Wurtzbourg, Mainfränkisches Museum) peint pendant le premier séjour de l’artiste à Dresde ouvre la série qui se poursuit avec des oeuvres postérieures à son séjour à Paris. L’inspecteur royal des forêts de Saxe, Carl Ludwig von Schönberg (1850, Munich, Neue Pinakothek), Le Comte Carl von Hohenthal-Püchau (1860, Leipzig, Museum der bildenden Künste) et plus encore, le magistral Portrait de Friedrich von Boxberg (1861, Dresde, SKD - Galerie Neue Meister) témoignent de la maturation de son talent et de son évolution vers un style plus libre et plus personnel. Son aptitude à représenter les animaux est attestée par le Lièvre dans la neige (Dresde, SKD - Galerie Neue Meister), tandis que son intérêt pour le paysage se révèle dans le Paysage du Main près de Dettelbach (1837-1839, Wurtzbourg, Mainfränkisches Museum) et plus encore dans la représentation de la forêt de Wermsdorf.

Considérée comme perdue depuis 1946, la Halte de chasse dans la forêt de Wermsdorf (1859) a été récemment acquise par le musée. Le tableau est accroché pour la première fois à proximité de sa remarquable étude préparatoire (1859, Dresde, SKD - Galerie Neue Meister) qui est l’un des chefs-d’oeuvre du musée de Dresde et constitue une référence essentielle dans l’oeuvre de Georg Baselitz.

La salle Georg Baselitz permet de revenir sur la genèse de ses « tableaux inversés ». En effet, c’est en reproduisant l’étude pour la Halte de chasse dans la forêt de Wermsdorf que Baselitz initie, en 1969, cette nouvelle série emblématique de son travail. Le motif du grand chêne au centre du paysage de sous-bois emprunté à Rayski se retrouve encore dans les Remix qu’il peint depuis 2006. Le titre de De Wermsdorf à Ekely (Remix) (2006, collection particulière) se réfère explicitement au tableau de Dresde. Dans ses peintures récentes, Baselitz recourt toujours aux thèmes de la chasse (Le Chasseur (Remix), 2008, collection particulière) ou du gibier (Oiseau, 1972, collection particulière) en renvoyant sciemment à tout le patrimoine artistique constitué par les générations de peintres qui sont présentés à l’étage supérieur du musée.

Le cabinet des dessins clôt le parcours de l’exposition en présentant une vingtaine de dessins de Ferdinand von Rayski. Ces oeuvres illustrant la chasse proviennent du cabinet d’arts graphiques de Dresde. Elles éclairent un autre aspect de son travail et permettent de suivre son processus de création.