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“Kunihiko Moriguchi” Vers un ordre caché
à la Maison de la culture du Japon, Paris

du 16 novembre au 17 décembre 2016



www.mcjp.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 15 novembre 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Kunihiko Moriguchi, Croisillons couleur « thé jaune de Chine », 1993. En dépôt au National Museum of Modern Art, Tokyo. © Harumi Konishi.
2/  Kunihiko Moriguchi. © NIKKEI VISUAL, INC.
3/  Kunihiko Moriguchi, Pentagones écarlates, 2000. Collection particulière. © Kunihiro Shikata.

 


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Interview de Kunihiko Moriguchi,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 15 novembre 2016, durée 22'55". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Apprendre à regarder, prendre le temps de voir, voilà la leçon que nous offre Kunihiko Moriguchi. Le temps qui s'allonge et ralentit lorsqu'on se détache de notre course urbaine, des sollicitations de nos écrans, permet de saisir la patiente lenteur de la technique du yûzen, de ressentir tout ce que contient cette collection de kimonos. Moriguchi, pour arriver à la maîtrise de cet art de la teinture sur soie, semble s'extraire de la temporalité pour n'exister que dans un présent où n'existe ni passé ni futur. Ses gestes sont lents, dans une pleine conscience méditative, chargés de l'histoire et des traditions et pourtant légers comme le vent dans un feuillage.

La couleur en aplats profonds est mises en valeur par le grisé moucheté de la technique du makinori (de la pâte de riz mélangée à de la poudre de zinc séchée puis réduite en grains, saupoudrée sur le tissu). Le noir, composé de 3 teintures différentes successives, est d'une intensité tranchante. D'une économie de moyens chromatiques, une à deux teintes seulement, Moriguchi compose une palette ouverte en une infinité de nuances.

Inspirées de la nature, ses trames géométriques sont réduites à la plus simple expression graphique. Triangles, carrés, lignes sont les formes minimalistes, dénominateur commun d'un langage poétique. Comme des haïkus, ils forment une poésie brève, quelques vers suffisant à évoquer la richesse des sensations que procure une première neige, un torrent ou une averse. Ainsi, les traditions florales des siècles précédents se voient transformées par leur rencontre avec la modernité occidentale du Bauhaus, sans pour autant perdre de leur pouvoir d'évocation.

Après avoir fait plusieurs fois le tour de l'exposition, la véritable nature de ces motifs finit par se dévoiler. Les carrés et triangles qui composent les trames s'allongent ou rapetissent motif après motif, formant sur le vêtement un dégradé. Lorsque le kimono est porté, un tourbillon part de l'épaule et tournoie jusqu'aux pieds. À l'évocation florale s'ajoute une nouvelle dimension: le temps. Les fleurs éclosent, la neige matinale tombe en flocons rapides, le ruisseau s'écoule doucement dans un petit bruit cristallin.

Ce qui semblait de l'abstraction prend un sens figuratif. La brume du matin se dissipe sur une prairie verte et fleurie. Une fleur s'ouvre, répétition du même motif anguleux étoilé dont les pétales s'élargissent imperceptiblement comme les images successives d'un film. L'apparition du rose au centre de la trame noire évoque ces quelques fleurs se distinguant dans une étendue d'herbe. Un jeu de triangles contrastés fait surgir, lorsqu’on les regarde de biais, des volumes en trompe l'œil, une structure en 3D de petites pyramides plissant l'étoffe de sillons parallèles. Un autre motif représente une pluie de fleurs. Les traits de couleur du dessin se contractent, s'élargissent, et laissent apparaître par contraste dans les espaces libres une trame régulière de cercles blancs.

Comme une illusion d'optique, les motifs si travaillés se révèlent ne pas être l'objet du design. Le véritable sujet de ces œuvres est celui qui n'est pas tracé et teint, une image cachée comme un animal dans une forêt. Il faut s'arrêter et faire le silence en soi pour espérer l'apercevoir.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

L’exposition « Kunihiko Moriguchi - Vers un ordre caché » réunit pour la première fois en France un ensemble exceptionnel de 26 kimonos constituant autant de pièces uniques, de 11 peintures et de créations dans les domaines du design et des arts appliqués.


L’exposition

L’exposition de la Maison de la culture du Japon à Paris est un condensé de 50 ans de création. Kunihiko Moriguchi a en effet sélectionné près d’une trentaine de ses kimonos, du premier réalisé en 1966 à celui spécialement conçu pour cette rétrospective.

Subtiles et rigoureuses, ses oeuvres sur papier japonais réalisées dans la même technique du yûzen témoignent elles aussi de la recherche d’une certaine perfection.

Enfin, ses collaborations avec les grands magasins Mitsukoshi et la Manufacture nationale de Sèvres montrent qu’il a brillamment réussi à appliquer ses recherches graphiques à des supports incarnant la vie quotidienne, sacs de course ou tasse à café.

Kunihiko Moriguchi nous invite à rechercher un « ordre caché » dans la structure géométrique de ces oeuvres intimement inspirées de la nature et des cycles temporels.


L’artiste

Elevé au rang de « Trésor national vivant », Kunihiko Moriguchi perpétue la tradition de teinture de tissus appelée yûzen qu’il a profondément renouvelée. Ses kimonos novateurs sont ornés de motifs souvent géométriques. Ils sont le produit de sa connaissance des arts graphiques européens qu’il a étudiés à Paris et de son apprentissage dans l’atelier de son père, Kakô Moriguchi, lui-même éminent maître du yûzen (Trésor national vivant en 1967).

Kunihiko Moriguchi, né en 1941, étudie la peinture de « style japonais » (nihonga) à l’université des Arts de Kyoto. Il part pour la France à l’âge de 22 ans et devient un élève brillant de l’Ecole nationale des arts décoratifs. Il se lie d’amitié avec le critique Gaëtan Picon et le peintre Balthus qui l’invite à la Villa Médicis. Ce dernier le persuade de se consacrer à l’art du yûzen, technique tricentenaire réservée aux kimonos d’apparat, dont le père de Kunihiko est un illustre représentant.

Peu après son retour à Kyoto en 1966, Moriguchi entre dans l’atelier de son père mais affirme bientôt un style très personnel, géométrique et abstrait, en respectant les processus techniques traditionnels sans jamais perdre de vue qu’il s’agit de vêtir un corps de femme, sa sensualité. Très vite, ses kimonos connaissent le succès, sont acquis par les plus hautes personnalités et les musées de son pays comme à l’étranger (Victoria and Albert Museum à Londres, Metropolitan Museum of Art à New York, LACMA à Los Angeles).