contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Éclectique” Une collection du XXIe siècle
au musée du quai Branly, Paris

du 23 novembre 2016 au 2 avril 2017



www.quaibranly.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 21 novembre 2016.

2039_Eclectique2039_Eclectique2039_Eclectique

Légendes de gauche à droite :
1/  Statue féminine "pileuse de mil", XVIe-XVIIe siècle, Mali, Centre-nord du plateau de Bandiagara, région de Touré/Doue, Ethnie : Dogon, Style N'duréli. Bois, pigments, ornements et pièces de restauration en fer. H : 100.5 cm, L: 18.5 cm, P : 24.5 cm. Provenance, Gouro Sow, Bamako. Ancienne collection hélène et Henri Kamer, Cannes/Paris/New York avant 1966. Ancienne collection Hélène et Philippe Leloup, Paris. © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain.
2/  Statue féminine, Liberia, Ethnie : Bassa. Bois, pigments, textile, fibres végétales, perles de verre. H: 60 cm ; L: 18 cm ; P : 15 cm. Provenance, Ancienne collection Roger Bediat (1897-1958), Abidjan, avant 1958. Ancienne collection Hélène et Philippe Leloup, 1958. © musée du Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain.
3/  Buste, XIe - XIIe siècle, Mali, Ethnie : Pré-dogon, Style Djennenké. Bois, patine croûteuse. H : 100 cm ; l: 19 cm ; P : 20 cm. Provenance : Paris, Palais d’Orsay, Arts primitifs, collections de Mme Deschiron, Mme Morris J. Pinto, MM. René Rasmussen, Arman, de Bailliencourt et appartenant à divers amateurs, 8 juin 1978, lot n° 240. Ancienne collection Hélène et Philippe Leloup, Paris. Ancienne collection Robert Mnuchin, New York. Collection privée, New York. Sotheby's, Paris, A New York Collection, 30 novembre 2010, lot n° 45. © musée du Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain.

 


2039_Eclectique audio
Interview de Hélène Joubert, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 21 novembre 2016, durée 10'44". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat de l’exposition :
Hélène Joubert, conservateur en chef du patrimoine, responsable des collections Afrique du musée du quai Branly - Jacques Chirac




Après les expositions D’UN REGARD L’AUTRE (2006), CHARLES RATTON, L’invention des arts primitifs (2013), et avant PICASSO PRIMITIF (2017) et FÉNÉON (2018), le musée du quai Branly - Jacques Chirac propose de poursuivre, avec l’exposition ÉCLECTIQUE, une collection du 21e siècle, la réflexion sur l’histoire du collectionnisme, mais aussi sur la place des arts dits « primitifs » dans l’histoire des arts.

Les regards posés sur l’art non occidental et la manière de le collectionner n’ont cessé d’évoluer depuis la fin du 19e siècle. En présentant les chefs-d’oeuvre de la collection de Marc Ladreit de Lacharrière, le musée du quai Branly - Jacques Chirac souhaite illustrer les ressorts et les motivations qui animent aujourd’hui un collectionneur du 21e siècle, notamment vis-à-vis des arts d’Afrique et d’Océanie.

Emblématique de notre époque, où la reconnaissance des arts non-occidentaux égale depuis peu celle de l’art occidental, la collection de Marc Ladreit de Lacharrière constitue une véritable « collection idéale » où se reflète la vision humaniste du monde de ce collectionneur atypique et sa quête d’harmonie universelle.

Au travers de soixante oeuvres d’art antique, moderne, contemporain et non occidental – dont 25 des oeuvres sont considérées comme des chefs-d’oeuvre des arts d’Afrique et d’Océanie, l’exposition s’attache à restituer l’histoire de la constitution de la collection ainsi que la relation du collectionneur avec celle-ci. Echo d’une passion personnelle et privée, ÉCLECTIQUE, une collection du 21e siècle est aussi l’occasion rare pour le grand public d’accéder à un moment de l’histoire du collectionnisme au 21e siècle et de découvrir des trésors inédits que les collectionneurs ne dévoilent que rarement.




L’esprit de la collection Ladreit de Lacharrière

La collection de Marc Ladreit de Lacharrière a accompagné un parcours de vie riche d’expériences. Amorcée dans la seconde moitié du 20e siècle par des intérêts progressifs, elle s’est constituée essentiellement au tournant du 21e siècle dans une proximité de plus en plus étroite avec le monde des arts, celui des musées en particulier. Elle se situe dans le prolongement d’un intérêt humaniste fait de rencontres et d’échanges multiculturels. Ce parcours, parti de références classiques issues de la fréquentation du Louvre, est passé par l’art moderne et contemporain ou le design, fruit de rencontres, d’influences proches et de partage avec son épouse Véronique, pour arriver aux arts extra-occidentaux où domine la sculpture africaine, qui en constitue un chapitre ultime, entre passion et raison. Plus d’une quarantaine d’oeuvres insignes du domaine des arts extra-occidentaux construisent le véritable « coeur », organe des sentiments qui anime et fait vibrer cet ensemble. Au total, soixante oeuvres majeures sont ici présentées pour illustrer le parcours de cet amateur ouvert et curieux, pour évoquer à la fois le caractère individuel et subjectif de toute entreprise de collection. Elle convoque l’histoire du collectionnisme en Occident, à travers le sujet des environnements, privés et professionnels, celui du dialogue des genres, des formes ou des thèmes des oeuvres. Présences fortes d’une configuration symbolique privée, elles forment une famille élective qui fait fraterniser des artistes de toutes origines et époques. Parmi eux l’artiste anonyme de la monumentale pileuse de mil dogon, ode aux qualités physiques et morales d’une femme séduisante concentrée sur son travail quotidien et ses responsabilités, présence favorite du collectionneur, incarne ce chemin d’excellence.




Introduction de Marc Ladreit de Lacharriere

De nombreux chemins peuvent conduire vers ce que Jacques Kerchache appelait les arts premiers.

Longtemps ce fut l’appel de l’exotisme, le désir d’« ensauvagement » dont se moquait déjà Rimbaud ou le souvenir d’une vie de voyage, et la fonction principale, alors, était de signaler que le propriétaire de ces fétiches avait « vu du pays ».

Je me souviens d’avoir aperçu, jeune, de pareils trophées chez d’anciens administrateurs coloniaux qui n’auraient jamais imaginé de conférer à ces masques d’ébène trop cirés un statut d’oeuvre d’art comparable aux natures mortes de leurs salons. Il faut reconnaître qu’à cette époque la différence entre art colonial décoratif et art africain authentique n’était pas courante.

Le chemin le plus fréquenté, toutefois, surtout pour les hommes de ma génération et de ma formation, est tout simplement celui appris à l’école de l’histoire de l’art occidental vers la fin du 19e siècle : la recherche, derrière Cézanne, d’une nouvelle façon de transcrire les formes et les couleurs passe, on le sait bien, par la découverte des masques « nègres » qui structure le cubisme des premières années du 20e siècle.

Si ce dialogue culturel m’a passionné et continue de m’éblouir lorsque je visite les salles du Centre Georges Pompidou ou du Guggenheim, il n’a pas, je crois, joué un rôle déterminant dans la construction de mes goûts.

Par formation, sans doute aussi par tradition familiale, parce que toute ma vie j’ai considéré le musée du Louvre comme une seconde patrie, j’ai trouvé dans les « Beaux-Arts » une pâture suffisante pour combler mon coeur et mes yeux.

Pourtant ce que j’aime le plus au Louvre ou dans les grands musées encyclopédiques américains, c’est ce qu’on qualifierait aujourd’hui de « réseau », cette immense arborescence qui de salle en salle creuse pour le visiteur le mystérieux voyage des motifs, des thèmes, et fait le long de la route de la soie, par exemple, ressurgir Bacchus en Alexandre et Alexandre en Bouddha.

Cette résonance entre les cultures et les civilisations, ce dialogue des âges et des artistes, on le retrouvera au coeur du Louvre Abou Dhabi. Il m’aurait semblé inimaginable qu’il en fût autrement lorsque j’ai accepté d’en présider l’Agence France Museum en charge de la mise en oeuvre.

Des oeuvres d’art ont été présentes dans tous mes lieux de travail et cette présence entoure ma vie personnelle. J’ai beaucoup voyagé, mon regard esthétique s’est étendu au fur et à mesure de ma fréquentation du monde qui m’a permis de rejeter mon corset mental et esthétique d’Européen classique. Comment aurais-je pu continuer à croire que seuls les artistes européens ont été depuis l’Antiquité en mesure de peindre et de sculpter, comme il nous l’était enseigné dans les lycées publics, durant ma scolarité ?

Dans une lettre que m’a adressée Jacques Chirac il y a quelques années et que j’ai souhaité, avec son autorisation, reproduire dans le catalogue de l’exposition, on lit : « L’art africain n’est pas l’expression d’oeuvres en provenance d’ethnies, telles que les Dogon, les Sénoufo, les Baoulé, les Dan ou les Fang, mais il est surtout l’expression d’artistes ayant leur propre personnalité, leur propre génie et il […] s’enracine profondément dans l’histoire de l’art. »

Mais aurais-je pourtant acquis des sculptures africaines et océaniennes sans l’initiative qu’il a prise de créer le pavillon des Sessions du Louvre, puis le musée du quai Branly ?

Dans ses bureaux, de l’Hôtel de Ville puis de l’Élysée, je l’ai souvent entendu parler avec amour, et aussi beaucoup de science, de ses sculptures dont il avait choisi de s’entourer. Surtout, j’étais impressionné du rapport physique qui s’établissait entre lui et elles, de le voir les toucher avec respect et bienveillance à la fois.

Grâce à Jacques Chirac, grâce à ma présence au conseil artistique des Musées nationaux ou étaient présentées les oeuvres destinées au quai Branly, et évidemment grâce au quai Branly et à la fréquentation de personnalités telles que Stéphane Martin, Hélène Leloup, Jean-Paul Barbier-Mueller et Alain de Monbrison, j’ai pris la mesure de la force si particulière de ces oeuvres venues d’une autre histoire de la beauté. La familiarité, l’évidence qui s’établit pour notre regard moderne avec les sculptures réalisées très loin de nous et pour un autre propos m’apparaissent, pour tout dire, comme un concentré d’humanité. La présence à mes côtés d’oeuvres africaines a beaucoup plus d’importance que leur seule résonance artistique ou esthétique.

Se cristallise ainsi pour moi une certaine philosophie de vie, une force de spiritualité liée à l’égale dignité de l’homme, une responsabilité à délivrer des messages de tolérance, donc une conviction qui ne peut nous conduire qu’à nous inciter à nous engager en faveur d’une société plus harmonieuse, en nous mettant au service de ceux qui n’ont pas été façonnés par le même moule que nous. Et pour ce faire je n’ai rien trouvé de mieux que de favoriser l’accès à la pratique d’activités artistiques. N’est-ce pas ce que je recherche à travers la Fondation Culture et Diversité, dont la mission est justement de favoriser cet accès pour les jeunes scolarisés dans les établissements de l’éducation prioritaire ?

Depuis cette époque j’ai entrepris ce que l’on peut appeler une collection : j’essaie de rassembler une « famille » de sculptures qui à la fois s’appareille à ma sensibilité et constitue un ensemble représentatif, je l’espère, de l’art africain à son meilleur, avec quelques incursions sur le terrain océanien.

Je ne crois pourtant pas être un collectionneur : je n’ai jamais cherché à compléter des séries ni à poursuivre une quelconque compétition avec d’autres amateurs. Il s’est trouvé que ces acquisitions en ventes publiques ou dans quelques galeries sont contemporaines d’un certain bouleversement du monde des collectionneurs d’arts premiers, en raison d’un changement de génération et aussi de l’évolution des prix. Le désir d’agir pour que, autant que possible, l’essentiel de ces chefs-d’oeuvre ne disparaisse pas dans des patrimoines privés inaccessibles est aussi une de mes motivations.

Car le privilège de vivre entouré de telles oeuvres s’accompagne à mes yeux d’une responsabilité que Véronique et mes enfants ressentent aussi fortement que moi : celle de faire partager cette émotion. Ces sculptures n’ont jamais été pour moi des trophées. Les réunir, devenir leur familier, les faire connaître est un grand bonheur, et j’espère pouvoir accroître et diversifier encore cette collection dans les années à venir. Mais j’ai bien sûr conscience de ne pas être le maître de ces sculptures : au mieux un compagnon de route pour un bout de chemin dont j’apprécie chaque instant à sa juste valeur. Le partage auquel m’invite le président Jacques Chirac n’a jamais fait de doute dans mon esprit.

Un dernier point : les collections du musée du quai Branly, elles-mêmes issues d’un long lignage d’institutions culturelles qui ont précédé, parfois de plusieurs siècles, le musée de Jacques Chirac, lequel fête cette année son dixième anniversaire, sont immenses, profondes et riches. Que leur apportent les quelques dizaines d’oeuvres montrées aujourd’hui sous le titre pertinent « Éclectique » par Hélène Joubert, conservatrice des collections africaines du musée ? La réponse se trouve, je crois, dans la lettre de Jacques Chirac que j’ai citée plus haut.

Les sculptures présentées ici n’ont pas été choisies comme des « artefacts », parmi d’autres productions, de pratiques culturelles prestigieuses mais éloignées de celle dans laquelle se déroule ma propre vie. Chacune, à mes yeux, vaut avant tout par le témoignage direct de l’artiste qui l’a conçue. Chacune trouve sa vérité singulière dans le regard de celui qui viendra la contempler. Ainsi, je suis fier de participer à cette prise de conscience de l’universalité de l’intemporalité artistique. Et chaque oeuvre pourra, c’est mon souhait, permettre à chacun de s’interroger sur les maillons d’une chaîne qui relie entre elles les différentes civilisations du monde.

J’espère de tout coeur que les visiteurs de cette exposition y trouveront le même bonheur et, finalement, la même confiance en l’homme.

Marc Ladreit de Lacharrière