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“Bakst” Des Ballets russes à la haute couture
à la BnF - Bibliothèque-musée de l’Opéra, Paris

du 22 novembre 2016 au 5 mars 2017



www.bnf.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 21 novembre 2016.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Léon Bakst, Projet d’affiche pour le ballet La belle excentrique, créé à Paris, le 14 juin 1921 avec Elise Jouhandeau dite Caryathis, sur une musique d’Erik Satie. AquarelleParis, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet.
2/  Léon Bakst, Maquette de décor pour le prologue de La Pisanelle ou La Mort parfumée, ballet de Michel Fokine créé au théâtre du Châtelet, à Paris, le 11 juin 1913. Crayon, gouache et aquarelle. BnF, département de la Musique, Bibliothèque-musée de l’Opéra.
3/  Léon Bakst, programme pour la septième saison des Ballets russes, Nijinski dans L’Après-midi d’un faune, 1912. Imprimé. BnF, département de la Musique, Bibliothèque-musée de l’Opéra.

 


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Interview de Mathias Auclair,
directeur du département de la Musique à la BnF et co-commissaire de l'exposition,

par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 21 novembre 2016, durée 5'49". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Mathias Auclair, directeur du département de la Musique, BnF
Sarah Barbedette, directrice de la dramaturgie, de l’édition et de la communication, Opéra national de Paris
Stéphane Barsacq, écrivain




A l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de Léon Bakst, la Bibliothèque nationale de France et l’Opéra national de Paris présentent la première exposition monographique française consacrée au peintre, décorateur et costumier russe. Au travers de cent trente pièces provenant de collections publiques et privées, l’exposition retrace l’itinéraire artistique du « magicien des couleurs » que célébrait Gabriele D’Annunzio, son travail pour la scène, les arts décoratifs et la mode, qui a influencé les créateurs tout au long du XXe siècle.

Né en 1866 dans l’Empire russe, formé à Saint-Pétersbourg puis à Paris auprès des peintres Albert Edelfelt et Jean-Léon Gérôme, Léon Bakst fait partie du groupe d’avant-garde Mir Iskusstva (Le Monde de l’art) qui réunit notamment Serge Diaghilev, le futur imprésario des Ballets russes, et le peintre Alexandre Benois. Parallèlement à sa carrière de peintre et d’illustrateur, Bakst travaille pour le théâtre dès le début du XXe siècle et plus particulièrement pour le ballet. Dès les premières saisons des Ballets russes à Paris, il s’impose comme un rénovateur éclatant de la scène, avec, entre autres, les triomphes de Cléopâtre (1909), Shéhérazade (1910), Le Spectre de la rose (1911) ou Daphnis et Chloé (1912). Sa collaboration avec le danseur et chorégraphe Vaslav Nijinski culmine avec la création et le scandale de L’Après-midi d’un faune (1913).

Devenu une figure en vue du Tout-Paris, il fréquente et travaille avec Jean Cocteau, Gabriele D’Annunzio ou Émile Verhaeren, suscite l’engouement de Paul Morand ou Vladimir Nabokov et reçoit des commandes de la Marquise Casati et des Rothschild. Théoricien de son art, parfois librettiste des ballets qu’il scénographie, il dialogue également avec les créateurs de mode comme Jeanne Paquin, pour qui il crée une collection.

Sa carrière connaît une nouvelle orientation à partir des années 1920 quand il travaille pour le directeur de l’Opéra de Paris, Jacques Rouché, comme conseiller de la danse et créateur de ballets.

Trait d’union entre le classicisme de ses maîtres et le modernisme de ses amis Picasso et Matisse, Bakst laisse une oeuvre qui ne cesse d’inspirer les créateurs contemporains, de Vivienne Westwood à Walt Disney.

Tableaux, dessins, photographies, costumes, manuscrits, maquettes de décor… À travers cent trente pièces, dont certaines rares ou inédites, l’exposition propose de découvrir la profusion des créations de l’artiste et son génie de coloriste auquel ont rendu hommage Christian Lacroix, Karl Lagerfeld pour Chloé, John Galliano pour Dior et surtout, à plusieurs reprises, Yves Saint Laurent. Elle est enfin une invitation à voyager dans l’univers féerique de Bakst, avec ses sultanes et ses almées des Mille et une nuits, ses bacchantes antiques et ses pages du Grand Siècle.




Parcours de l’exposition


Les années de formation


Lev Rosenberg naît en 1866 à Grodno, près de la frontière occidentale de l’Empire russe. Aîné de quatre enfants, il est le fils d’un érudit respecté au sein de la communauté juive. Petit-fils de couturier, il retient de son grand-père un goût prononcé pour l’élégance du vêtement. Il a une quinzaine d’années lorsqu’à la faveur d’un concours de dessin, il choisit de devenir peintre. Le jeune homme fréquente pendant quatre ans l’Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg et commence une carrière d’illustrateur. En 1889, pour sa première exposition, Lev Rosenberg adopte le nom de Bakst, référence au patronyme de sa grand-mère paternelle, Bakster. Pour nourrir son frère et ses soeurs, il débute dans le monde de l’édition. Il rencontre alors les peintres russes Albert et Alexandre Benois et prend part à des cénacles de jeunes artistes et intellectuels. En 1891, il entreprend de voyager à travers l’Europe. L’année1898 marque les débuts de Mir Iskusstva, « Le Monde de l’art », groupe d’avant-garde entraîné par Serge Diaghilev, dont les regards se portent sur le symbolisme, l’Art nouveau, et s’attachent aux démarches visant à la synthèse des arts. Grâce à Diaghilev, Bakst fait ses débuts au théâtre à Saint-Pétersbourg. En 1903, il fait la connaissance de Lioubov Pavlovna, fille de l’homme d’affaire et collectionneur Pavel Tretiakov. Pour l’épouser, il doit renoncer au judaïsme et se convertit au protestantisme. De leur union naît un fils, André, en 1907.


La scène

Léon Bakst fait plusieurs séjours à Paris avant 1909, mais c’est avec les premiers spectacles de la compagnie de Diaghilev, les Ballets russes, que l’Occident le découvre. Les décors et costumes de Cléopâtre (1909) et surtout de Shéhérazade (1910) font immédiatement sa renommée de décorateur d’avant-garde et de « magicien des couleurs » (Gabriele D’Annunzio). Elle ne se dément plus jusqu’à la Première Guerre mondiale. Toutes les scènes et compagnies les plus en vue demandent à profiter de son talent. Lecteur averti et passionné de textes classiques, il travaille pour tous les genres scéniques (ballet, opéra, théâtre, revue…) et pour les théâtres du monde entier, dessinant les décors ou les costumes de plus de soixante-dix spectacles et écrivant aussi parfois, à partir de 1910, l’argument des ballets. Outre son activité pour les Ballets russes, il développe une collaboration suivie avec la danseuse Anna Pavlova et avec la danseuse, chorégraphe et mécène, Ida Rubinstein. En froid avec Diaghilev qui rechigne à le payer, lui reproche ses engagements extérieurs et lui attribue l’échec de La Belle au bois dormant, il rompt en 1921 avec les Ballets russes et trouve un nouveau protecteur en la personne du directeur de l’Opéra de Paris, Jacques Rouché. Son oeuvre colossale puise à différentes sources (l’Orient, l’Antiquité, les grands maîtres) tout en proposant une synthèse esthétique très personnelle et originale qui donne une identité si singulière au style Bakst.

L’Orient sensuel
Pour les premières saisons des Ballets russes, Bakst est chargé de concevoir les décors et costumes de ballets, et marginalement d’opéras, à forte charge exotique et érotique. En proposant de tels ouvrages à Paris, Diaghilev se met au diapason de l’orientalisme ambiant et flatte les goûts du public occidental, habitué à de tels spectacles depuis le XIXe siècle. Ils remportent le succès escompté. Bakst y trouve aussi un terrain d’application de ses théories sur la symbolique et la puissance émotionnelle des couleurs : « J’ai souvent remarqué que, dans chaque couleur du prisme, existe une gradation qui parfois exprime la franchise et la chasteté, parfois la sensualité et même la bestialité, parfois l’orgueil, parfois le désespoir. On peut le suggérer par l’emploi qu’on fait des différentes nuances. C’est ce que j’ai essayé dans Shéhérazade. Contre un vert lugubre, j’ai placé un bleu plein de désespoir, aussi paradoxal que cela puisse paraître. […] Il y a un bleu qui peut être le bleu d’une sainte Madeleine et il y a un bleu qui peut être celui d’une Messaline ! » L’échec du Dieu bleu (1912), dont le décor évoque les temples d’Angkor et la chorégraphie de Fokine la statuaire indienne, met fin aux grandes productions exotiques que conçoit Bakst pour les Ballets russes. C’est pour d’autres que, de temps à autres, il revient à une telle inspiration : Aladin et la lampe merveilleuse (1919) pour Georges Thenon, dit Rip, La Nuit ensorcelée (1923) pour l’Opéra de Paris.

Modernité de l’Antiquité
Quand il se détourne de l’Orient, Bakst explore les sources antiques qui ont inspiré des productions auxquelles il a collaboré en Russie bien des années auparavant. Il met aussi à profit le voyage qu’il a fait en Grèce et en Crète, en 1907. Ce voyage a une forte influence sur les conceptions théoriques qu’il exprime dans « Les formes nouvelles du classicisme en art », publié en français en 1910 : « Que d’impressions nouvelles ! inattendues, elles chamboulent et mettent en désordre toutes nos idées antérieures, encore pétersbourgeoises, à propos de l’Hellade héroïque – on est obligés de tout modifier, faire de l’ordre : classer. » Narcisse (1911) et Daphnis et Chloé (1912), qu’il conçoit avec le chorégraphe Michel Fokine pour les Ballets russes, sont des hommages à une Grèce antique pittoresque, soigneusement rendue avec ses temples, ses sites spectaculaires, sa végétation méditerranéenne et ses bacchantes et béotiennes jouant avec des voiles tournoyants et multicolores. Dans L’Après-midi d’un faune (1912), élaboré en étroite collaboration avec Vaslav Nijinski, il privilégie la couleur aux dépens de l’exactitude du dessin et campe sur la scène ce que le régisseur des Ballets russes, Serge Grigoriev, a appelé un « bas-relief archaïque grec en mouvement ». L’esthétique du « Faune » trouve son prolongement dans deux spectacles nés de la complicité de Bakst avec Ida Rubinstein, Hélène de Sparte (1912) et Phaedre (1923), aux modèles mycéniens et minoens très explicites.

Classicisme des grands maîtres
En même temps qu’il subit le choc de la Première Guerre mondiale, Bakst doit composer au sein des Ballets russes avec de nouveaux concurrents : les décorateurs venus de Moscou Natalia Gontcharova et Michel Larionov à partir de 1914, et les peintres de l’avant-garde parisienne (Picasso, Derain, Matisse…), à partir de 1917. La correspondance qu’il échange avec Diaghilev montre la dégradation de leurs rapports et l’incompréhension qui grandit entre l’imprésario et son décorateur, dont l’oeuvre semble marquée par une forme de retour à l’ordre. Elle prend appui désormais sur les modèles que constituent les grands maîtres de l’art classique. Ainsi, les costumes des Femmes de bonne humeur (1917) font référence à la peinture vénitienne du XVIIIe siècle, et notamment à celle de Pietro Longhi ; les décors de La Belle au bois dormant pour Anna Pavlova (1916) et pour les Ballets russes (1921) sont imprégnés de l’art des décorateurs baroques de la famille Bibiena tandis que les costumes évoquent le Grand Siècle français. L’échec commercial de la création londonienne de La Belle au bois dormant signe la fin de la collaboration de Bakst avec les Ballets russes. Le décorateur ne semble désormais plus en phase ni avec le goût du public, ni avec l’évolution des arts plastiques à cette époque. Jusqu’à sa mort prématurée, à l’âge de 58 ans, Bakst s’ingéniera à montrer que son talent est intact, notamment dans le travail qu’il mène avec le directeur de l’Opéra de Paris, Jacques Rouché.

Fusion des influences et collaboration avec Nijinski
Le génie de Bakst réside non seulement dans son art de coloriste, mais aussi dans sa capacité à fusionner différentes sources d’influence pour créer un univers qui lui est propre. Les Orientales (1910) et Thamar (1912) sont des exemples parmi tant d’autres, mais le plus abouti est sans doute L’Oiseau de feu (1910) qui associe subtilement la matière des contes russes avec les légendes et l’iconographie des oiseaux fabuleux de la mythologie indienne. Collaborateur régulier du chorégraphe Michel Fokine, Bakst travaille aussi en grande entente avec Vaslav Nijinski qui, en 1912, supplante Fokine comme chorégraphe des Ballets russes. La connivence est telle entre les deux artistes qu’il est difficile de savoir ce qui procède du génie de l’un ou de l’autre dans L’Après-midi d’un faune (1912). Ainsi, Bakst conçoit le décor, mais c’est Nijinski qui aurait donné des consignes très précises concernant son implantation, très proche du cadre de scène, afin de renforcer l’effet de frise. Tous deux ont aussi une même volonté de montrer une Antiquité plausible en recourant aux sources archéologiques : le personnage du Faune est inspiré par un groupe en marbre, Aphrodite, Pan et Éros, découvert à Délos quelques années avant le voyage en Grèce du décorateur ; pour élaborer la chorégraphie, Nijinski et Bakst parcourent les galeries du Louvre à la recherche de modèles antiques, qu’ils soient grecs, égyptiens ou assyriens.


Entre mondanité et modernité : mode et arts décoratifs

Les arts décoratifs

Le succès de Léon Bakst à la scène suscite une mode qui se déploie jusque dans les appartements, les tentures et les coussins. Marcel Proust s’en fait l’écho lorsqu’il évoque l’intérieur du comte Charles de Polignac dans À la recherche du temps perdu. Sensible aux arts décoratifs dès sa jeunesse, Bakst intègre leur logique à toutes ses créations, qu’elles soient picturales ou appliquées, et n’hésite pas à collaborer avec le parfumeur François Coty ou le maître-verrier et grand bijoutier René Lalique. La richesse chromatique de sa palette et son goût du détail ornemental créent un style inédit en constant renouvellement qui synthétise les avancées de son époque et les recherches qu’il fait pour les spectacles auxquels son nom est associé. Ainsi, hanté par sa rencontre avec Piotr Tchaïkovski à l’occasion de la création de La Belle au bois dormant en 1890, Bakst ne cesse-t-il de revisiter le conte de Perrault. Il le porte à la scène à New York, Londres et Paris et l’illustre sur les panneaux décoratifs de la demeure londonienne de James de Rothschild. En 1921, l’écharpe avec laquelle la danseuse Caryathis - la future Elise Jouhandeau - joue sur l’affiche qu’il crée pour un spectacle d’Erik Satie résume l’esthétique de ses dessins représentant les bacchantes de Narcisse et Nijinski dans L’Après-midi d’un faune.

La mondanité et la mode
Dès 1889, Bakst, alors âgé de 23 ans, est introduit dans la société aristocratique de la Russie impériale. L’un de ses premiers élèves et mécènes, le comte Dimitri Benckendorff, le présente au grand duc Vladimir Alexandrovitch, président de l’Académie impériale des beaux-arts et frère du Tsar Alexandre III. Plus tard, Bakst monte des spectacles à Saint-Pétersbourg pour le Tsar Nicolas II et son épouse. En France, à partir de 1909, Bakst fréquente Robert de Montesquiou, l’arbitre des élégances parisiennes, qui compose des poèmes sur lui. Il devient un familier des salons du Faubourg Saint-Germain où se retrouvent la comtesse Greffulhe, Misia Sert ou la marquise Casati. Il décore l’intérieur de celles qui deviennent ses principales commanditaires et, à l’occasion, les dessine et les peint. Son art du portrait, parfois alimentaire, panache toujours réalisme et stylisation. À la même époque, le travail de Bakst pour la scène influence des couturiers comme Paul Poiret, tandis que d’autres créateurs de mode font directement appel à lui. Ainsi, donne-t-il à Jeanne Paquin une collection intitulée « Fantaisies sur le costume moderne ». Bakst se fait encore « théoricien » lorsque les journaux, comme Vogue, lui demandent son avis sur les tendances de la mode féminine. Il imagine enfin, à l’usage de la marquise Casati, des tenues excentriques ou spectaculaires pour des bals à thème, et pour Misia Sert, des modèles de chapeaux pour la vie ordinaire.

Influence et postérité
Dès les années 1910, le style Bakst fait école à Paris, Londres, Monte-Carlo ou New York. Comme l’écrit Jean Cocteau : « Le triomphe de Léon Bakst vint balayer nos scènes et substituer à la poussière grise une poussière nouvelle, poussière d’or et de vives couleurs. » Bakst est imité, parfois jusqu’à la parodie, par George Barbier, Joseph Pinchon, Maxime Dethomas et Jean-Gabriel Domergue qui travaillent dans son sillage, à l’Odéon, à l’Apollo ou à l’Opéra. L’artiste ne manque pas de s’en plaindre amèrement dans sa correspondance.
Par ailleurs, Bakst a un atelier et des élèves auxquels il apprend, comme le rapporte son disciple Marc Chagall, la nécessité de ne pas le copier et d’être d’abord eux-mêmes. Parmi eux, le metteur en scène et décorateur André Barsacq, et André Bakst, son fils, qui a travaillé pour le théâtre et le cinéma. L’influence de Bakst se fait encore sentir dans le milieu de la haute couture et continue, jusqu’à nos jours, à inspirer les artistes les plus divers : Yves Saint Laurent, mais aussi Christian Lacroix, John Galliano pour Dior ou Karl Lagerfeld pour Chloé lui ont rendu hommage à travers leurs créations. Pour avoir lui-même puisé au plus près de sources archaïques qu’il a su s’approprier, le génie de Bakst a saisi, à travers des oeuvres éphémères, non pas la mode, mais l’indémodable.