contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Andres Serrano” article 2042
à la Maison Européenne de la Photographie, Paris

du 9 novembre 2016 au 29 janvier 2017



www.mep-fr.org

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition, le 24 novembre 2016.

2042_Andres-Serrano2042_Andres-Serrano2042_Andres-Serrano

Légendes de gauche à droite :
1/  Andres Serrano, Jewel-Joy Stevens, America’s Little Yankee Miss (America), 2001-2004. © Andres Serrano. Courtesy Galerie Nathalie Obadia. Paris/Bruxelles.
2/  Andres Serrano, White Nigger (The Interpretation of Dreams), 2000-2001. © Andres Serrano. Courtesy Galerie Nathalie Obadia Paris/Bruxelles.
3/  Andres Serrano, Jack RainMaker-Munsee/Lenape (Native Americans), 1996. © Andres Serrano. Courtesy Galerie Nathalie Obadia Paris/Bruxelles.

 


2042_Andres-Serrano audio
Interview de Jean-Luc Monterosso, directeur de la Maison européenne de la Photographie,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 24 novembre 2016, durée 9'56". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Figure majeure de la scène artistique contemporaine, Andres Serrano révèle, à travers ses photographies, une réalité souvent dérangeante. L’exposition propose un panorama très humain de ses portraits, résolument contemporains mais qui évoquent également la peinture des grands maîtres du passé, du Titien ou Delacroix à Tintoret, Vélasquez ou Courbet.

L’exposition s’ouvre sur une sélection d’oeuvres de la série America, inspirée par la tragédie du 11 septembre, qui témoigne de la volonté d’Andres Serrrano à « contribuer au débat sur l’identité américaine dans sa diversité, en mêlant les âges, les genres, les milieux, les confessions ». L’exposition présente ensuite des portraits de sa série The Klan — pour laquelle il a approché des membres du Ku Klux Klan, réalisant des images d’une troublante beauté, empreints d’ambivalence — puis une sélection d’oeuvres de The Interpretation of Dreams, de portraits de Native Americans ainsi que des oeuvres de Cuba.

La deuxième partie de l’exposition s’organise autour de son travail sur les sans-abri, avec une installation de son projet Signs of the Times — des pancartes en carton des sans-abri qu’Andres Serrano a recueillies —, ainsi qu’un ensemble de portraits new-yorkais, Nomads et Residents of New York, et bruxellois, Denizens of Brussels, dont une partie est révélé en France pour la première fois. Par son regard unique et par la force de ses photos, Andres Serrano nous invite à regarder et à réhumaniser ces hommes et ces femmes devenus invisibles aux passants que nous sommes.

Comme l’artiste l’avait expliqué en 1990, en réalisant sa série Nomads :
« J’avais besoin d’être confronté à mes propres malaises quant aux conditions sociales qui envahissent tous les centres urbains. Nous passons tant de temps à ne pas regarder ces gens. Je voulais montrer leur dignité, celle des indiens d’Edward Sheriff Curtis au XIXe siècle, et les réintroduire dans la société dont ils avaient été bannis. »
Ces portraits monumentaux — souvent d’une beauté déroutante, tels des anges déchus de Géricault ou du Caravage — résonnent actuellement avec une intensité particulièrement forte, dans une Europe face à la crise des réfugiés et dans laquelle se développe parfois la peur de l’autre.




Les séries présentées avec les textes d’Andres Serrano

Nomads, 1990
« Les Nomads sont inspirés à l’origine par Edward Curtis et par ses portraits magnifiques des Indiens d’Amérique. Il a passé pratiquement toute sa vie à photographier ces tribus et a réalisé plus de 40 000 photogravures qui sont très connues. J’ai réalisé les Nomads dans le même esprit. Ce sont des portraits en gros plans de sans-abri que je rencontrais tard dans la nuit, dans le métro de New York. J’installais une toile de fond et nous réalisions des portraits d’atelier avec flash, comme je fais la majorité de mes oeuvres. L’idée, c’est qu’à un moment de sa vie, n’importe qui peut entrer dans un atelier de photographe et faire faire son portrait, mais les sans-abri ne peuvent pas le faire et j’ai donc amené l’atelier jusqu’à eux. J’aime prendre les gens hors de leur environnement et les emmener dans le mien. Si je devais parler de mon rapport avec le modèle dans toute ma carrière, et pas uniquement pour cette série, je dirais qu’en général je place les personnes en face de moi et j’attends qu’elles se révèlent par elles-mêmes. Ça peut prendre cinq minutes, comme ça peut prendre une heure, ça dépend du temps que j’ai. Avec les Nomads, je devais travailler rapidement. J’ai toujours dit que ma relation avec mes modèles passe par les photographies : en d’autres termes, le plus souvent, les modèles viennent, mes assistants installent l’équipement et ils prennent un polaroid. Je ne rencontre moi-même le modèle que lorsque je suis prêt à prendre la photo : pour moi, c’est le moment le plus important. C’est à ce moment-là que je commence à connaître cette personne : en prenant la photo. J’en arrive même à mieux les connaître après avoir pris la photo, je vis avec ces images pendant des années, et ils deviennent ma famille, mes amis, mes souvenirs, mon art. »

Native Americans, 1996
« Je suis un grand admirateur d’Edward Curtis qui a pris certaines des plus belles photographies qui soient des Indiens d’Amérique. Sous son objectif, on découvre à la fois des individus et des symboles. Je m’étais déjà inspiré de son travail en 1990 pour Nomads. J’y suis revenu pour la série Native Americans qui témoigne aussi de ma passion pour la construction de l’image par le costume. À travers celui-ci une série de pratiques qui remontent à la nuit des temps prend corps. Et, simultanément, ce travail de mémoire recoupe un mode de vie actuel. Ces personnes donnent des spectacles ou participent à des reconstitutions historiques. Pour cela, elles s’habillent de manières différentes et disposent donc d’un grand nombre de costumes qui n’ont plus le sens qu’ils avaient à l’époque de Curtis mais qui transforment leur personnalité. Mes portraits représentent ainsi des symboles en même temps que des individus. »

The Klan, 1999
« Juste avant les photos du Klan, j’avais fait la série Nomads. Je sentais qu’il y avait une grande force dans ces portraits et me sentais donc parfaitement à l’aise à l’idée d’en faire d’autres. Je voulais continuer, mais je voulais réaliser un portrait inhabituel. Je me suis dit que quelqu’un de masqué créerait un portrait inhabituel puisque par définition un portrait a pour but de dévoiler en non pas de cacher. Et en pensant à quelqu’un de masqué, j’ai automatiquement pensé au Ku Klux Klan. Le fait que je ne sois pas blanc – je suis hispanique – transformait en défi ce travail avec des membres du Klan ; plus un défi pour eux que pour moi, d’ailleurs. Certaines personnes ont considéré ça comme une provocation. Ce n’était pas une provocation, ce n’était pas un affrontement : c’était juste le désir de les regarder droit dans les yeux et de les représenter de la façon dont ils se voient. Je photographie habituellement des personnes auxquelles je m’identifie d’une manière ou d’une autre, même si ce ne sont pas les meilleures personnes qui soient. Je considère le Klan comme l’outsider et je m’identifie à l’outsider. Pour certains ce sont de mauvaises personnes et pour d’autres pas. Je me souviens m’être senti mal à l’aise quand mon assistant Richard Sudden m’a dit : “On dirait presque des affiches de recrutement pour le Klan”. L’idée que quelqu’un puisse y voir du positif m’a fait réfléchir, mais j’ai toujours dit que mon travail est ouvert à l’interprétation. L’interprétation n’est pas quelque chose que je peux, ni ne veux, contrôler. Une des choses les plus drôles que j’ai entendues fut lors de ma rencontre avec David Holland, l’Imperial Wizard. On m’avait dit de le rencontrer la nuit dans un coin reculé. Une voiture allume ses phares et deux hommes en sortent. Un type se tourne vers l’autre et lui dit : “Voici le célèbre Andres Serrano”. Je me suis dit : “Wow ! Le chef du Klan m’appelle célèbre, voilà quelque chose”. »

The interpretation of dreams, 2000-2001
« Avec The Interpretation of Dreams, j’ai choisi ce titre à dessein comme une opportunité offerte pour créer des images qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. J’étais vraiment libre ainsi d’expérimenter, d’explorer et de laisser aller mon imagination sans les limites imposées par une série. J’étais un grand fan de Freud quand j’ai découvert son oeuvre – j’avais onze ou douze ans. La raison pour laquelle j’étais attiré par Freud, c’est que ma mère avait eu plusieurs crises psychotiques quand j’étais très jeune – ça a commencé quand j’avais environ cinq ans. Elle était normale et puis tout d’un coup elle avait une crise, elle perdait la tête pendant deux semaines, puis elle redevenait normale. J’ai toujours essayé de comprendre ce qui se passait dans sa tête, mais je n’y suis jamais arrivé. Je crois que lire Freud quand j’étais très jeune c’était un désir, une tentative pour comprendre ce que c’était que la folie. »

America, 2001-2004
« America est une vaste enquête sur ce que l’Amérique signifie pour moi. Cette série a vu le jour comme conséquence du 11 septembre, les attaques contre l’Amérique en tant que pays. Avec America, j’ai voulu définir l’Américain et j’ai commencé avec les symboles évidents du 11 septembre — le pompier, l’agent de police, le soldat — et par un homme qui est un Sikh, mais qui ressemble à un Taliban (car nous étions tous préoccupés par le retour des Talibans en 2001). Ensuite, je me suis mis à photographier des professions — le cowboy noir —, et puis je suis passé des professions aux travailleurs, à la classe moyenne, aux classes les plus défavorisées — des sans-abri —, aux riches (Donald Trump) et à la fin aux célébrités (Snoop Dog…). Il y a plus de cent portraits dans cette série. Un autre photographe que j’admire, c’est August Sander. J’ai essayé de le faire à mon échelle avec le peuple américain ce qu’il a fait avec le peuple allemand. Cela offre un catalogue d’humanité. La différence entre mon travail et le sien, c’est que mon travail est surtout réalisé en studio. Cependant j’ai souvent trouvé moi-même ces personnes dans la rue et je leur ai demandé de me suivre dans mon studio. Par contre j’avais une liste, et Cynthia Karalla, une amie (et artiste) travaillant avec moi sur ce projet, s’est assurée que presque tout le monde soit sur cette liste. J’ai réalisé America pour moi-même ; je ne l’ai pas fait pour le monde de l’art, je ne l’ai pas conçu comme une exposition qui pourrait être intéressante pour le monde de l’art. Après le 11 septembre, j’ai dit à un ami : “Je veux m’enrôler dans l’effort de guerre, comme artiste” et c’est ce que j’ai fait. Je pense que le monde de l’art n’aime pas les mots “religieux” ou “patriotique”, mais je sens que je suis ces deux choses à la fois — je suis religieux et patriote. Pour moi, America était ma déclaration sur l’Amérique. Juste avant l’ouverture de l’exposition à la galerie Paula Cooper, à New York, j’ai croisé Nancy Spero et lui ai parlé du sujet. Elle m’a demandé : “L’Amérique de qui ?”. J’ai ri et ai répondu : “Mon Amérique bien entendu !”. »

Cuba, 2012
« On fait beaucoup de confusions à mon sujet et sur mes origines. Des gens ont dit : “Oh, il est Cubain, il est Haïtien, il est Portoricain”, mais je ne suis rien de tout cela : je suis un Newyorkais. Je suis né à New York, je suis un Américain. Quand la série America est sortie, un magazine me félicita de “rendre hommage à mon pays d’adoption”. J’ai appelé le rédacteur et ai hurlé sur lui : “D’où crois-tu que je viens ?”. Il y a une tendance aux États-Unis que j’appelle le “syndrome Obama” et qui consiste à refuser, pour certaines personnes, de vous accepter en tant que “vrai” Américain, vous devez être d’ailleurs. Vous êtes “un Américain mais avec une explication”. Ma mère, qui est née à Key West, a grandi à Cuba ; quand elle est venue aux États-Unis à la fin des années 1940, elle avait déjà 27 ou 28 ans, elle n’a jamais appris à parler anglais, donc je suis né à New York et j’ai dû apprendre l’espagnol, car c’était la seule langue qu’elle connaissait. La raison pour laquelle Cuba était particulièrement important pour moi, c’est que quand j’étais gamin, Cuba et Cubain étaient considérés comme des gros mots. Quand j’étais enfant, et même après, j’avais tout le temps peur d’être stigmatisé parce que j’avais du sang cubain. J’ai souvent pensé aller à Cuba, mais je voulais y aller pour une raison précise. En 2012, à l’occasion de la Biennale de La Havane, j’ai décidé de faire mon premier voyage à Cuba. La véritable raison était en fait de prendre des photos. J’avais besoin de découvrir Cuba à travers mon objectif. Quand je suis arrivé là-bas, j’ai réalisé qu’il était inutile pour moi d’aller dans un studio et de faire seulement du travail de studio. J’ai donc fait de Cuba mon studio. Le pays m’a ému. J’étais impressionné par ce que je voyais et je voulais faire une image de Cuba qui soit très différente de l’image habituelle, des choses que nous voyons dans les livres, les voitures romantiques des années 1950, les beaux paysages et les vieilles maisons coloniales : je voulais prendre des photographies qui expriment quelque chose qui soit différent de cette vision de Cuba. Alors j’ai fait des paysages, j’ai fait du portrait (Alicia Alonso, Prima Ballerina et chorégraphe ; Pablo Armando Fernandez, poète et écrivain ; la championne olympique Ana Fidelia Quirot ; la chanteuse CuCu Diamantes ; Mariela Castro, la fille de Raul, et Alex Castro, le fils de Fidel), j’ai fait des intérieurs, j’ai fait ce que je pouvais à Cuba, autant que je pouvais. Après quatre semaines à La Havane, mon visa expirant, je suis retourné chez moi. Mais un mois plus tard, j’y suis retourné, et cette fois j’ai loué une camionnette et j’ai visité tout le pays (Trinidad, Santiago, Camaguey…) parce que je voulais voir plus que La Havane. J’adore voyager à travers le pays. »

Sign of the times, 2013
« Même s’il n’est pas question ici de photographie, Sign of the Times constitue une série à part entière dans mon oeuvre. Elle met en exergue la dimension conceptuelle de mon travail. Derrière chaque “sans-abri” se déploie une histoire qui pourrait être la nôtre. Et cette histoire, souvent, se résume à un carton avec une ou deux phrases. J’ai alors arpenté les rues de Manhattan pour acheter ces Signs que je payais vingt dollars après avoir longuement expliqué à chaque homme et à chaque femme rencontré ce qui était mon intention : collecter ces fragments de vie pour les mettre en espace et en faire un témoignage polyphonique de la misère de notre monde. Durant un mois entier j’ai marché dans New York, j’ai rencontré énormément de personnes, j’ai discuté et j’ai appris à connaître ce monde de la rue qui me ramène à ma position d’outsider. J’en ai tiré une vidéo pour rendre ce développement dans le temps, comme une longue marche dans cette topographie de la misère. »

Residents of New York, 2014
« En 2013 j’avais été invité par More Art, une association qui réalise des installations publiques avec des artistes, afin de faire un projet dans la ville. Je n’étais pas certain de ce que je voulais faire. En automne de cette année, j’ai remarqué de plus en plus de sans-abri dans la rue. À l’époque j’étais intéressé par les signs, les pancartes qu’utilisent les sans-abri pour demander de l’argent. Une fois décidé, More Art a trouvé le lieu d’exposition : la station de métro West Fourth Street. J’ai aimé l’idée de mettre des photos de sans-abri à la place de publicités sur ces murs de métro. À la place d’utiliser mon appareil Mamiya RB 67 (un appareil que j’utilise depuis plus de vingt ans), j’ai décidé de travailler avec une caméra 4x5. J’ai donc engagé Ed Watkins, un spécialiste de cet appareil, comme assistant. Nous avons fait cela dans tout Manhattan en janvier 2014, un des hivers les plus froids de New York. C’était bien comme ça parce que c’était un travail très dur, pas pour les faibles. Si les sans-abri pouvaient supporter le froid, nous le devions aussi. Je ne les ai jamais appelés des “sans-abri”. À la place j’ai choisi de les appeler “Residents of New York”. Même s’ils sont dans la rue, ce sont des résidents de la ville. »

Denizens of Brussels, 2015
« J’ai rencontré pour la première fois Michel Draguet à New York, où il a vu ma photo des Residents en 2014. Après cela, il m’a invité à réaliser une série à Bruxelles. J’ai trouvé intéressant de faire ce travail en Europe. Je savais évidemment qu’il y avait des sans-abri — j’en avais vu beaucoup quand je voyageais dans toute l’Europe, mais quand je suis arrivé à Bruxelles, j’ai rencontré une situation très différente de celle des sans-abri de New York. J’ai choisi de les appeler “Denizens of Brussels”, parce que si vous regardez la définition du mot denizens il indique “une créature vivante (ce peut être une plante, ce peut être un insecte, ce peut être un être humain), mais c’est une créature vivante qui réside dans un endroit particulier”. L’élément vraiment bizarre, surréel, avec eux, c’est qu’ils vivent dans des maisons qu’ils construisent dans le métro, ce ne sont pas seulement des sans-abri, ils ont des choses, toutes sortes de choses. Mais cette série est encore plus actuelle avec la crise des migrants que connaît toute l’Europe, et pas seulement la Belgique. »




À voir également :

Torture d’Andres Serrano
à la galerie Nathalie Obadia - 18 rue du Bourg-Tibourg 75004 Paris
du 10 novembre au 30 décembre 2016

www.galerie-obadia.com





En parallèle, la Maison Européenne de la Photographie présentera plusieurs séries emblématiques de l’artiste à l’occasion d’une exposition personnelle, quelques mois après une grande rétrospective que les Musées Royaux des Beaux Arts de Belgique lui ont consacrée en 2016.

Né à New York en 1950, Andres Serrano a développé une œuvre oscillant entre fascination et provocation. L’artiste s’empare de thèmes fondamentaux : la politique et la société, à travers ses séries The Klan (1990), Nomads (1990), America (2002), Cuba (2012), Resident of New York (2014), ou encore Denizens of Brussels (2015) ; la religion, avec Immersions (1987-1990), The Church (1991), Holy Works (2011), Jerusalem (2014) ; le vivant (Bodily Fluids, en 1990), le sexe (History of Sex, en 1995-1996) mais aussi la mort (The Morgue, en 1992).

La démarche d’Andres Serrano présente une vision du monde tel que nous l’avons créé, nous alertant sur notre époque. Depuis plus de trente ans, il capture l’esprit de notre temps, les contradictions de notre société en y apportant un regard critique, parfois ironique, mais aussi indulgent.

Pour cette exposition, Andres Serrano présente seize œuvres issues de la série Torture, un projet amorcé en 2005, qui fait suite à une commande du New York Times pour illustrer l’article « What We Don’t Talk About When We Talk About Torture » (Ce Dont Nous Ne Parlons Pas Quand Nous Parlons De La Torture). Rédigé par Joseph Lelyveld, ce texte revenait sur le scandale d’Abu Ghraib, une affaire durant laquelle des soldats américains furent accusés de violation des droits de l’homme avec, pour preuves accablantes, des photographies de prisonniers irakiens soumis à la torture.

Ce n’est que dix ans plus tard, en 2015, que l’artiste est contacté par l’organisation a/political qui lui propose un partenariat pour poursuivre la réalisation de la série Torture. Ainsi, il parcourt quinze villes de neuf pays d’Europe, dont l’Angleterre, l’Irlande, la France, l’Autriche ou l’Allemagne, afin de nourrir ses recherches et ses prises de vues.

Il aborde tout d’abord cette série comme «un spectacle et une attraction touristique» en photographiant divers objets historiques dédiés à la torture. Il érige ainsi en œuvre des masques médiévaux, que l’on retrouve dans l’exposition (Fool’s Mask IV, Hever Castle, England - Fool’s Mask and Flesh Gourge, Hever Castle, England - Fool’s Mask III, Hever Castle, England).

Ceux-ci semblent être des expressions figées, incarnations de la torture à la fois brutes, synthétiques et totalement expressives. Paradoxalement, les objets du supplice paraissent terrifiants, hideux, et tout autant fascinants que singuliers. La fonction connue ou supposée de ces objets les rendent encore plus stupéfiants. Ces instruments nous troublent, donnant un visage à la torture qu’ils incarnent et personnifient. L’artiste dira de son travail : « Je choisis de rendre beaux des objets qui mettent mal à l’aise ».

C’est à la « Fonderie », lieu culturel ouvert par a/political en 2013 près de Toulouse, qu’Andres Serrano mettra en scène cette série photographique qui fait référence à de nombreuses techniques de torture à travers le temps. Pour les prises de vue, un nombre significatif de volontaires se proposent, se mettant physiquement à l’épreuve pour faire l’expérience de la torture. Andres Serrano s’étonne : «En faisant ce projet, j’ai découvert que des gens torturent d’autres gens lorsqu’ils ont un pouvoir sur eux. Les modèles se pliaient exactement à ce que je leur demandais de faire». Par son engagement, l’artiste pose alors la question de l’esthétisation de la violence en la mettant en scène.

Par le biais de l’ONG Waging Peace, il est mis en contact avec Fatima, une victime de la torture, dont il propose ici le portrait. Soupçonnée d’aider des rebelles au Darfour, cette femme soudanaise fut emprisonnée et torturée par la police. Avec Fatima, was Imprisoned and Tortured in Sudan (Fatima fut Emprisonnée et Torturée au Soudan), l’artiste exprime son cri silencieux, sa souffrance muette, étouffée et cachée sous son voile.

En Irlande, Andres Serrano a photographié quatre membres présumés de l’IRA (Armée Républicaine Irlandaise) : «Les Hommes Encagoulés» («The Hooded Men»). Dans les années 1970, Kevin Hannaway, Francie McGiugan, Patrick Mcnally, et Brian Twww.galerie-obadia.comey furent emprisonnés par les autorités britanniques. Ils subirent alors des techniques de torture et d’interrogatoire spécifiques telles que la privation de sommeil, d’eau et de nourriture, l’exposition au bruit, ou l’aveuglement quasi-permanent sous une cagoule. Ces quatre hommes survécurent et acceptèrent de poser pour Andres Serrano, de nouveau encagoulés à la demande de l’artiste.

Si l’identité des torturés est niée, la photographie parvient à s’emparer de leur silence et à fixer leur Histoire. En recouvrant les visages des victimes, Andres Serrano crée des non-portraits où les apparences physiques sont recouvertes, les souffrances révélées, laissant alors la douleur de la torture transparaître.

Avec ces œuvres Andres Serrano exprime les différents aspects de la torture comme fascination touristique, la torture pratiquée dans les camps de concentration, la torture comme châtiment ultime. La création de cette série a mené Andres Serrano à endosser simultanément le rôle du tortionnaire et du torturé ; l’expérience artistique à laquelle il nous invite reflète une ambivalence. L’acte de torture est bien réel: interdit en 1949 par la Convention de Genève, près de quatre-vingt-un pays l’appliquent encore.