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“Ricardo Brey” All that is could be otherwise
à la Galerie Nathalie Obadia - Bourg-Tibourg, Paris

du 7 janvier au 25 février 2017



www.galerie-obadia.com

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition, le 7 janvier 2017.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Ricardo Brey, Exilio temporal, 2016. Photographie imprimée sur toile, huile, chaînes, clochettes, bois et métal sur carton contrecollée sur toile cartonnée. 60 x 80 x 3 cm (23 5/8 x 31 1/2 x 1 1/8 in.). Courtesy de l’artiste et Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.
2/  Ricardo Brey, I am not what happened to me, 2016. Photographie imprimée sur toile cartonnée, tissu, plomb, graphite, crayon, métal et boutons sur toile cartonnée. 50 x 70 x 6 cm (19 5/8 x 27 1/2 x 2 3/8 in.). Courtesy de l’artiste et Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.
3/  Ricardo Brey, Mono-no-aware, 2016. Photographie imprimée sur papier, papier métallique argenté vieilli, miroir, métal et pièces sur toile cartonnée. 50 x 70 x 2 cm (19 5/8 x 27 1/2 x 0 3/4 in.). Courtesy de l’artiste et Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Une palette grise, presque monochrome, légèrement tachée d'ocre, de rouge, d'une feuille verte dans un coin, d'un reflet pâle sur un petit éclat de miroir, nous plonge dans un royaume de souvenirs. Des photographies de souches d'arbres imprimées sur des toiles délimitent le cadre, plantent le décor de l'histoire qui va nous être racontée. Ces photos déssaturées jusqu'au noir et blanc, tirant sur le sépia, semblent avoir été trouvées dans un vieil album oublié dans un grenier.

Une deuxième couche s'est sédimentée dessus. Un bracelet fantaisie orné d'étoiles en miroirs, des morceaux de métal plié, compressé, des pièces de monnaies indéterminées tracent une trajectoire en forme de constellation. Ces objets se retrouvent éparpillés sur l'humus de la forêt. Exhumés du tapis de terre et de feuilles mortes, ils sont disposés comme les débris d'un firmament entré en collision avec la terre. Dominos et boutons éparpillés, morceaux de bois noircis par le feu, verre taillé comme un diamant témoignent de la violence de l'impact d'un ange déchu ayant achevé sa chute dans un crash incendiaire. Des bobines de fil rouge et noirs sur des rails de train électrique rappellent le cordon de dynamite de résistants faisant exploser la voie ferrée. L'explosion ici n'a pas encore eu lieu, elle est imminente, intense de la certitude qu'elle est inévitable.

Ricardo Brey dessine à l'aide d'objets glanés, de ces restes que nos vies laissent derrière elles comme les reliefs d'un pique-nique. Ces haïkus sont une forme d'archéologie du hasard, écrits à l'aide de dés et de cartes à jouer déchirées. Mais le hasard n'est qu'une illusion: le destin, qu'il soit passé ou futur est écrit de façon indélébile dans un grand livre aux pages de vieux cartons. Une longue corne noircie ferme cet assemblage comme une aiguille qui en aurait cousu la reliure.

Un grand nid de couvertures de feutre et de vieux manteaux renferme de grand œufs d'autruche. Les coquilles brisées de ceux qui ont éclos se mêlent aux restes d'un saxophone, à des plaques minéralogiques automobiles, des fragments de vaisselle, quelques épingles à nourrice, des milliers de boutons. La naissance a lieu sur ce qui reste des morts. Quoi de plus dérisoire qu'un bouton, pourtant il semble que c'est tout ce que nos vies laissent derrière elles, ce que les archéologues du futur trouveront comme traces de notre civilisation, comme ossements autour desquels reconstituer qui nous avons été.

Pour tenter d'éclairer quelque peu ce jeu de pistes, l'artiste laisse des diagrammes, codex tracés d'un noir de charbon, en traits et masses brûlés dans l'épais papier. Le ciel, l'enfer, les profondeurs de la terre sont disséqués en cercles concentriques, les couches successives classifiées, dûment annotées d'une écriture de manuscrit médiéval. En guise d'enluminures, des rouages d'horlogerie, les petites étoiles métalliques d'un uniforme militaire, des débris de corde. Entre bible et grimoire d'alchimiste, science et religion se confondent en formules magiques. L'univers si bien réglé continue de tourner, jusqu'à la prochaine collision.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

La Galerie Nathalie Obadia est très heureuse de présenter l’exposition de Ricardo Brey All that is could be otherwise, après celle de la galerie de Bruxelles en 2014 avec Kicking the can down the road.

Ricardo Brey, né à la Havane (Cuba) en 1955, vit à Gand en Belgique depuis 1991. Il est un des artistes cubains les plus influents sur la scène internationale. Dans les années 1980, il fut l’un des membres actifs de Volumen I. Ce collectif composé par de jeunes artistes, né à l’occasion d’une exposition à la Havane en 1981, signa l’acte de naissance de l’art contemporain cubain d’avant garde après la Révolution de 1959. Les oeuvres de ses membres se distinguèrent du courant officiel du réalisme socialiste cubain en proposant une pratique artistique davantage conceptuelle et de nouvelles formes d’art. C’est lors de la troisième Biennale de la Havane, en 1989, que Jan Hoet découvre le travail de Ricardo Brey et qu’il l’invite à participer à la Documenta IX de Kassel en 1992. La présence de l’artiste dans cette exposition confère à sa carrière une dimension mondiale.

En 1985, Ricardo Brey voyage aux Etats-Unis. Pendant une période de quatre mois, il produit des oeuvres qu’il présente à la Amelie Wallace Gallery (State University of New York) et rencontre des artistes New Yorkais. Il partagea aussi le quotidien précaire des Indiens du Dakota du Sud. Cette expérience au sein de leur vie difficile a marqué l’oeuvre de l’artiste du sceau du vivant et de la nature, auxquels ces communautés sont particulièrement sensibles. Cela poussera aussi Ricardo Brey à une introspection personnelle quant à ses racines afro-cubaine. Son travail, des années 1980-1990, est ainsi pénétré de références à tous les éléments composant le monde et à un point de vue holistique qui le guide encore aujourd’hui.

Fort de ses racines nigériennes et espagnoles, proche du chamanisme et de ses pérégrinations aux quatre coins du monde, Ricardo Brey multiplie les évocations au sein de son oeuvre. L’artiste propose une réflexion sur la relation entre l’homme et la nature, l’interaction entre les différentes cultures et religions ainsi que la culture identitaire dans nos sociétés contemporaines. Dans un univers confrontant poésie, science et mythe, son travail fait notamment écho à la théorie du structuralisme de Claude Levi-Strauss (1908 - 2009), à l’oeuvre du réalisateur russe Andreï Tarkovski (1932 - 1986) ou encore au Hagakure, cette compilation de pensées et d’enseignements du samouraï Jōchō Yamamoto (Japon, XVIIIe siècle).

L’exposition à la galerie All that is could be otherwise mettra en avant plusieurs grands thèmes propres à l’oeuvre de Ricardo Brey. Dans ses travaux les plus récents la figure de l’arbre est souvent interrogée, jonchée de fragments, entourée de parcelles d’objets ou encore partiellement recouverte. L’artiste s’inspire directement de la place de la végétation à Cuba, où ont été pratiquées des déforestations massives. Ces clichés de souches, souvent imprimés sur toile, offrent des images puissantes intensifiées par l’ajout d’objets, comme dans les oeuvres Sea Level (2016) ou Àrbol Cortado y escombros(2013-2014).

Birdland est une pièce centrale dans le travail de l’artiste, réunissant des sujets récurrents et des pensées au sein d’une seule oeuvre, en combinant des références à la musique et à la nature. L’installation, mais aussi l’oeuvre de l’artiste en général, impliquent l’esprit libre d’association emprunté à l’univers du Jazz «(…)des pensées qui se croisent, qui vont et viennent dans différentes formes pendant des années». « Birdland est le nom d’un lieu mythique pour tous les musiciens de jazz. Au milieu d’un nid fait de manteaux et de déchets urbains, entouré d’oeufs d’autruche, se trouve un saxophone, dressé comme un cygne », explique Ricardo Brey à propos de cette installation. L’oiseau, ou ses oeufs, sont aussi fréquemment présents comme une métaphore poétique de la liberté et d’une extension vers l’ailleurs (notamment avec l’oeuvre The Tourist, 2016).

Les oeuvres sur papier matérialisent une véritable réflexion liée aux « photographies-sculptures » et aux installations de l’artiste. Pour lui, la feuille est un support qui constitue un espace où le format est limité mais où la matière envahit la surface en lui donnant du poids, en rendant physiques des images, des idées et des pensées. Dans son oeuvre Inferno (2016), il fait notamment référence au texte Dos lecciones infernales (XVIIème siècle) de Galileo Galilei (1564-1642) duquel il extrait des mots ou des passages afin de matérialiser des idées, des sons et des pensées qui l’inspirent. La feuille devient un territoire où la main de l’artiste laisse une trace dans le monde. L’oeuvre sur papier est un objet à part entière. Il est synonyme d’une liberté de temps, de lieu et d’espace.

Avec l’exposition All that is could be otherwise, Ricardo Brey retient le mot coréen « Hallyu » qui assimile la rapidité de diffusion de la culture au mouvement d’une vague. Dans leur ensemble, les oeuvres de l’artiste nous intriguent, nous bouleversent autant qu’elles nous échappent. L’artiste produit des images globales et nous fait nous questionner sur nous-mêmes et notre relation à un monde tumultueux. Son travail est le reflet de ses interrogations à propos de grands thèmes tels que le langage, l’image, la rêverie, la culture, la connaissance, le temps et les liens entre l’ordre, le chaos, la raison et l’irrationnel. C’est dans un flot ininterrompu de pensées et de signes que Ricardo Brey construit et déconstruit une oeuvre spirituelle et résolument poétique.