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“Sous le regard de machines pleines d’amour et de grâce” article 2073
au Palais de Tokyo, Paris

du 3 février au 8 mai 2017



www.palaisdetokyo.com

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 2 février 2017.

2073_machines2073_machinesLégendes de gauche à droite :
1/  Isabelle Cornaro, Celebration, 2013. Trois films, images en 16 mm transférées sur DV et extraits de films d’animation, couleur, muet. Capture d’écran. Courtesy de l’artiste et Galerie Balice Hertling (Paris) ; Galerie Francesca Pia (Zurich) ; Hannah Hoffman Gallery (Los Angeles). © ADAGP, Paris 2016.
2/  Richard Brautigan, All Watched Over by Machines of Loving Grace, 1967. Impression sur papier, 21,6 x 28 cm. Collection Craig V. Showalter (USA).

 


2073_machines audio
Interview de Yoann Gourmel, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 2 février 2017, durée 15'02". © FranceFineArt.

 


texte de Mireille Besnard, rédactrice pour FranceFineArt.

Dans le prolongement d’un fantasme d’harmonie totale psalmodié par Brautignan, le long d’une boucle rebondissant sur les 6 épisodes de Marie-Mathématique, la proposition curatoriale de Yoann Gourmel jongle entre entropie négative et bonheur cybernétique.

Ce parcours maniant la circularité, le centre labyrinthique (Lee Kit) et le fond caverneux (Marjorie Keller), prend sa source dans les utopies machinistes d’après-guerre, poétiquement raillées par un représentant de la Beat Generation, et plus encore par le trio Forest, Gainsbourg et Ruellan.

Si Brautignan laisse planer la probabilité d’un avenir harmonieux, tant bien même soit-il orchestré par des machines, ses successeurs, presque tous quarantenaires, ont , cinquante ans plus tard, perdu cette impulsion optimiste.

L’univers de Mika Tajima nous baigne encore dans les beautés de lumière et de couleur, sa production cybernétisée, indexée sur le cours de l’or et sur l’activité sonore de sites industriels désaffectés nous plonge dans une boucle pernicieuse. Cette interconnexion « art-industrie-finance-émotion », à peine visible, se dilue dans des formes séductrices.

Au contraire, Pedro Barateiro, Lee Kit et Michael E. Smith nous laissent avec des formes plus sèches. L’objet, ready-made scénarisé (Lee Kit), sculpture-socle uniformisée (Pedro Barateiro) ou enveloppe animale moulée ou naturalisée (Michael E. Smith) ne remplit plus sa fonction de contenant émotionnel, si ce n’est sous la forme d’un sourire figé.

Enfin, les vidéos d’Isabelle Cornaro et de Marjorie Keller en décontextualisation ou en désolidarisant les éléments de prises de vue ou de montage, scénarisent sous des formes évoquant l’obsession, la dissolution de la personne dans l’objet.

Un peu à contretemps, Marie Lund propose quant à elle des pièces qui replacent l’objet, coquille ou membrane, œuvre d’art ou objet utilitaire, dans ses usages protecteurs, à l’abri de la voracité des marchands.

Mireille Besnard

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Yoann Gourmel



Avec : Pedro Barateiro, Richard Brautigan, Isabelle Cornaro, Marjorie Keller, Lee Kit, Marie Lund, Michael E. Smith, Mika Ta jima, Marie Mathématique (Jacques Ansan, Jean-Claude Forest, Serge Gainsbourg, André Ruellan)

Conçue suivant un parcours composé de différentes « zones affectives », « Sous le regard de machines pleines d’amour et de grâce » réunit plusieurs artistes qui interrogent les impacts de l’économie de marché et des nouvelles technologies sur la fabrique de nos émotions et de leurs représentations.

En 1967, l’écrivain américain Richard Brautigan distribue dans les rues de San Francisco un court poème intitulé « All Watched Over by Machines of Loving Grace ». Il y décrit une harmonie « mutuellement programmée » entre les machines, les animaux et les êtres humains. Une utopie toutefois condamnée à échouer « sous le regard de machines pleines d’amour et de grâce ». Cinquante ans plus tard, si les machines sont partout, elles se sont paradoxalement effacées en intégrant tous les aspects de nos environnements de travail et de nos espaces domestiques.

À l’heure de l’Internet des objets, de l’économie numérique et de la marchandisation des affects, les oeuvres, pour la plupart inédites, présentées au sein de cette exposition reflètent l’influence des échanges monétaires, des flux de données numériques et des mouvements de marchandises, sur la fabrique de nos émotions, de leurs valeurs et de leurs représentations.

La sociologue Eva Illouz a recours à l’expression de « capitalisme émotionnel » pour décrire « une culture dans laquelle les pratiques et les discours émotionnels et économiques s’influencent mutuellement, aboutissant à un vaste mouvement dans lequel les affects deviennent une composante essentielle du comportement économique et dans lequel la vie émotionnelle obéit à la logique des relations et des échanges économiques ».1

Si les oeuvres de l’exposition s’appuient sur des structures abstraites ou matérialisent des processus économiques invisibles, elles n’en sont pas moins imprégnées d’empathie et de subjectivité. Paraissant dotées d’attributs psychologiques, elles reflètent la modélisation de nos imaginaires et la transformation de nos affects en logos, en produits ou en arguments de vente, témoignant d’une forme de réification de nos émotions et de nos relations sociales.

« Tout au long du développement de notre système économique, nos comportements, nos relations sociales, nos expériences émotionnelles ont constamment — et de façon croissante — été conditionnés par les objets, les architectures, et plus récemment par les technologies de l’information et les flux de données. Disséminées dans les moindres aspects de nos vies, l’économie de marché et l’économie numérique ont généré de nouvelles formes de sociabilité et d’organisation du travail, liant consommation et production, loisirs et travail, corps et machines, sphères publiques et privées, objets et sujets, marchandises et émotions… Pour autant, si les sentiments les plus basiques et partagés ont été réifiés et exploités pour devenir des produits, transformant des expériences quotidiennes en exercices de médiation commerciale, se sentir heureux, en colère, triste ou seul pourrait bien demeurer le plus petit dénominateur commun d’une humanité "sous le regard de machines pleines d’amour et de grâce". » Yoann Gourmel


1. Eva Illouz, Les Sentiments du capitalisme, Editions du Seuil, Paris, 2006