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“Gao Bo” Les offrandes. 高波 | 谨献
à la Maison Européenne de la Photographie, Paris

du 8 février au 9 avril 2017



www.mep-fr.org

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 7 février 2017.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Gao Bo. © BoSTUDIO. Photo by Ma Xiao Xiao.
2/  Gao Bo. © Danielle Schirman.
3/  Gao Bo. © BoSTUDIO. Photo by Ma Xiaochun.

 


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Interview de Gao Bo,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 5 février 2017, durée 14'45". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires d’exposition :
François Tamisier, Na Risong et Jean-Luc Monteroso




Artiste né en 1964 dans la province du Sichuan en Chine, Gao Bo vit et travaille à Pékin.

Depuis plus de trente ans, Gao Bo modèle son oeuvre, aux frontières de la photographie, de l’installation et de la performance. Il découvre sa vocation après un premier voyage au Tibet en 1985, où il réalise une série de portraits d’un classicisme et d’une maîtrise saisissants. Intrigué par cet ailleurs, confronté à une altérité dans laquelle il décèle instantanément une profonde familiarité, Gao Bo retourne plusieurs fois au Tibet au cours des années 1980 et 1990. Il immortalise les rites millénaires des moines bouddhistes, la vie quotidienne d’un peuple empreint de spiritualité, dans ce paysage minéral et grandiose, entre ciel et terre.

Très vite, nourri autant des préceptes de Marcel Duchamp que de la pensée de Lao Tseu, Gao Bo ressent les limites de sa pratique photographique et entame un processus de questionnement et de réinvention autour de son travail. Utilisant le matériel photographique produit au cours de ses premiers voyages au Tibet, il reprend ses tirages et les recouvre d’encre, de peinture et de son propre sang. Au fil des années, les interventions de l’artiste sur les photographies se font de plus en plus extrêmes et flirtent avec la performance, allant jusqu’à recouvrir de peinture noire des tirages monumentaux, ou à brûler entièrement une série de portraits de condamnés à mort pour en récolter les cendres. Gao Bo n’a de cesse de repousser les limites du medium photographique, questionnant la disparition, la trace et le renouveau possible à travers un processus créatif aux frontières de la destruction.

La Maison Européenne de la Photographie consacre une grande rétrospective du travail de Gao Bo, des premières photographies tibétaines aux installations les plus récentes, la plupart présentées pour la première fois en Europe. Cette exposition met en lumière les thèmes chers à l’artiste et s’attache à révéler les spécificités de sa démarche, mêlant cheminement conceptuel et recherche plastique.




Gao Bo, une écriture libérée. Texte de François Tamisier, co-commissaire de l’exposition.

Pousser les lourdes portes de métal de l’atelier de Gao Bo, franchir l’imposant mur de béton et entrer. Je suis aussitôt saisi par le profond silence et la douce lumière qui y règne. Le temps semble retenu, l’espace disponible pour accueillir l’acte de création. Lieu propice à l’exploration de la pensée et à l’écriture.

Loin de la ville bruyante de Pékin, au coeur d’un modeste village blotti sur les pentes de la montagne protectrice, l’atelier de Gao Bo dégage une énergie puissante. La rencontre avec Gao Bo est bouleversante. C’est un temps d’engagement de la parole, un moment de basculement éveillé de l’esprit, au delà des terreurs destructrices…

L’homme est en colère. Une de ces colères profondes qui oblige à l’éloignement, au retrait du monde, à l’abnégation. Une colère porteuse du sentiment de l’urgence à agir. En marge de l’urbanité, Gao Bo est en sursit de la réalité politique du monde et de ses vanités. Témoin des violences que s’infligent les peuples, l’homme doute profondément de la réalité de la beauté de l’alliance de la nature humaine à celle de la nature qui nous accueille. Dans cette architecture monacale qu’il a bâtie, reclus déjà depuis de nombreuses années, Gao Bo expérimente inlassablement et méthodiquement la pensée comme processus de survie et de renaissance. Il souffre de la force négative des préjugés, et rejette définitivement l’idée même de création que revêt son travail au quotidien. Gao Bo revendique l’univers de la pratique de l’art comme projet global de vie, immédiat, hors de toute stratégie futile et vaine. Simplement la permanence de l’acte de l’art comme un parcours de murissement et de maturation, comme une naissance au monde de sa propre nature.

Pour explorer la complexité des relations entre nous, entre nous et la nature, les instruments qu’utilise Gao Bo sont la photographie et l’écriture, dans un même temps, dans un même mouvement. La photographie de la figure humaine, du corps, du regard… et l’écriture automatique constituée des non-mots. Une écriture faite de phrases ouvertes… Une écriture nourrie de typographies variées, déformées, inventées, accumulées et appliquées avec force au coeur de l’image. L’écriture de Gao Bo est hors territoire. Elle prolonge l’espace opératif du mot et de la phrase dans la non-origine. Le travail de Gao Bo s’affranchit du concept des frontières… La toile tendue sur châssis est le lieu de création de Gao Bo. Territoire du noir et du blanc, territoire des dualités. Surface sous tension photographique de la représentation humaine. Image envahie par l’écriture qui ouvre immédiatement la perception de l’oeuvre à d’autres univers que sont la poésie, la philosophie, la musique…

Parcourir l’atelier de Gao Bo c’est faire face à de multiples visages dont la réalité est transfigurée par le regard questionnant inquiet de Gao Bo. L’instantanéité de la prise de vue photographique est la marque du passé. C’est désormais une impossible représentation de la réalité de l’actualité de l’instant présent. Alors, sitôt la prise de vue faite, Gao Bo s’acharne à la transformer, à y inscrire sa peinture. Ratures, griffes, coulures, l’image iconique humaine se floute jusqu’à disparaître. Puis les mots envahissent l’image libérée de sa représentation, mêlant interrogation et réalité ultime. Parcourir l’atelier de Gao Bo c’est aussi se glisser entre des surfaces immenses d’où émergent les corps. L’éclat de leurs regards me fascine et me cloue tout à la fois, brusquement. Confrontation immédiate de l’espace de la représentation de l’autre à notre propre personnalité, dans le silence de notre intimité. Immensité de l’oeil, partage des regards, regards du regard, nos identités se mesurent, se comparent et se côtoient. L’oeil construit l’espace du tableau. Il vide de tout sens les lieux autour de soi. L’oeil nous capte et nous ordonne de nous arrêter, de nous interroger. Il nous soumet à nous même, à notre unicité, à notre solitude dans le doute du devenir.

Parcourir l’atelier de Gao Bo c’est accepter de passer derrière l’image, de la traverser, de prendre du recul pour mieux la comprendre, l’apprécier et l’accepter jusqu’à la faire sienne. Et parfois au détour de cimaises multiples, se dissoudre soi-même dans une représentation au travers du miroir. Le miroir, comme invitation que nous propose Gao Bo de prendre place dans son oeuvre, de prendre conscience de notre propre nature immergée dans l’expression de ses interrogations les plus violentes.

Le monochrome inonde l’atelier de sa lumière recomposée. Les œuvres s’accumulent dans un ordre majestueux. Les dimensions sont immenses. Les oeuvres sont associées, additionnées, combinées pour mieux exprimer le désir d’humanité rêvée. Au-delà du jeu incertain des ombres et lumières, la matière envahit l’atelier. Os, pierre, poussière… , flamme, feux, lueurs… Présence indicible d’une âme, d’un esprit… la lueur des néons bleus et rouges effleurent certaines oeuvres, les désignant comme des témoins particuliers de cette oeuvre monumentale. Puis le sang du corps de Gao Bo prend soudainement place irrémédiablement dans l’oeuvre. Vérité de la nature de l’homme pour avancer dans l’avenir de la création. Matérialité, immatérialité, âme, esprit, culture, connaissance sont les forces de la pensée de Gao Bo.

En quittant l’atelier je découvre une oeuvre répandue au sol, faite de nombreux cailloux imprimés de ces visages déjà rencontrés. Pierres de nulle part, aux formes incertaines, qui portent en elles la mémoire du temps à travers ces regards inscrits pour toujours au coeur du minéral. Mémoire désirée qui nous montre notre destin universel, la disparition de notre nature, la dissolution de notre conscience dans le vide cosmique.