contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Les rencontres de Bernard Plossu” La collection d’un photographe
à la Maison Européenne de la Photographie, Paris

du 8 février au 9 avril 2017



www.mep-fr.org

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 7 février 2017.

2085_Bernard-Plossu2085_Bernard-Plossu2085_Bernard-PlossuLégendes de gauche à droite :
1/  Max Pam, New Delhi,1971. © Max Pam. Collection Maison Européenne de la Photographie, Paris. Don de Bernard Plossu.
2/  Christian Loubet, Datia, 1995. © Christian Loubet. Collection Maison Européenne de la Photographie, Paris. Don de Bernard Plossu.
3/  Claude Batho, Le couloir, Olette. 1970. © Claude Batho. Collection Maison Européenne de la Photographie, Paris. Don de Bernard Plossu.

 


2085_Bernard-Plossu audio
Interview de Bernard Plossu,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 20 février 2017, durée 13'21". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire de l’exposition : Pascal Hoël avec la collaboration de Frédérique Dolivet



Bernard Plossu aime passionnément la photographie, les voyages et les rencontres. Depuis la fin des années 1960, à Paris, au Mexique, aux Etats-Unis, lors de nombreux voyages et séjours autour du monde, en Italie, en Espagne, en Belgique notamment, et partout en France, il a rencontré un très grand nombre de “collègues“ photographes et constitué ainsi une collection de 1 200 tirages environ, réalisés par plus de 600 auteurs de tous horizons.

Ils n’étaient pas si nombreux, ceux qui tentaient l’aventure de la photographie, il y a cinquante ans, et c’est très spontanément qu’ils échangeaient des tirages. Sans idée préconçue, dans la simple découverte d’images qui lui plaisaient, Plossu a accumulé les tirages, au fil du temps, par échanges, dons, sans transactions financières bien sûr, et, l’air de rien, une collection incroyable a ainsi pris forme petit à petit. Son appétit de photographie n’était jamais rassasié.

Ce n’est pas une collection comme les autres. Plossu a côtoyé chacun de ces photographes, et bien connu la plupart d’entre eux. Ils n’ont pas seulement échangé des tirages, mais aussi partagé des moments, instauré des correspondances, noué des amitiés souvent indéfectibles. Le respect et l’admiration pour le travail de l’autre étaient mutuels. Rien n’a été forcé, tout a été gratuit. Pour Plossu, il s’agit simplement des photos qu’il aime, de son regard sur un demi-siècle de photographie. Ce n’est pas une collection de noms, ou d’icônes. Il se passionne tout autant pour l’image d’un photographe connu que pour celle d’un jeune artiste en devenir.

Bernard Plossu est aussi un passeur. Il a accompagné des générations de photographes et sa collection témoigne du parcours de toute une vie au service de la photographie. En 1974, il expose à la galerie Friends of Photography à Carmel, bouillon de culture photographique où il rencontre aussi bien ses prestigieux aînés que la nouvelle génération californienne, ceux de son âge. Puis, installé au Nouveau Mexique à la fin des années 1970, il fait des conférences et organise des expositions de photographes français, espagnols, italiens. Il fera ainsi le lien entre les photographies européenne et américaine de ces années-là.

Dès son retour en France, c’est un acteur diligent du développement et de la reconnaissance de la photographie au cours des années 1970 et 1980, époque où tout était à construire. Il participe à toutes les aventures éditoriales, en France, en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne notamment, qui défendent les nouveaux auteurs et contribuent au renouveau de la photographie. Il parcourt aussi la France, invité de festival en festival, répondant à des commandes, dirigeant des stages de photographie un peu partout sur le territoire, et là encore, il multiplie les rencontres. Sa collection révèle ainsi bon nombre de photographes français qui ont fait oeuvre, parfois dans la discrétion.

De nombreux tirages de jeunes photographes témoignent de l’admiration de leur auteur pour le travail de Bernard Plossu. Il faut dire qu’il est toujours disponible, conseillant un livre, la visite d’une exposition, ou recommandant les uns aux autres. Un déjeuner est pour lui l’occasion d’amener un ou deux autres convives inattendus pour la simple opportunité de provoquer une rencontre fructueuse pour chacun.

On retrouve dans cette collection de nombreuses caractéristiques de l’oeuvre de Bernard Plossu : un intérêt assumé et revendiqué pour les petits formats, privilégiant un contact plus intime avec la photographie, un goût pour les images intemporelles, pour les “paysages intermédiaires“, fragments de moments poétiques, hors de la réalité souvent brutale d’un monde que Bernard Plossu traverse avec douceur, légèreté et beaucoup d’élégance.

Pascal Hoël




Bernard Plossu a fait don de l’ensemble de sa collection à la Maison Européenne de la Photographie en février 2016. Cet accrochage présente une sélection de 160 tirages environ, représentatifs de cet ensemble.



Quelques mots sur ma collection par Bernard Plossu, décembre 2016.

Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé la photographie. Ma mère avait à la maison des livres avec des images d’Izis ; il y avait aussi les photos faites par mon père en 1937, lors de son voyage avec Roger Frison–Roche au Sahara, où ils essayaient de skier ! (Je me rappelle toujours d’une photo d’un chameau regardant un skieur sur une dune). Enfant, je me souviens aussi des films comme Le Ballon Rouge et Crin Blanc. J’ai commencé à faire des photos dès l’âge de 8 ou 9 ans… Donc la photographie a toujours été là.

Et cette collection vient de loin.

Ce n’est pas une collection de raretés ni une collection spécialisée. Ce n’est qu’une proposition d’un regard qui va, en gros, de 1967 à aujourd’hui, très marqué par la deuxième partie du XXe siècle, et par cette modernité que Les Cahiers de la Photographie ont souligné en soustitrant son numéro spécial sur Robert Frank La photographie, enfin. Et imprégné également par le style de la Nouvelle Vague et par celui de l’immense cameraman Raoul Coutard, qui nous a tant appris.

Dès la fin des années 1960, ayant déjà beaucoup voyagé et vécu ailleurs, j’ai pu rencontrer de nombreux collègues photographes. Ça bougeait partout ! À Paris, on était plusieurs à tenter une “nouvelle photographie”. On allait au club des 30x40 ; on voyait Allan Porter, Jean-Claude Lemagny, Jean-Claude Gautrand ; on cherchait et on se réunissait. J’ai des souvenirs ainsi de Pepe Diniz, Mireille Dupuis, Patrice Bouvier, Jean- Pierre Evrard, des frères d’Amore, Didier Duval, Monique Tirouflet, puis Djan Seylan, ainsi que des gens comme Claude Nori et Alain Fleig qui nous ont carrément permis d’exister grâce aux revues telles que Contrejour ou les éditions Photoeil. Fleig était le type le plus brillant de cette génération, ultra révolté !

Puis il y eu Les Cahiers de la Photographie et Gilles Mora, rencontré grâce à François Miller, et Denis Roche aussi. Passionnés, tous ! En 1973, il y eu ma rencontre avec Max Pam, le photographe hippie australien avec ses extraordinaires photos d’Inde, et d’autres rencontres partout : en Italie, en Grèce, en Belgique avec Jean-Louis Godefroid, qui créa la galerie Contretype ; en Espagne, avec la formidable revue contestataire Nueva Lente de Pablo Perez Minguez et Carlos Serrano, ainsi que la bande des Catalans de Barcelone : Pep Rigol, David Balsells et Chantal Grande, Joan Fontcuberta…, et pardon, j’en oublie.

Entre nous, par plaisir, on échangeait des tirages ; on se les passait dans une liberté totale. Il n’y avait pas de “marché”. Ça n’a l’air de rien, mais c’est important de le dire ! Tout cela était très spontané. Petit à petit se forma une sorte de collection, pour rien - comme ça, entre amis.

En Amérique, certes la photographie était déjà “consacrée”, mais les rebelles là aussi créaient et contredisaient l’establishment. Là-bas, en 1974, j’eus la chance d’exposer en Californie, à Carmel, avec Charles Spink et Kenneth Josephson dans la galerie de Friends of Photography, qui avait été initié par Ansel Adams, homme très généreux ; c’est ainsi que j’ai pu rencontrer entre autres les aînés comme les frères Weston, Wynn Bullock, Robert Heinecken, ou Ansel lui-même, qui était très ouvert. Je me souviens de lui jouant du piano !

Avec Fred Parker, qui dirigeait Friends of Photography, j’ai pu rencontrer des collègues comme Lewis Baltz… souvenirs d’avoir roulé avec lui de nuit à travers Los Angeles dans une vieille décapotable ; d’avoir regardé le sunset avec Steve Kahn à Malibu, l’auteur du remarquable livre expérimental Stasis, d’avoir vu les énormes vagues à Big Sur avec le jeune photographe paysagiste Peter Mac Arthur au son de sa cornemuse ; d’avoir visité Jerry Burchard, le maître et inventeur du flou nocturne, ou Larry John - le plus doué - grâce à Lisette Model à San Francisco, ou Gail Skoff et Bill Owens… Puis des années après, ceux installés à Santa Fe comme Joan Myers… Quant au génial Les Krims, c’est à Paris que Jean-Claude Lemagny me le présenta. Il y avait aussi les Mexicains, dont Pablo Ortiz Monasterio, avec le groupe Luna Cornea, et les Argentins avec la revue Dulce x Negra, réalisée par Marcos Adandia, et beaucoup d’autres, partout…

Et en 1980, la rencontre avec la photographe Françoise Nunez, que me présenta Jean Dieuzaide, et qui me montra ses photos de voyage en Ethiopie… Puis enfin celle avec Luis Baylon, le “Camaron de la fotografia”, comme j’aime à l’appeler, un génie madrilène ! Avec Max Pam, mes trois proches para siempre

À cette époque, ça bougeait beaucoup en France aussi. Bernard Lamarche Vadel fit l’expo Sidérations ; Jean-Luc Monterosso créait Paris Audiovisuel ; le MNAM au Centre Pompidou créa un département photo grâce à Alain Sayag et Pierre de Fenoyl, et Agnès de Gouvion Saint-Cyr recevait les jeunes photographes pour les aider dans leurs projets. Et d’autres choses encore. Il y avait les agences comme Viva qui renouvelaient avec force le reportage, ou les Rencontres d’Arles, bien sûr, et l’ouverture du Château d’Eau de Toulouse et du Musée Niepce à Chalon-sur-Saône.

Je découvrais les images des nouveaux auteurs dans les revues comme Le Nouveau Cinéma, Contrejour, Creative Camera, Clichés, Nueva Lente, Progresso Fotografico, Spot, Katalog, European Photography, Camera surtout, Photo-Revue, Photographies Magazine, Créatis, Shots, Photovision, Le photographe, grâce aux rédacteurs qui cherchent avec passion les nouveaux talents, ainsi que dans les nombreux centres de photo comme à Niort, Pierrevert, Lectoure, Douchy-les-Mines, Lannion, Brest, Lorient, Porto, Braga, Coimbra, Guadalajara, Murcia, Almeria, Modena, Reggio Emilia, Corigliano Calabro, la liste est longue… ou encore dans les galeries - impossible de les citer toutes. Tous les jeunes allaient frapper à leurs portes, et ils continuent. Je me souviens d’une classe en Bretagne où Patrick Le Bescont, des éditions Filigranes, avait étalé sur une immense table tous les livres de jeunes photographes qu’il avait publiés, les montrant ainsi à des élèves, encore plus “jeunes photographes”, qui, fascinés, n’en croyaient pas leurs yeux. Des gens comme lui ont permis que les nouveaux photographes existent, qu’on puisse voir leurs photos.

Rencontrer des jeunes photographes, c’était formidable aussi. Soit en donnant des stages - à Clarensac par exemple, chez le regretté Serge Gal, ou au hasard d’une exposition ou d’un échange de courrier. Ainsi j’ai pu rencontrer Melania Avanzato, Pierryl Peytavi, Hortense Soichet, Nicolas Comment et Anne Lise Broyer (maintenant connus tous les deux), Arnaud Zajac, Gildas Lepetit-Castel (maintenant éditeur), Valérie Gondran, Nicolas Quinette, Fabien Pio…

Pendant toutes ces années, on partageait nos photos. Peu à peu, sans m’en rendre du tout compte, les photos de mes amis devenaient une collection. En aucun cas cependant un Who’s who, juste le plaisir d’aimer la photographie, tous ensemble.

Récemment, je me suis dit que tout cela, totalement désorganisé, dormait chez moi ; personne n’en profitait. J’ai donc décidé de les donner à la Maison Européenne de la Photographie, afin que cette collection devienne publique et non pas privée ! C’est la philosophie de cette histoire.

Et même si il y a des noms “connus”, d’Édouard Boubat à Brett Weston en passant par Luigi Ghirri ou Dominique Issermann, ce n’est pas ça qui compte. Ce sont tout simplement des photographies que j’aime. Un regard sur une époque et non pas une collection de “noms”. Il y a des jeunes tout nouveaux, des pros et des amateurs. Gabriel Cuallado, le grand photographe espagnol (même si je n’aime pas cette appellation “grand photographe” — qu’est-ce que ça veut dire ? Que les autres sont petits ?), avait une carte de visite marquée en français “photographe amateur” !

Chaque photo a donc quelque chose à dire, et me parle visuellement avec passion. C’est cette passion que je voudrais vous communiquer et vous offrir aujourd’hui.