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“Roger Ballen et Hans Lemmen” Unleashed
au musée de la Chasse et de la Nature, Paris

du 7 mars au 4 juin 2017



www.chassenature.org

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 6 mars 2017.

2099_Ballen-Lemmen2099_Ballen-Lemmen2099_Ballen-LemmenLégendes de gauche à droite :
1/  Hans Lemmen / Roger Ballen, Rendez-vous, 2016. Dessin sur photographie 45,5x46. © Roger Ballen et Hans Lemmen. Collection privée.
2/  Hans Lemmen, Untitled, 2014. Caséine et encre sur papier 31,2x24,5. © Hans Lemmen. Collection privée.
3/  Roger Ballen, Cat Catcher, 1998. Photographie 40x40. © Roger Ballen. Collection privée.

 


2099_Ballen-Lemmen audio
Interview de Claude d’Anthenaise, directeur du musée de la Chasse et de la Nature,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 6 mars 2017, durée 9'15". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

En écartant un lourd rideau gris, nous pénétrons dans une petite caverne sombre. Sur le sol jonché de bois de cerfs, sur les murs, sont dessinés des oiseaux, des ours et des guépards, des figures humaines. Des hommes allongées enlacent des renards, semblant, malgré leurs têtes de plâtre, appartenir moins au domaine de la sculpture qu'à celui de la taxidermie. A travers cet antichambre, nous nous débarrassons de nos vêtements d'hommes civilisés pour entrer dans l'univers de Roger Ballen et Hans Lemmen. La brutalité frontale de leur discours, l'expression de la sauvagerie animale de notre espèce nécessite ce sas de décompression pour être abordée.

Par un jeu de cadavres exquis, les deux artistes effectuent des aller-retours entre photographie et dessin. Les photographies de Roger Ballen, envoyées à Hans Lemmen, sont découpées, peintes, recomposées en collages, puis le travail lui est renvoyé et photographié à nouveau. Le noir et blanc du tirage, cru et contrasté jusqu'à devenir tranchant comme une lame, se marie avec le gris, l'ocre et le blanc du dessin. Les couleurs appartiennent au registre de la roche et des pigments des peintures rupestres, le blanc est celui des peintures que les aborigènes arborent sur leurs visages.

Le dessin part d'un petit élément de la photographie, parfois juste les doigts d'une main, le prolongeant pour devenir un animal. Un homme en veste et en chapeau se voit transformé en un être nu, réduit à sa bestialité. Le corps devient silhouette, l'habit sombre devient chair blanche fantomatique, peau translucide, si fragile qu'elle se déchire, laissant voir le squelette. L'homme ne combat pas l'animal comme nous le ferions. Au contraire, il l'embrasse, l'enlace, jusqu'à se fondre en lui. Cette fusion nous emmène au fond des temps, là où l'humanité n'est pas encore. De ce big bang de notre espèce, le temps se fige puis s'inverse, l'animal surgit de l'humain autant qu'il y entre. Les crocs dévorent les membres, puis les corps intègrent cette nourriture pour se transformer en hybrides: femmes-girafes et hommes-chiens.

Sur les murs de cette grotte a été tracée une autre histoire du monde. Ces dessins racontent une humanité n'ayant pas encore fait son choix. Elle partage l'existence du monde animal, souffre des mêmes peurs, tremble du même froid, s'enrage de la même faim. La sauvagerie à laquelle nous sommes confrontés nous semble lointaine et étrangère, presque mythologique, pourtant ici et là se distinguent une chaussure, un chapeau, un pylône électrique, des indices sinon des preuves que cela a bien quelque chose à voir avec notre présent. Force est de constater qu'il s'agit bien de notre image qui se reflète ici.

A l'issue de ce dialogue, le cliché photographique s'est dissous dans le dessin qui lui-même est devenu forme et texture. L'outil technique de fabrication de l'image s'est effacé comme s'il n'avait jamais existé. Ce qui demeure est notre dénominateur commun : la puissante rage d'exister du vivant, notre nudité impossible à couvrir, et cette excitation irrépressible produite par l'odeur de la fourrure, de l'os et du sang.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : Claude d’Anthenaise et Jan-Philipp Fruehsorge



À l’image d’un cadavre exquis, Roger Ballen – photographe majeur de la scène internationale – et Hans Lemmen, dessinateur magistralement inspiré par les enjeux liés aux représentations de la nature, se livrent au jeu perturbant du couplage artistique, en poussant chaque artiste à intégrer la démarche de l’autre. Stimulante astreinte qui, au-delà du jeu plastique et de l’éveil de résonnances formelles, révèle une profonde affinité entre leurs deux univers artistiques.

Entre Roger Ballen et Hans Lemmen existe une évidente communauté d’imaginaire, gommant la distance qui les sépare. Aux Pays-Bas, Hans Lemmen met en pièces les photographies de Roger Ballen. Il complète les fragments ainsi obtenus ou les insère dans des compositions graphiques. À des milliers de kilomètres de là, Roger Ballen utilise certains dessins de Hans Lemmen qu’il intègre à des installations destinées à être à leur tour photographiées.

Depuis son installation en Afrique du Sud, Ballen explore les marges troubles de l’humanité, là où, dans un contexte d’extrême précarité, uniquement occupés à survivre, les hommes n’ont pas la capacité ni la vanité de vouloir échapper à la nature. Cette indéfinition se traduit notamment dans leur extrême proximité, leur promiscuité avec les animaux.

Pourtant Roger Ballen ne s’en tient pas à cette interprétation politique. À la manière de Samuel Beckett dont il revendique la démarche, son travail a une portée universelle. Ses images expriment l’absurdité de la condition humaine. Le manifeste se double également d’un travail d’investigation psychologique. Les images des laissés pour compte qui posent devant l’objectif sont autant d’autoportraits comme si, dans leur dénuement, les modèles de Ballen lui tendaient un miroir reflétant ses propres zones d’ombre. Elles explorent la morphologie inquiétante et incertaine de sa psyché.

Dans un contexte culturel et social bien différent de celui du continent africain, Hans Lemmen explore à sa manière le territoire imaginaire où se mixent l’homme et l’animal. Dans son oeuvre graphique, comme dans son travail de sculpteur, l’artiste poursuit une inlassable quête des origines. Passionné dès son enfance par l’empreinte que laissèrent dans le sol nos ancêtres préhistoriques, il garde la nostalgie d’un temps où l’homme ne se vivait pas comme extérieur à la nature. Au gré d’un certain primitivisme artistique, il dénonce les souffrances de la terre et des espèces vivantes malmenées par la modernité.

L’exposition du musée de la Chasse et de la Nature permet de suivre les processus de création des deux artistes. Les artistes eux-mêmes, représentés par deux figures assises grandeur nature aux yeux d’animaux, accueillent les visiteurs à travers une installation réalisée à quatre mains. Ils sont assis dans la première salle, accompagnés de leurs animaux de compagnie et entourés par une peinture pariétale contemporaine : un dessin qui court à même les quatre murs et le plancher de la salle. La deuxième partie de l’exposition, consacrée à des travaux personnels et individuels, précède les oeuvres graphiques inédites nées de la collaboration entre Ballen et Lemmen, sur le principe de l’inclusion et de l’emprunt réciproques. Pour conclure l’exposition, une vidéo documente la production de ces travaux très étrangers à leurs pratiques respectives, démontrant à quel point l’art se nourrit de contraintes telles que celle qui a ici été définie.

Cette exposition, coproduite par le Bonnefantenmuseum de Maastricht, y sera présentée en 2018.