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“Kiefer – Rodin” article 2104
au Musée Rodin, Paris

du 14 mars au 22 octobre 2017



www.musee-rodin.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation de l'exposition, le 13 mars 2017.

2104_Kiefer-Rodin2104_Kiefer-Rodin2104_Kiefer-RodinLégendes de gauche à droite :
1/  Auguste Rodin, Deux Ève et la Femme accroupie, 1900. Plâtre, H 104 L 55 P 36,5 cm, S.00184, © agence photographique du musée Rodin. © musee Rodin (photo Christian Baraja).
2/  Anselm Kiefer, Die Walküren (Les Walkyries), 2016. 190 x 80 x 70 cm, verre, métal, tissu, plâtre, acrylique, plomb, argile, zinc et fusain. © Anselm Kiefer, ph. Georges Poncet, collection particulière.
3/  Auguste Rodin, Absolution (détail), après 1900. Plâtre et tissu, bois, H 190 L 95 P 75 cm, Paris, musée Rodin, S.03452,© agence photographique du musée Rodin, ph. Pauline Hisbacq.

 


2104_Kiefer-Rodin audio
Interview de Véronique Mattiussi, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 13 mars 2017, durée 9'07". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat général :
Catherine Chevillot, Directrice du musée Rodin, Conservateur général du patrimoine
Commissariat scientifique :
Véronique Mattiussi, Responsable scientifique du fonds historique Adjointe au chef de service de la Recherche
Commissaires associées :
Sophie Biass-Fabiani, Conservateur, chargée des oeuvres graphiques, des peintures et de l’art contemporain
Hélène Marraud, Attachée de conservation, chargée des sculptures




Lorsqu’en 1916 Rodin donna tout son oeuvre et ses collections à l’État, il avait longuement mûri la création de son musée et sa motivation principale était claire, sa sculpture devant dans sa pensée servir aux générations futures d’artiste : « Je donne à l’État toute mon oeuvre plâtre, marbre, bronze, pierre et mes dessins ainsi que la collection d’antiques que j’ai été heureux de réunir pour l’apprentissage et l’éducation des artistes et des travailleurs ». C’est pourquoi exposer des sculpteurs contemporains a été une constante de la politique du musée depuis les années 1940. C’est pourquoi la principale manifestation de l’institution, en cette année du centenaire de la mort de l’artiste, est résolument tournée vers l’art en train de se faire.

En effet, le rapprochement de ces deux artistes est à l’image de la naissance du projet : d’abord presque fortuit, dont la nature s’adapta naturellement à l’évolution de la création d’Anselm Kiefer. Pragmatiquement, comme on assiste à l’éclosion puis à la croissance d’une plante inconnue, nous avons vu apparaître des efflorescences, certaines branches se ramifiant, d’autres stoppant leur croissance, et avons ménagé l’espace autour d’elles.

Le sens n’apparaît qu’à postériori, ce qui du reste est bien conforme à la pratique des deux artistes. Et, bien qu’inattendu, il s’impose comme une évidence : Kiefer nous montre une nouvelle manière de regarder Rodin, et, de le comprendre, et deux aspects sont particulièrement frappant.

Construire sur un terrain ruiné, construire dans la nuit d’un temps insécurisant, non pas en tentant d’imaginer le temps de demain, mais, ramassant les morceaux de celui d’hier et s’efforçant de les réintégrer dans une vision cohérente pour aujourd’hui, voilà d’une certaine manière ce que Rodin cherche dans sa Porte de l’Enfer, et voilà bien une dimension fondamentale pour Kiefer : « J’essaie de voir où je me situe dans l’infini, et je tente de représenter ce qui se trouve autour de moi » 1. La notion de la vie et de l’art comme un continuum infini est en effet au coeur de la pratique de Kiefer, et la notion de flux appartient à son vocabulaire comme à son processus : « La réalisation d’un tableau est un va-et-vient constant entre le rien et le quelque chose. Une alternance incessante d’un état à l’autre » 2. Rodin, lui, prend, coupe, assemble, retourne et multiplie les mêmes figures. Et fonde cette manière dans une réplique extraordinaire : « Et les cathédrales, est-ce qu’elles sont finies ? » 3

Catherine Chevillot, Conservateur général du patrimoine directrice du musée Rodin


1 Kiefer, in Joseph Beuys, Yannis Kounellis, Anselm Kiefer, Enzo Cucchi, Bâtissons une cathédrale, entretien, texte établi par Jacqueline Bruckhardt, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Paris, L’Arche, 1988, p. 161
2 Anselm Kiefer, L’art survivra à ses ruines, Paris, Collège de France / Fayard, 2011, « Leçons inaugurales du Collège de France », p. 57
3 Judith Cladel, Auguste Rodin, l’oeuvre et l’homme, Bruxelles, Librairie nationale d’art et d’histoire / G. Van Oest et Cie, 1908, p. 98





Parcours de l’exposition
Invité par le musée Rodin à travailler à partir de l’ouvrage que Rodin consacra il y a plus de cent ans aux « Cathédrales de France », Anselm Kiefer a très vite souhaité élargir ses investigations à l’ensemble de l’univers créatif du sculpteur. Kiefer est un artiste qui, comme Rodin, expérimente sans fin des combinaisons de formes et s’intéresse à la matière, associant délibérément des éléments de provenance et de statut différents. À travers ses vitrines, peintures, livres, il joue de tous les supports et use de toutes les techniques pour comprendre ou digérer l’héritage du passé et apprivoiser ici l’univers rodinien.


Vitrines
L’exposition commence par la présentation de vitrines, toutes inédites. Elles se répondent les unes aux autres, mêlant aux vestiges de sa propre vie des objets de nature et d’origine diverses et créant par la même occasion des rapprochements souvent inattendus et parfois déroutants. En effet, lorsque Kiefer s’immerge dans l’œuvre de Rodin, il entame un long périple. Des croquis d’architectures, en nombre limité, à l’immense corpus des dessins érotiques, qu’il consulte à plusieurs reprises, l’artiste s’arrête volontiers aux dessins découpés avant d’être attiré par les innombrables sujets en plâtre déclinés par Rodin et la profusion d’abattis – fragments de jambes, bras ou têtes. Ce voyage dans l’univers rodinien lui permet aussitôt d’imaginer des formes nouvelles. Ainsi dans ses vitrines, Kiefer agence les débris de ces progénitures qu’il s’approprie. Il introduit divers éléments, d’autres matériaux. Et de ces métamorphoses, il attend, patient, que se produise selon ses propres termes « l’étincelle ». De la même manière, les moules des sculptures l’interpellent. Soudainement confrontés à l’univers de Kiefer, ces éléments témoignent d’une vie passée comme d’une autre à venir. Kiefer s’intéresse moins au procédé de moulage qu’à l’effet mystérieux de l’empreinte. C’est la matrice qu’il retient, celle susceptible de donner vie, mais qui suppose de la part du regardeur un complément de recherche ou d’interprétation. À lui de réinventer la forme prisonnière et prête à éclore. À la lisière de l’étrange, chacune de ses vitrines est une ode au mystère, un univers poétique dans lequel Kiefer nous invite à le suivre.


Peintures
Dans sa peinture, l’artiste-alchimiste se confronte à la matière qu’il sature de pigments. Les couches sont labourées, les empâtements pétris. Et de ces substances oppressantes aux tonalités terreuses surgissent avec noblesse les « Tours-Cathédrales », noircies, blessées mais triomphantes, promesses d’une renaissance et annonciatrices de la floraison à venir.


Livres
En 2013, Kiefer entreprend un travail autour de la « Cathédrale » en hommage à Rodin et à son ouvrage publié en 1914. Dans l’éternité de ses livres, véritable empreinte de son oeuvre, il n’hésite pas à rejoindre l’univers poétique et érotique du sculpteur, entre dévotion sacrée et jouissance profane. Tous uniques, ces livres partagent la même puissance d’évocation poétique et spirituelle : la femme, sensuelle et tentatrice, s’accapare l’église, joue avec elle. Les taches colorées librement répandues rappellent le travail du sculpteur. La série de livres aux effets marbrés fait naître de la matière des silhouettes féminines et évanescentes. Car pour Kiefer comme pour Rodin, et selon la formule de Michel-Ange, l’idée et la forme sont partie intégrante de la matière, qu’elle soit de marbre ou de plomb. À eux, passeurs, de les faire émerger et exister. Ainsi les lignes souples et sensuelles de ces nus féminins surgissent de la feuille et se fondent dans les veines qui évoquent celles du marbre.


Regards croisés
En écho aux oeuvres d’Anselm Kiefer, l’exposition se poursuit dans l’hôtel Biron où sont présentés pour la première fois des plâtres de Rodin qui témoignent des préoccupations communes aux deux artistes. Attirés par l’accident, Anselm Kiefer et Auguste Rodin explorent tous les domaines, manipulent toutes les matières et s’autorisent d’audacieuses mutations. La ténacité à chahuter les convenances participe d’un même combat esthétique. Une même quête de sens, de sincérité et d’authenticité qui pose inlassablement une interrogation sur le monde.


Variations
Dans les vitrines, les figures de Rodin fragmentées, associées à des éléments végétaux, des lambeaux de tissus trempés dans le plâtre, caractéristiques de la maturité du sculpteur, jouent sur le même mode opératoire que celui de Kiefer. L’essentiel de leur esthétique est conditionné par le goût de la recherche, de l’exploration, et de leurs cascades d’alternatives. Et le pouvoir de suggestion de ces morceaux accidentés, mutilés ou heurtés signe leur singularité. Dès lors, les incisions, les inscriptions, les traces d’outils ou d’assemblages, les différents matériaux répondent à un processus créatif commun aux deux artistes qui déclinent à l’infini matières et concepts.

Pour accompagner l'exposition le catalogue "Kiefer-Rodin" sous la direction de Véronique Mattiussi est disponible aux éditions Gallimard/musée Rodin/The Barnes Foundation.