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“Jardins” article 2106
au Grand Palais, Paris

du 15 mars au 24 juillet 2017



www.grandpalais.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 14 mars 2017.

2106_Jardins2106_Jardins2106_JardinsLégendes de gauche à droite :
1/  Peinture de jardin, Pompéi, maison du Bracelet d’Or, 30-35 après J.-C. fresque ; 200 x 275 cm. Pompéi, Ministero dei beni e delle attività culturale e del turismo Soprintendenza Speciale. © 2017. Photo Scala, Florence - courtesy of the Ministero Beni e Att. Culturali.
2/  Anna Atkins, Photographs of British Algae, cyanotype impressions: Polysiphonia fastigata, vers 1845. Cyanotype sur papier ; 35,5 x 28 cm. France, Paris, Muséum national d’histoire naturelle, Bibliothèque centrale du MNHN. © Muséum national d’histoire naturelle (Paris) - Direction des Bibliothèques et de la documentation.
3/  Eugène Atget, Vue du Parc de Sceaux, 1925. Tirage sur papier au citrate ; 22 x 18 cm. France, Paris, BnF, département des Estampes et de la Photographie. © Bibliothèque nationale de France, Paris.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Dans ce jardin, les époques et les genres se télescopent, Dürer rencontre Penone, Tim Burton répond à Hubert Robert, l'arroseur arrosé de Louis Lumière s'oppose à Brueghel le Jeune. Ces milles références plantées là à la façon d'un jardin anglais, loin de perdre le visiteur, lui ouvrent autant de portes, éveillent ses sens et sa curiosité, motivant visites et découvertes pour ce joli printemps à venir. Comme dans un jeu de piste, Yoshihiro Suda a laissé ici et là tomber une feuille morte dans une vitrine ou fait pousser discrètement une fleur dans un angle de murs qu'un cartel isolé invite à rechercher.

La nature est d'abord un sujet d'étude. Fleurs et plantes sont collectionnées dans des albums et herbiers. Cette pratique de la botanique n'est pas seulement réservée aux scientifiques, elle ouvre un champ philosophique voire spirituel, en témoignent le herbiers de Jean Jacques Rousseau ou de Paul Klee. La fleur pressée entre deux pages devient une silhouette découpée dans du papier par Philipp Otto Runge puis les impressions cyanotypes de Anna Atkins la font entrer dans le domaine de la photographie.

L'étude scientifique, en s'intéressant de près à la forme, se fond dans l'étude artistique. Les dessins de Dürer, si rigoureux, sont des œuvres hyperréalistes intimidantes de virtuosité. L'aspect descriptif du dessin s'échappe des pages de l'encyclopédie pour être expression graphique à part entière. Les collages de papiers découpés colorés à la gouache et à l'aquarelle de Mary Delany s'animent sur leurs fonds noirs en fleurs lumineuses et éternellement vivantes. Les agrumes de Bartolomeo Bimbi, l'étude de botanique de Girolamo Pini, prennent désormais leurs aises sur de grandes toiles. Une fois dans le domaine de la peinture, la fleur cheminera jusqu'à la stylisation minimaliste de Ellsworth Kelly ou de Picasso.

Après l'observation, il s'agit de dompter la nature à l'aide d'outils de jardinage, d'ouvrages techniques de taille des arbres, de plans et de schémas. Le jardin se construit aux pieds des châteaux des rois et des princes comme symbole du pouvoir politique. Plans et vues aériennes montrent la grandeur d'un territoire et l'ordre qui y règne, avant que Fragonard ou Hubert Robert n'y laissent la nature reprendre ses droits, n'en exaltent la sensualité et la repeuplent de promeneurs et de fêtards, de vin et de musique.

Au XIXéme siècle, Edouard Debat-Ponsan peint une clôture au portail ouvert sur un petit jardin, nous faisant entrer dans une relation intime avec cette nature domestiquée. Cette promenade solitaire change la manière d'aborder le jardin. L'impressionnisme de Caillebotte, Monet ou Klimt auquel fait écho celui de Gerhard Richter, une planche d'illustrations de Beatrix Potter invitent au silence et à la méditation. Puis le jardinier de Cezanne, la paire de chaussures peinte par William Nicholson nous font voir le jardin par le portrait de celui qui y habite, le faisant disparaitre physiquement pour n'être plus qu'évocation.

De là au rêve exprimé par Klee il n'y a qu'un pas. Tandis qu'Odilon Redon s'inspire de l'art japonais à travers l'onirisme d'une branche fleurie couleur d'or, Wolfgang Laib distille le monde végétal en deux petits tas de pollen. Ces minuscules montagnes de poudre jaune à l'intensité d'un pigment de peinture sont un retour symbolique aux sources de l'art pictural. Cette semence fragile au moindre souffle contient dans la vivacité de sa couleur toute la fertilité du monde végétal, prête à engendrer un nouveau jardin.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire :
Laurent Le Bon, conservateur général du patrimoine, président du Musée national Picasso-Paris
commissaires associés :
Marc Jeanson, responsable de l’Herbier national du Museum national d’histoire naturelle ;
Coline Zellal, conservatrice du patrimoine
scénographie : Laurence Fontaine




Jardins se veut un modeste écho à la phrase, souvent reprise mais essentielle, de Foucault : « Le jardin, c’est la plus petite parcelle du monde et puis c’est la totalité du monde. »

150 ans après la publication de l’ouvrage fondateur d’Arthur Mangin, Les Jardins : histoire et description et quarante ans après l’exposition déterminante de la Caisse nationale des monuments historiques et des sites en 1977, Jardins, 1760-1820. Pays d’illusion, terre d’expérience, l’engouement que suscite le patrimoine vert en France ne se dément pas, avec aujourd’hui 22 000 parcs et jardins présentant un intérêt historique, botanique ou paysager, dont près de 2000 sont inscrits ou classés au titre des monuments historiques. Jardins, dont le titre entend refléter sobrement toute la diversité du sujet, considère à la fois l’histoire de l’art des jardins et l’histoire des expositions sur ce thème, qui n’a que rarement retenu l’attention des institutions culturelles. Si sa présence au musée semble fondée sur une contradiction – le jardin, monument vivant, par nature changeant, éphémère et in situ, n’est-il pas l’objet par excellence d’une exposition impossible ? – les liens entre le musée et le jardin sont en vérité étroits. Lieux de savoir et de plaisir, qui naissent, grandissent et meurent, ils sont aussi un espace que peut arpenter, à son rythme, le visiteur.

Le sujet est étudié dans sa définition essentielle : comme enclos, entité délimitée au sein d’un territoire, espace mis en scène et donc miroir du monde. Présenté dans les Galeries nationales du Grand Palais, ce rassemblement pluridisciplinaire de peintures, sculptures, photographies, dessins, films, etc., n’est ni une histoire complète de l’art des jardins, ni un état des lieux qui prétendrait à l’exhaustivité. Des notions connexes, comme celle de nature, seront tenues à l’écart d’un propos fermement centré sur son sujet mais qui entend néanmoins montrer, comme dans un grand collage, le jardin comme oeuvre d’art totale, qui éveille tous les sens, et poser la question essentielle de la représentation. Le parcours thématique, où s’entremêlent l’histoire de l’art et celle des sciences, est construit comme une promenade où le jardin « réel » - ni littéraire, ni symbolique, ni philosophique – est entendu à la fois comme ensemble botanique et construction artistique. Cette exposition « jardiniste », un mot d’Horace Walpole repris par Jean-Claude-Nicolas Forestier, entend défendre le jardin comme forme d’art et ses créateurs comme artistes.

Jardins se concentre sur les expérimentations menées en Europe – et plus particulièrement en France – de la Renaissance à nos jours. Si le jardin médiéval est souvent le point de départ des grands panoramas de la discipline, l’histoire de l’art comme celle de la botanique invitent à privilégier un autre commencement. A la Renaissance, les savants et les artistes animés par une nouvelle démarche critique relisent les sources antiques – illustrées par la présence inaugurale, au sein de l’exposition, d’une fresque de la Maison du Bracelet d’or de Pompéi – à la lumière d’une observation minutieuse de la plante. Ces réinterprétations, accompagnées de véritables révolutions artistiques incarnées par les extraordinaires dessins d’Albrecht Dürer, conduisent aussi à la création à Padoue (1545) du premier jardin botanique. Si les plantes y sont toujours cultivées pour leur rôle utilitaire, leur rassemblement a désormais aussi une vocation démonstrative et sert de support à l’enseignement scientifique. L’hortus conclusus médiéval se brise et s’ouvre au monde, avec des jardins qui s’enrichissent des découvertes des grands explorateurs ; il s’ouvre aussi au paysage, entre dans le champ des arts et devient un véritable projet pictural pour des artistes qui disposent, notamment grâce à la perspective, d’outils de représentations inédits et révolutionnaires.

De la petite touffe d’herbe d’Albrecht Dürer au « jardin planétaire » de Gilles Clément, les jeux d’échelles constituent un fil rouge de ce parcours. La visite commence avec la terre, prélude à un vaste ensemble qui met à l’honneur les éléments premiers et le vocabulaire des jardins. Une sélection d’oeuvres aux formats et aux matériaux divers évoque ces composantes essentielles. Echantillons de sols, fleurs et fruits en verre et en plâtre, outils de jardiniers, feront l’objet d’un accrochage dense aux allures de cabinet de curiosité. L’herbier, entendu comme un jardin sec, sera au coeur de ce premier ensemble placé sous le signe de l’inattendu.

Ce vocabulaire laisse progressivement place à la syntaxe. Qu’il soit décomposé, analysé, représenté ou imaginé, le jardin est toujours pensé en lien avec une figure dont la présence rythme l’ensemble du parcours : celle du jardinier. Peint, sculpté, photographié, ce dernier est mis à l’honneur, depuis les premiers croquis jusqu’aux outils du travail quotidien. Le temps de la conception est abordé grâce à un rassemblement de dessins et de plans. La présentation des évolutions chronologiques se trouve rythmée par des moments propices à la méditation comme autour des Acanthes de Matisse qui parle de ses gouaches découpées comme d’un art qui se construit à la manière d’un « petit jardin ».

Les jardins, comme les musées, sont le lieu de tous les temps – temps long, temps court, alternance des saisons ou éternité. Vus à vol d’oiseau, lieux de rassemblements, du grand domaine royal au parc public, ils sont montrés dans leur dimension collective, évoqués à travers l’histoire de leurs formes et de leurs usages. Lieux de fête et d’amour, de mélancolie et de destruction, soumis aux changements de modes et parfois laissés à l’abandon, ils font l’objet de transferts culturels intenses et sont, par excellence, une forme d’art marquée par l’ambivalence et le passage du temps. Au sein de cette histoire, plusieurs temps forts sont privilégiés. Le XVIIIe siècle, incarné dans l’exposition par le chef d’œuvre de Fragonard, La Fête à Saint-Cloud, occupe une place essentielle dans le parcours. De même, le tournant des XIXe et XXe siècles, où représenter le jardin devient, pour les artistes, un moyen de mieux appréhender les contours d’un monde changeant et d’explorer le vocabulaire plastique de la modernité, constitue un moment clé de cette histoire. Une promenade qui réunit certaines des plus grandes représentations de jardins de cette période propose au visiteur un parcours immersif parmi des tableaux sans personnage. La déambulation, qui se déroule alternativement dans des espaces figés par les artistes, des captures d’images de jardins à l’instant t, et dans des ensembles marqués par le sentiment du passage du temps, ménage métaphoriquement au visiteur bosquets et grandes perspectives. Le travail scénographique de l’exposition, à rebours d’une approche littérale, joue des cadrages et des jeux d’échelles, ménage des surprises – comme des ha-ha – au visiteur pour transposer, au sein du parcours d’exposition, les contours d’une promenade.

De la terre au jardin planétaire, le parcours prend de la hauteur et s’achève sur l’image, encore à définir, du jardin de demain et des nouveaux paradigmes artistiques, botaniques et sociaux qui le façonnent. L’exposition entend ainsi mettre à l’honneur ceux qui, notamment en France, constituent depuis plus de trente ans une génération d’exception : jardiniers, paysagistes, auteurs d’initiatives inédites où le jardin est travaillé pour son usage écologique et social, participent à ce rassemblement qui entend lui aussi mêler connaissance et délectation.

En regard, 80 photographies présentées du 18 mars au 23 juillet 2017 sur les grilles du Jardin du Luxembourg témoigneront, d’une part, de l’intérêt patrimonial du jardin au travers de grands noms de la photographie et, d’autre part, de sa valeur artistique à travers l’objectif du photographe Jean-Baptiste Leroux, reconnu pour son travail sur les jardins labellisés « Jardin Remarquable ». A l’issue du concours « Jardins extraordinaires » lancé par la Rmn-Grand Palais sur la plateforme Wipplay à l’été 2016, trois lauréats verront également leurs photographies tirées en grand format sur les grilles.