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“Olga Picasso” article 2114
au Musée national Picasso, Paris

du 21 mars au 3 septembre 2017



www.museepicassoparis.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 21 mars 2017.

2114_Olga-Picasso2114_Olga-Picasso2114_Olga-PicassoLégendes de gauche à droite :
1/  Pablo Picasso, Olga pensive, Paris, [hiver 1923]. Pastel et crayon noir sur papier vélin préalablement poncé. 105x74 cm. Musée national Picasso-Paris. Dation Pablo Picasso, 1979. MP993. ©Succession Picasso, 2017. ©RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau.
2/  Man Ray (Emmanuel Radnitzky, dit) (1890 - 1976), Ricardo Vinès, Olga et Pablo Picasso, Manuel Angeles dit Manolo Ortiz au bal du Comte de Beaumont, Hôtel de Masseran, Paris, 1924. Tirage non daté. Épreuve gélatino-argentique. 20,5x17 cm. Musée national Picasso-Paris. Don Succession Picasso, 1992. APPH1469bis. © Man Ray Trust / Adagp, Paris. ©RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris)/Mathieu Rabeau.
3/  Pablo Picasso, Portrait d'Olga dans un fauteuil, Montrouge, printemps 1918. Huile sur toile. 130x88,8 cm. Musée national Picasso-Paris. Dation Pablo Picasso, 1979. MP55. ©Succession Picasso, 2017. ©RMN-Grand Palais (Musée national Picasso-Paris) / Mathieu Rabeau.

 


2114_Olga-Picasso audio
Interview de Emilia Philippot, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 21 mars 2017, durée 14'14". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Emilia Philippot, conservatrice au Musée national Picasso-Paris
Joachim Pissarro, historien de l'art, conservateur, directeur des galeries d'art au Hunter College
Bernard Ruiz-Picasso, co-fondateur et co-président de la Fundación Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte (FABA)




Le Musée national Picasso-Paris présente la première exposition consacrée aux années partagées entre Pablo Picasso et sa première épouse, Olga Khokhlova.

A travers une vaste sélection de plus de 350 oeuvres, peintures, dessins, éléments de mobilier ainsi que de nombreuses archives écrites et photographiques inédites, cette exposition qui se déploie sur deux étages du musée, soit environ 800 m2, met en perspective la réalisation de quelques unes des oeuvres majeures de Picasso en resituant cette production dans le cadre de cette histoire personnelle, filtre d’une histoire politique et sociale élargie.

Née en 1891 à Nijyn, une ville ukrainienne qui se situe alors dans l’Empire russe, Olga Khokhlova est fille de colonel. Elle entre dans la prestigieuse et innovante troupe des Ballets Russes dirigés par Serge de Diaghilev en 1912. C’est à Rome au printemps 1917 qu’elle fait la connaissance de Pablo Picasso, alors que l’artiste réalise, à l’invitation de Jean Cocteau, les décors et les costumes du ballet Parade (musique d’Erik Satie, argument de Jean Cocteau, chorégraphie de Léonide Massine). Ils se marient le 12 juillet 1918 à l’église orthodoxe de la rue Daru, avec pour témoins Jean Cocteau, Max Jacob, et Guillaume Apollinaire.

Modèle par excellence de la période classique de Picasso, Olga apparaît d’abord sous une ligne fine et élégante marquée par l’influence ingresque. Synonyme d’un certain retour à la figuration, Olga est souvent représentée mélancolique, assise, lisant ou écrivant, allusion sans doute à la correspondance qu’elle entretient avec sa famille qui vit un moment tragique de l’Histoire. Au même moment en effet, parallèlement à l’ascension sociale du couple et à la reconnaissance artistique accrue de l’oeuvre de Picasso, la Russie impériale, gravement atteinte par la Grande Guerre, souffre d’une importante crise économique et alimentaire, et perd plus de deux millions de soldats au front. Cette crise endémique se dénoue à travers la Révolution bolchévique de 1917, menée par Lénine, dont les enjeux vont transformer le cours de l'histoire mondiale du 20eme siècle. La famille d’Olga dont les hommes étaient tous officiers de carrière dans l'armée du Tsar, subit du même coup une tragédie dont se font écho les lettres qu’elle reçoit : déclassement social, disparition du père, coupure progressive des liens épistolaires, et plongée dans une misère totale.

Après la naissance de leur premier enfant, Paul, le 4 février 1921, Olga devient l’inspiratrice de nombreuses scènes de maternité, compositions baignées d’une douceur inédite. Les scènes familiales et les portraits du jeune garçon témoignent d’un bonheur serein qui s’épanouit notamment dans des formes atemporelles qui correspondent à une nouvelle attention pour l’Antiquité et la Renaissance découvertes en Italie et réactivées par le séjour estival à Fontainebleau (1921).

Après la rencontre en 1927 de Marie-Thérèse Walter, jeune femme alors âgée de 17 ans et qui deviendra la maîtresse de Picasso, la figure d’Olga se métamorphose. En 1929, dans le Grand Nu au fauteuil rouge, elle n’est plus que douleur, forme molle dont la violence expressive traduit la nature de la crise profonde alors traversée par le couple. Si les époux se séparent définitivement en 1935, année qui marque d’ailleurs un arrêt temporaire de la peinture dans l’oeuvre du maître, ils restent mariés jusqu’à la mort d’Olga en 1955.





Extrait du catalogue sous la direction d’Emilia Philippot, Joachim Pissarro et Bernard Ruiz-Picasso en coédition Musée national Picasso- Paris/Gallimard.

Olga à l’écran. L’autre visage de Madame Picasso par Émilia Philippot

Modèle privilégié de l’artiste depuis leur rencontre en 1917, Olga Khokhlova, avant de devenir Madame Picasso en juillet 1918, est naturellement la figure féminine la plus représentée dans l’oeuvre du peintre à la fin des années 1910 et tout au long des années 1920. La manière dont elle apparaît dans les toiles, mais aussi dans les dessins ou les estampes de cette période, esquisse une personnalité à la fois grave et tranquille. Jusqu’au milieu des années 1920, Picasso exécute en effet de nombreux portraits d’Olga, dans lesquels il systématise la posture générale de son sujet et instaure, au fil des années, une image canonique de son épouse. À l’exception de quelques dessins effectués d’après photographies où elle pose en danseuse1, Olga y est presque exclusivement représentée assise, en pied ou en buste, et étrangement statique. Son regard fixe, et le plus souvent mélancolique, s’adresse moins au spectateur – quoi qu’il rencontre parfois frontalement ces deux yeux sombres et profonds2 - qu’au modèle lui-même. Picasso dépeint une épouse introvertie, sans aucun doute préoccupée par les nouvelles qu’elle reçoit plus ou moins régulièrement de sa famille restée en Russie3 et qui traverse de grandes difficultés. Une femme qui, coupée des siens, de sa culture et de sa langue natales, revêt une nouvelle identité : celle de première dame d’un artiste espagnol installé en France et à la renommée grandissante. Olga tient son rang : port de tête altier, toilettes soignées, beauté slave dont la grâce et la noblesse sont soulignées par un trait qui doit beaucoup à Ingres et à l’expressivité de sa ligne4. S’il fallait ne retenir que deux caractéristiques de ces portraits, par-delà le style ou la technique adoptée, nous pourrions dire que ceux-ci renvoient de leur sujet une image très contenue et maîtrisée, une image à la fois fixe et lointaine. Dans ces portraits, en effet, rien ne transparaît de la vocation de danseuse d’Olga - nul mouvement, nul costume, contrairement aux nombreux portraits de leur fils Paul, dans lesquels Picasso pare le jeune garçon des atours des héros de la commedia dell’arte5. Au contraire, ici, tout semble figé et à sa place : la dentelle, le col de fourrure, la coiffure. Rien ne bouge.

Tout correspond à l’image lisse d’une épouse respectée et respectable6. Olga pose véritablement pour son mari (en photographie également), quitte bientôt la troupe des Ballets russes, abandonne définitivement la danse, s’établit dans les beaux quartiers de Paris et donne naissance, en 1921, à Paul, premier et unique enfant du couple. Cette femme de scène, pourtant, familière du langage du corps, et sans doute fière et heureuse d’avoir su conquérir le coeur de Picasso, n’affiche dans ses portraits qu’une sensualité froide et distante. Paradoxalement, Olga est, de fait, malgré des cadrages resserrés et un travail extraordinaire dans le rendu de la délicatesse de ses étoffes, impassible, séduisante mais inatteignable, presque absente au monde. Son corps est là mais son esprit semble ailleurs. Picasso traduit-il ici un trait de la personnalité d’Olga, réservée et écartelée entre deux pays, ou bien contribue-t-il à façonner cette image d’une femme qu’il admire mais dont une partie lui échappe ? Une femme qu’il enferme symboliquement et plastiquement dans ce rôle d’épouse, puis de mère7, abandonnant peu à peu toute référence ou presque à sa carrière antérieure ? […]


1 Trois danseuses : Olga Khokhlova, Lydia Lopoukova et Loubov Chernicheva, d’après une photographie, début 1919, crayon graphite et fusain sur papier à dessin vergé, 62,5x47,5 cm, Musée national Picasso- Paris, MP834 ; Sept danseuses dont Olga Khokhlova au premier plan, d’après une photographie de White, début 1919, crayon graphite sur esquisse au fusain sur papier à dessin vergé, 62,5x50, 2 cm, Musée national Picasso-Paris, MP841.
2 Portrait de femme au col de fourrure (Olga), 1922-1923, huile sur toile, 73x60 cm, Fundación Almine y Bernard Ruiz- Picasso para el Arte.
3 Cf. infra l’article de Thomas Chaineux, « Olga Picasso, entre France et Russie ».
4 Olga au col de fourrure, 1923, huile sur toile, 116x80,5 cm, Musée national Picasso-Paris, MP1990-9.
5 Paul en Arlequin, 1924, huile sur toile, 130x 97,5 cm, Musée national Picasso-Paris, MP83 ; Paul en Pierrot, 28 février 1925, huile sur toile, 130 x 97 cm, Musée national Picasso-Paris, MP84.
6 Portrait de la femme de l’artiste (Olga), 1923, huile sur toile, 130x97 cm, Zervos V, 53, collection particulière.
7 Comme le note Pierre Daix, « la naissance de Paulo, le 4 février 1921, provoque une multiplication des portraits de bébé et d’Olga, sans jamais rien de radieux chez elle, même quand elle donne le sein à son bébé, le 2 mars. C’est le bébé qui porte la joie de vivre. Tous ces dessins ont été conservés par Picasso et publiés seulement après sa mort dans le tome XXX de Zervos » ; cf. l’article « Olga Picasso », in Le Nouveau Dictionnaire Picasso, Paris, Robert Laffont, 2012, p. 712.