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“Picasso Primitif” article 2119
au musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris

du 28 mars au 23 juillet 2017



www.quaibranly.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 27 mars 2017.

2119_Picasso2119_Picasso2119_PicassoLégendes de gauche à droite :
1/  Sculpture en bronze "La femme en robe longue" face à l'huile sur toile "L'Aubade" dans l'atelier des Grands-Augustins. N° inventaire : MP1996-306.
2/  Pablo Picasso dans l'atelier du Bateau-Lavoir, Illustration tirée de l'article "The Wild men of Paris" de Gelett Burgess (Architectural Record, 5 mai 1910), 1908. Photographie de Frank Burgess Gelett (1866-1951). © Droits réservés. ©RMN-Grand Palais (musée Picasso de Paris) / Madeleine Coursaget. Musée national Picasso-Paris.
3/  Photomontage de Jean Harold envoyé à Picasso par Jean Cocteau et légendé, au dos: par « Picasso – Période nègre ». N° inventaire : RMN-15-519889.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

La première partie de l'exposition est un parcours retraçant la chronologie de la relation de Picasso aux arts primitifs et en particulier à l'art africain. Dans un atelier transparent de blancheur, un manteau de cheminée, une lampe, quelques châssis posés contre le mur servent de décor à une composition de textes, de photographies, de lettres, cartes postales et de quelques dessins, formant un grand livre illustré. Les statuettes et masques disposé sur les étagères d'ateliers ou de salons photographiés se retrouvent sur une carte postale, un catalogue d'exposition, au cœur d'un échange épistolaire ou sont exposés dans une vitrine. Le visiteur, tel un détective, collecte des indices, suit les pérégrinations des objets et des œuvres, découvre les passions qu'ils suscitent.

L'art primitif ayant inspiré Picasso ne vient pas que d'Afrique, La Vierge de Gósol espagnole du XIIème siècle en bois peint ou un tableau du Douanier Rousseau possèdent une naïveté, une simplicité formelle, et entrent en relation directe avec l'approche dite primitive d'un regard, d'une émotion non filtrée. A travers les échanges de lettres et de cartes postales apparait une communauté autant amicale que culturelle et économique. Dans ce petit monde, Picasso, Aimé Césaire, Nancy Cunard, Gertrude Stein sont les fers de lance d'une ouverture intellectuelle et artistique sans précédent.

Dans la deuxième partie de cette exposition, l'espace s'élargit en un petit musée des arts primitifs baigné de lumière dans lequel dessins, études, toiles et sculptures de Picasso se sont glissés au milieu des objets exposées. Comme sur les photos de son atelier que nous avons vues précédemment, les œuvres du peintre sont entourées de leurs frères et sœurs africains. Ainsi le tableau Jeune garçon nu est présenté sur un socle de statue au centre d'un cercle de statues comme sur une photo de famille.

L'influence des arts premiers sur le travail du peintre, depuis le fondateur Demoiselles d'Avignon, se renforce au fur et à mesure que s'étoffe sa collection. De la série totémique des nus debout à la géométrie de traits au crayons de couleur jusqu'à l'enfant, masque plat de tôle noire, l'artiste cherche d'abord à voir et comprendre le monde avec le regard et l'esprit de l'autre. Le dialogue qui s'installe nous fait autant voir du primitif chez Picasso que du Picasso chez le primitif. Ces deux morceaux de vases brisés devenus masques par l'ajout d'une bouche et d'yeux peints et dont les anses sont le nez semblent exhumées d'une terre africaine plus que créés dans un atelier parisien. Réciproquement, une coiffe Vanuatu ornée d'une colombe de bois peinte en bleu pourrait tout à fait être une œuvre de l'artiste.

Les corps, déconstruits en verticalités et en horizontalités, cherchent à retrouver la symbolique que les peuples premiers y investissaient. Le Nu couché au lit bleu, dans son économie de formes et de couleurs, réduit à une synthèse de blanc, de noir, de rouge et de bleu sur la couleur nue du bois ou ce petit personnage assis découpé dans un morceau de carton plié ont le même pouvoir d'évocation spirituelle que la peinture aborigène, le même questionnement sur la place de l'homme dans le cosmos.

Cette étude des puissantes forces de la vie et de la nature, du mystère originel de la sexualité, à travers les formes de l'homme et de la femme trouve son aboutissement dans une caverne sombre. Là, l'inconscient produit ses apparitions inquiétantes, ses incantations magiques. Une statue hérissée de clous pointe vers nous un orifice, une obscurité de néant. Depuis l'atelier de Picasso, nous avons remonté le courant de la création artistique jusqu'à sa source, le premier atelier, le ventre originel, la grotte où le premier homme à eu l'idée de poser sa main enduite de pigment sur la roche.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire de l’exposition :
Yves Le Fur, Directeur du patrimoine et des collections du musée du quai Branly - Jacques Chirac




« Mes plus pures émotions, je les ai éprouvées dans une grande forêt d’Espagne, où, à seize ans, je m’étais retiré pour peindre. Mes plus grandes émotions artistiques, je les ai ressenties lorsque m’apparut soudain la sublime beauté des sculptures exécutées par les artistes anonymes de l’Afrique. Ces ouvrages d’un religieux, passionné et rigoureusement logique, sont ce que l’imagination humaine a produit de plus puissant et de plus beau. Je me hâte d’ajouter que cependant, je déteste l’exotisme. » Picasso / Apollinaire, Correspondances, Paris, Gallimard, 1992

Exposition événement du printemps 2017 en collaboration avec le Musée national Picasso - Paris, l’exposition PICASSO PRIMITIF offre un regard totalement inédit sur l’étroite relation qui unit Picasso et les arts d’Afrique, d’Océanie, des Amériques et d’Asie.

Conçue par Yves Le Fur – directeur du département du patrimoine et des collections du musée du quai Branly - Jacques Chirac, et spécialiste des arts premiers –, l’exposition propose un éclairage résolument nouveau sur l’oeuvre de Picasso, non pas en recherchant les preuves d’inspiration, comme cela a parfois été le cas dans le passé, mais en s’appuyant sur l’environnement créatif de l’artiste, puis en confrontant ses oeuvres à celles des créateurs d’art premier.

Ainsi, de façon immersive, une première mise en contexte retrace à la manière d’une enquête chronologique toutes les étapes par lesquelles Picasso a entretenu des relations avec les arts non occidentaux, bien au-delà de la période de création des Demoiselles d’Avignon en 1906-1907, mais aussi, comme le montre sa collection, tout au long de sa vie. Documents, lettres, objets, photographies esquissent dans une chronologie rigoureuse ce que l’artiste a pu admirer, les cercles de marchands et de collectionneurs qu’il a côtoyés, les expositions visitées et celles pour lesquelles il a prêté sa propre collection d’oeuvres non occidentales.

À l’image d’un corps à corps, l’exposition fait ensuite dialoguer l’extraordinaire richesse des oeuvres de Picasso avec celles, non moins riches, des artistes non occidentaux. Cette seconde approche, qui occupe spatialement la plus grande partie de l’exposition, s’appuie davantage sur une anthropologie de l’art que sur le constat de relations esthétiques. Elle présente en trois parties – Archétypes, Métamorphoses et Ça – les univers auxquels Pablo Picasso a répondu par des réponses plastiques convergentes à celles des artistes d’art premier.

« Quand je me suis rendu pour la première fois au musée du Trocadéro (…) je me suis forcé à rester, à examiner ces masques, tous ces objets que des hommes avaient exécutés dans un dessein sacré, magique, pour qu’ils servent d’intermédiaires entre eux et les forces inconnues hostiles, qui les entouraient, tâchant ainsi de surmonter leur frayeur en leur donnant couleur et forme. Et alors j’ai compris que c’était le sens même de la peinture. Ce n’est pas un processus esthétique ; c’est une forme de magie qui s’interpose entre l’univers hostile et nous, une façon de saisir le pouvoir, en imposant une forme à nos terreurs comme à nos désirs. Le jour où je compris cela, je sus que j’avais trouvé mon chemin. » Picasso cité par Françoise Gilot, Vivre avec Picasso, 1964.



Présentation de l’exposition par Yves Le Fur, commissaire de l’exposition

La question de Picasso et des arts non occidentaux a été traitée à de multiples reprises. L’exposition ne procède pas à une juxtaposition supplémentaire explorant d’hypothétiques preuves d’inspiration. En l’absence de déclaration formelle de l’artiste, en dehors de celle provocatrice et agacée de « l’art nègre, connais pas », elle s’appuie sur deux approches complémentaires révélant la relation entre Picasso et les arts d’Afrique, d’Océanie, des Amériques mais aussi d’Asie.

La première approche est celle d’un parti pris chronologique et historique. Il suit les jalons avérés par lesquels Picasso a entretenu des relations avec les arts non occidentaux, depuis son arrivée à Paris en 1900. Non pas seulement pendant dans la période, décisive en effet, de la gestation des Demoiselles d’Avignon en 1906-1907 mais, comme le montre sa collection conservée sa vie durant, tout au long de sa création. (…) Suivant la constitution de sa collection personnelle qu’il poursuivit toute sa vie, on trace ses intérêts, ses curiosités, qui ne se limitaient pas à l’art africain mais s’étendaient à de nombreuses autres formes de création.

La deuxième approche fait dialoguer l’extraordinaire richesse des oeuvres de Picasso – pas seulement majeures mais celles où s’expérimentent des concepts esthétiques – avec celles, non moins riches, des artistes non occidentaux. La permanence des oeuvres du monde entier dans ses différents ateliers montre combien, par leur compagnie parfois cachée, l’artiste a toujours entretenu un dialogue avec elles, échange fait d’admiration, de respect, voire de crainte.

Cette deuxième approche s’appuie davantage sur une anthropologie de l’art que sur le constat de relations esthétiques. Elle présente en trois parties – ARCHÉTYPES, MÉTAMORPHOSES et ÇA – des questionnements auxquels les artistes ont répondu par des solutions plastiques convergentes. Le “primitif” ne s’entend plus alors comme un stade de non-développement mais comme l’accès aux couches les plus profondes, les plus fondatrices de l’humain. Autour du corps et de la figure se rencontrent les figures ARCHÉTYPALES de la nudité, de la verticalité, de la schématisation dans des colloques de créations qui empruntent tour à tour au figuratif ou à l’abstrait, au monochrome ou au polychrome, sans souci de primauté. Le dialogue se poursuit avec l’extraordinaire usage des matériaux, l’imaginaire des trouvailles, leurs assemblages dans le jeu virtuose des MÉTAMORPHOSES. La richesse des variations autour de la figure passe par la défiguration, la destruction, les multiples apparitions du masque, ses figures hybrides et ambivalentes. Au coeur des rencontres et des transformations des corps se tient l’énigme de la sexualité et ses fantasmes. Dans leur profondeur, LE ÇA, le sauvage, la pulsion et la perte s’expriment et circulent selon des modes inconscients et que la création des artistes font affleurer selon des modes rituels ou exorcistes. « Mon premier tableau d’exorcisme » disait Picasso à propos des Demoiselles d’Avignon. Il en créa bien d’autres, comme de nombreux artistes dans le monde pour exprimer l’indicible.