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“Claude Iverné” Bilad es Sudan
à la Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris

du 11 mai au 30 juillet 2017



www.henricartierbresson.org

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 10 mai 2017.

2153_Claude-Iverne2153_Claude-Iverne2153_Claude-IverneLégendes de gauche à droite :
1/  Claude Iverné, L1009878. Cérémonie de remise de diplômes d’apprentis / Centre de formation Saint-Vincent-de-Paul / Soeur Emmanuelle / Quartier Lologo / Juba / Déc. 2015. © Claude Iverné–Elnour.
2/  Claude Iverné, L1008017. Simulacre / Guy Roger Janda / Lycéen / Français / Évry / Déc. 2016. © Claude Iverné–Elnour.
3/  Claude Iverné, 67614-01. Mnaïma Adjak / Peuple Shénabla / Clan Awasma / Dar Jawama / Kordofan Nord / Août 2001. © Claude Iverné–Elnour.

 


2153_Claude-Iverne audio
Interview de Claude Iverné,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 10 mai 2017, durée 31'03". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

« Rien ici n’est vérité, c’est dans les failles, entre les lignes, que germe l’imaginaire. » Claude Iverné

La Fondation Henri Cartier-Bresson présente l’exposition Bilad es Sudan de Claude Iverné, lauréat du Prix HCB 2015. En 1999, Iverné part suivre Darb al Arba'ïn, La piste des Quarante qui reliait autrefois l’Égypte et le sultanat du Darfour. Il y découvre un pays baigné d’influences contraires et naît alors le projet de documenter ce territoire, le Soudan. D’autres séjours suivront. L'errance lui est apparue comme une évidence, la vie plutôt que le voyage, jusqu'à l’apprentissage de la langue, l’arabe.

Dans le cadre du Prix HCB 2015, Iverné a souhaité poursuivre son projet au Soudan du Sud, le 193e état de la planète. Il a tenté d’en esquisser les traits historiques, d’en tracer les contours contemporains. Ce second volet doit être lu en miroir de celui réalisé au Nord Soudan. Alors que le Nord est dépeint en noir et blanc, pour le Sud, Claude Iverné privilégie la couleur en écho au brouhaha ambiant. Il enregistre la mutation précipitée d’un territoire encore épris de nomadisme vers une économie de marché, et clôt ainsi son épopée soudanaise. La situation actuelle au Soudan du Sud a demandé des adaptations, un changement de cap, le voyageur photographe a pris les chemins de traverse. Après ses photographies en Afrique2, il a déplacé sa boussole de Trégastel à la vallée de la Roya en passant par le bois de Vincennes, à la rencontre des réfugiés soudanais qui, malgré eux, construisent une autre cartographie de ce projet.

Le chemin, la perte des repères, l’expérience du territoire semblent bien plus importants à Claude Iverné, que l’affirmation claire d’un propos. Loin de lui l’idée d’imposer une vision du Soudan. Difficile à tenir lorsque l’on a arpenté le pays depuis près de vingt ans avec l’intention d’écrire, puis de documenter, et surtout « d’apprivoiser son libre arbitre et cultiver un certain goût du banal et de l’ordinaire ».

Son travail en noir et blanc oscille entre une approche anthropologique – les légendes sont extrêmement détaillées, mais toujours éloignées des images – et un labyrinthe silencieux où chacun est prié de trouver sa voie. L’oeuvre d’Iverné s’affranchit du paradoxe entre la restitution pure d’un territoire et l’esthétique du photographe. Même s’il s’en défend, il pratique avec grâce l’art du cadrage, de la bonne distance et du tirage. La situation politique au Soudan du Sud est extrêmement tendue, l’errance, l’immersion lente propre à Iverné y devient impossible, les habitants partent par milliers se réfugier ailleurs. Il décide donc d’aller à leur rencontre. Sans pathos. Le regardeur passe des tentes nomades du désert à celles de la banlieue des villes françaises : le chant s’arrête sur des portraits saisissants.

La Fondation Henri Cartier-Bresson expose l’un des « brouillons » de cet immense travail, l’une des strates de cette collection, en collaboration avec la Fondation d’entreprise Hermès, partenaire du Prix HCB. L’exposition rassemble plus de cent tirages, vidéos, documents et objets.

L’exposition sera présentée à la Fondation Aperture à New-York du 15 septembre au 9 novembre 2017. Un ouvrage publié aux éditions Xavier Barral accompagne l’exposition. Il apporte une autre lecture, un essai transformé, une pierre friable dans l’édifice fragile de l’histoire : « une pensée intime ne vaut-elle pas l’histoire dès lors qu’elle se partage publiquement ? » 3. Il propose une introduction de Claude Iverné et un entretien avec Quentin Bajac par Jonas Cuénin.


2. Christophe Ayad « Juste l’Afrique », Le Monde, 11 octobre 2012
3. Claude Iverné, Introduction, SudanPhotoGraphs, Vol.1, Ed Elnour, Paris, 2012





Parti pour écrire, une utopie, j’ai collecté des images, convaincu qu’elles feraient bon ménage. Ironie du sort, tandis que j’atteste leur potentiel littéraire, m’est demandé de leur ajouter des mots pour introduire cet essai.

Je tourne la page. Je reste ici. Les images défilent. Sentinelle, je tire le fill, les lis et lie les vues. Le ciel courbé s’y déroule, l’espace du mouvement. Je suis là-bas, ici et maintenant, puis plus loin. Des objets se déplacent jusque et juste devant moi. Description. Je suis ailleurs et dedans. Je suis mes traces.

La nuit le ciel court plus vite. Immobile je vois mourir ses phares. Hafez pose Hamza sur mon épaule droite pour m’indiquer la piste. C’est l’étoile à suivre, jusqu’à la suivante. Je suis un point. Il y a de l’espace autour des images que je fixe. Tout y bouge.

Noir. De couleur, noire. En arabe : Assouad. Les conquérants, omeyyades, de peau claire nommèrent ce territoire, ce Sud, Bilad es sudan : le pays des noirs. Vous n’êtes pas au Soudan. Vous êtes dans un livre. Et vue d’ici la terre est plate. Son espace, que je veux aussi hospitalier que l’original, expose des reproductions d’images, posées ici plutôt que là dans le blanc, comme les objets. J’en ai rédigé les légendes. Le montage procède de la combinaison de plusieurs personnes. Il a puisé dans un corpus hétérogène dont les assemblages divers réemploient des fragments de fables passées, au fur et à mesure du chemin parcouru, pour autant de brouillons successifs. Ici, un essai formaliste entre fable, description et intimité.

[…]

Restent des cicatrices. Et des bourgeons germent les pousses bigarrées de multinationales, rose adventiste, jaune évangélique, bleu démocratique, blanc Capital, hic. Les sociétés acéphales décrites par Evans Pritchard prêtent désormais flanc aux quolibets sur le mauvais sauvage non encore dressé. Ici aussi, le dieu argent supplante la personne.

Trop d’orages et de chaos pour mener à bien mon ambition en terre promise. À quoi bon ajouter une couche aux sédiments accumulés depuis la première histoire-géographie ? Une boîte de Pandore bien plus grande que moi. L’impossible pratique du doute eût déplacé le propos en joute, hors registre, hors sujet. Marauder sur place, sans la sérénité requise me parut décalé, une pâle entreprise. La poussière n’était pas encore retombée.

[…]

La guerre puis la mer auront dilué les écarts entre les peuples cramés. Quelle identité leur accorde notre regard ? Réunis dans l’indifférence, ils me regardent, dos au mur gris-bleu brouillard, face à l’hospitalité des miens en miroir. Je sers d’interprète, je comprends, j’accompagne. La boucle persiste à braver les frontières. Le Soudan français n’a pas échoué à Fachoda mais en vallée de la Roya. Des hommes, des femmes, des vrais, postés vent debout, y rachètent, restaurent et réchauffent calmement mais assurément un lien essentiel en déshérence.

Claude Iverné, extraits de Bilad es Sudan, Éditions Xavier Barral, 2017