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“Medusa” Bijoux et tabous
au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

du 19 mai au 5 novembre 2017



www.mam.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse de l'exposition, le 18 mai 2017.

2161_Medusa2161_Medusa2161_MedusaLégendes de gauche à droite :
1/ Anni Albers et Alexander Reed, Reconstitution de Drain StrainerPiece, 1988. Grille d’évier, trombones, chaînette. Bethany, The Josef and Anni Albers Foundation. © 2017 The Josef and Anni Albers Foundation © ADAGP, Paris 2017.
2/ Anonyme (France), Bracelet de naissance, 10 mai 2009. Plastique, papier. Collection famille Gaultier.
3/ Evelyn Hofer, Anjelica Huston portant The Jealous Husband (vers 1940) d’Alexander Calder, 1976. Photographie. © Estate of Evelyn Hofer © 2017 Calder Foundation New-York / ADAGP, Paris.

 


2161_Medusa audio
Interview de Anne Dressen, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 18 mai 2017, durée 17'08". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Quel est le point commun entre la duchesse de Windsor et Madonna, Mr. T. et Joséphine Baker, Nancy Cunard et un général en retraite ? La parure, qu'elle soit collier, bracelet, diadème, épingle à nourrice ou médaille, devient bijou, et entre aujourd'hui au Musée d'Art Moderne. Des vitrines blanches baignées de lumière produisent des reflets aveuglants qui empêchent la lecture des cartels sauf sous un angle précis. D'autres pièces sont exposées dans de grands coffres verticaux noirs qui produisent un contraste lumineux presque douloureux lorsqu'on tente d'en lire le descriptif.

Malgré une tentative de créer du sens en construisant le parcours autour de 4 chapitres thématiques, on se perd dans un mélange convenu où l'ancien, le primitif, le médiéval côtoie le contemporain. Les valeurs incontournables que sont Cartier ou Van Cleef, les créations de stylistes renommés, les incursions d'artistes iconiques sont confrontées à des œuvres plus vernaculaires, collier en cols de bouteilles de verre, bracelet de carton ou de détritus trouvés dans les rues de New York. Il s'agit en fait de fausse modestie : même les bijoux les plus opposés à ce monde du luxe et du statut, comme ce collier de nouilles ou celui de bonbons pastels que l'on achetait à la boulangerie du coin, se révèlent être des œuvres signées. La couronne-collage de morceaux de paquets de bonbons Haribo n'est pas la création d'un enfant, d'un anonyme punk, mais du Vivienne Westwood.

Il y a peu d'art contemporain pour satisfaire un amateur du Musée d'Art Moderne. Une vidéo simple et ironique de Sharon Fitness montre l'artiste confectionnant une boule de neige pour s'en faire une broche en la collant sur son manteau. Voilà déjà 47 secondes de gagnées.

Le travail de Noa Zilberman est sans doute la seule vraie réflexion sur le bijou et sa symbolique. Ses bijoux-rides sont des fines tiges d'or courbées qu'elle place sur son visage, créant et accentuant les rides du cou, du front ou autour de la bouche. En se vieillissant volontairement, elle interroge nos conceptions sur l'âge et le déclin physique, sur les valeurs associées à l'apparence et les stéréotypes de la beauté. Cela dérange de façon bien salutaire et touche efficacement.

Sinon, on cherche le tabou vanté dans le titre de l'exposition, est-il dans le collier avec sa petite cuiller à cocaïne ? Dans la bague-miroir pour tricheur aux cartes du XVIIIéme siècle ? Derrière ce lourd rideau noir précédé d'un avertissement aux âmes sensible ? (quelques sex toys et un cilice, pas de quoi fouetter un chat du XXIème siècle).

À vouloir tout dire, tout montrer, l'exposition s'essouffle, perd de son sens. La tentative d'être exhaustif dilue les quelques idées pertinentes et nous laisse errer sans direction, baillant d'ennui. Même la section futuriste, censée nous emmener dans un cybermonde audacieux tombe à plat. Pour voir une apple watch ou un fitness tracker, mieux vaut aller dans un magasin.

Perdu au milieu d'une vitrine, il y a un tout petit bracelet de naissance de nouveau-né. Ce simple objet utilitaire, produit jetable hospitalier, porte l'inscription manuscrite du nom du bébé et de sa date de naissance. Cet objet malgré-lui est le premier bijou que l'on porte en entrant dans le monde. Aucun autre bijou n'arrive à contenir autant d'émotion.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat : Anne Dressen
En collaboration avec Michèle Heuzé et Benjamin Lignel, conseillers scientifiques




Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris présente Medusa, une exposition portant un regard contemporain et inédit sur le bijou, qui révèle certains tabous.

Tout comme le visage de Méduse dans la mythologie grecque, le bijou attire et trouble celui qui le conçoit, le regarde ou le porte. Objet au statut ambigu, à mi-chemin entre parure et sculpture, il reste l’une des formes d’expression artistique les plus anciennes et universelles bien qu’il ne soit pas nécessairement considéré comme une oeuvre d’art. Il est en effet souvent perçu comme trop près du corps, trop féminin, précieux, ornemental, ou primitif.

Mais il doit aux artistes d’avant-garde et aux créateurs contemporains d’avoir été réinventé, transformé et éloigné de ses propres traditions.

Dans la continuité des expositions collectives et transversales du musée, comme « L’Hiver de l’Amour », « Playback », « Decorum », MEDUSA entend interroger les frontières traditionnelles de l’art, en reconsidérant, avec la complicité des artistes, les questions de l’artisanat, du décoratif, de la mode, de la culture pop.

L’exposition réunit plus de 400 bijoux : réalisés par des artistes (Anni Albers, Man Ray, Meret Oppenheim, Alexander Calder, Salvador Dali, Louise Bourgeois, Lucio Fontana, Niki de Saint Phalle, Fabrice Gygi, Thomas Hirschhorn, Danny McDonald, Sylvie Auvray…), des bijoutiers d’avant-garde et de designers (René Lalique, Suzanne Belperron, Line Vautrin, Art Smith, Tony Duquette, Bless, Nervous System…), mais aussi des bijoutiers contemporains (Gijs Bakker, Otto Künzli, Karl Fristch, Dorothea Prühl, Seulgi Kwon, Sophie Hanagarth…) ou encore des joailliers (Cartier, Van Cleef & Arpels, Victoire de Castellane, Buccellati…), ainsi que des pièces anonymes, plus anciennes ou non-occidentales (de la Préhistoire, du Moyen-Age, des bijoux amérindiens, du punk et du rap au bijou fantaisie…).

Ces pièces, connues et méconnues, uniques, multiples, faites à la main, industriellement, ou par ordinateur, mélangent des esthétiques raffinées, artisanales, amateures, ou au contraire futuristes. Elles vont parfois bien au-delà du bijou et n’hésitent pas à explorer des usages inhabituels.

L’exposition s’articule autour de quatre thématiques : l’identité, la valeur, le corps, et le rite. Chaque section part des a priori souvent négatifs qui entourent les bijoux, pour mieux les déconstruire, et révéler, in fine, la force subversive et performative qui les sous-tend.

Une vingtaine d’installations d’artistes contemporains (Mike Kelley, Leonor Antunes, Jean-Marie Appriou, Atelier E.B, Liz Craft…) rythme le parcours en écho avec les sections de l’exposition. Les oeuvres présentées questionnent les problématiques du décor, et de l’ornement et ancrent notre relation au bijou dans un rapport élargi au corps et au monde.





Extrait - Anne Dressen, « Corps »

À mi-chemin entre la parure et la sculpture, c’est toujours la composante décorative du bijou, en tant qu’ornement corporel, qui prime, ou plutôt qui pèche. C’est même son rapport au corps qui semble le plus problématique. Le bijou représente l’un des principaux tabous de l’art : abordé comme une « sous- » catégorie et au mieux comme une « mini » sculpture. Contrairement à celle de l’oeuvre d’art et à sa supposée autonomie, l’échelle du bijou est dictée par sa portabilité. Une relation de soumission au corps que certains bijoutiers et artistes souhaitent justement remettre en question.

L’aura du bijou est entachée par son caractère corporel et intime, dans le sens presque sexuel du mot. Il nous décore, nous pervertit. Plus associé à la mode qu’à l’art, il est perçu comme un accessoire, en bas de l’échelle des valeurs. Depuis le Moyen Âge, il appartient aux arts dits mineurs – un terme qui, en français, qualifie l’enfant ou l’adolescent. Un bijou serait donc incapable de signifier ? Son pouvoir de diversion, troublant les critères hypocrites de la moralité artistique, en fait au contraire un objet capital et passionnant.

Il y a pourtant plusieurs types de bijoux. Il faut distinguer les bijoux « signés » d’artistes (plasticiens, par définition non-spécialistes), de ceux des bijoutiers contemporains (appelés aussi bijoux d’auteurs), des créations de haute joaillerie, des bijoux fantaisie anonymes, sans oublier le bijou « ethnique ». Il existe entre eux des rapports d’influence et des critiques mutuelles plus ou moins explicites. Les trajectoires du bijou d’artiste et du bijou dit « contemporain » sont comme inversées : après avoir inventé le cube blanc, l’art contemporain s’en est éloigné pour pénétrer la vie quotidienne, avant que le body art n’investisse frontalement le corps ; le bijou conventionnel s’est, pour sa part, d’abord affranchi des codes établis, en redéfinissant son rapport au corps, puis il s’en est émancipé, pour entrer au musée. Avec le bijou, chacun brise ses interdits.

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