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“Derain, Balthus, Giacometti” Une amitié artistique
au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

du 2 juin au 29 octobre 2017



www.mam.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 1er juin 2017.

2168_Derain-Balthus-Giacometti2168_Derain-Balthus-Giacometti2168_Derain-Balthus-GiacomettiLégendes de gauche à droite :
1/  Balthus (1908-2001), Les Beaux jours, 1944-1946. Huile sur toile, 148 x 199 cm. Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, Washington. © Balthus. © Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution, Photography by Cathy Carver.
2/  Alberto Giacometti (1901-1966), Aïka, 1959. Huile sur toile, 92.0 x 72.8 cm, Fondation Beyeler, Riehen/Basel. Photo: Peter Schibli / Beyeler Collection. © Succession Alberto Giacometti (Fondation Alberto et Annette Giacometti, Paris & ADAGP, Paris) 2017.
3/  André Derain (1880-1954), Geneviève à la pomme, vers 1937-38. Huile sur toile, 32 x 73 cm. Collection privée. © Thomas Hennocque. © ADAGP, Paris 2017.

 


2168_Derain-Balthus-Giacometti audio
Interview de Jacqueline Munck, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 1er juin 2017, durée 18'41". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

3 autoportraits : une sage toile de Giacometti encore parfumée d'impressionnisme juvénile, André Derain dans une paternelle promiscuité familiale et Balthus en dresseur de chats, élégant d'une majesté fraiche et triomphante. Ces portraits évoquent les photos d'amis de jeunesse que l'on retrouve parfois au fond d'une boîte et que l'on contemple pendant un long moment de nostalgie douce-amère. Ils ouvrent l'exposition et définissent son fil conducteur, une relation tissée autour d'une figure paternelle, trois chemins qui s'entrecroisent, trois parcours où l'audace de la jeunesse fait écho à une maturité n'ayant rien perdu de son pouvoir transgressif.

Les copies de Piero della Francesca par un Balthus adolescent expliquent la fondation classique sur laquelle est bâtie sa peinture. Mais du classicisme il garde la force théâtrale des personnages devenus symboles, le Mystère (avec une majuscule, dans sa dimension religieuse), la nécessité de la foi pour qui veut lire ses tableaux. L'œuvre de Derain a tout intégré : l'influence de Gauguin que l'on retrouve dans ses Baigneuses, la sculpture de Brancusi, des petites touches sur le bord d'un chapeau rappelant Van Gogh, des petits morceaux de cubisme ici et là. Son travail contient un immense musée dans lequel l'artiste est libre d'admirer ou de tourner le dos à l'idole comme un chat maussade et fier, de la lacérer d'un coup de griffes.

Sa Nature morte aux oranges a la puissance d'évocation odorante de l'impressionnisme. Son drapé modelé par une déconstruction en larges courbes blanches, circonvolutions géométriques de lumière, devient de fait un anti-cubisme à l'efficacité redoutable. Parallèlement, celle de Giacometti, s'étant emparée des mêmes outils du cubisme, les détourne pour en faire un faisceau de rayons X scrutant les fruits pour y révéler la nature intérieure du réel. Giacometti poursuit son but avec une obstination rectiligne. Il démonte les rouages horlogers de la délicate mécanique de la vie, cherchant dans ses portraits la pièce la plus fragile, celle qui se brisera la première, comme un chirurgien engagé dans une course désespérée contre la mort.

La peleuse de pommes de Derain, arrière-petite-fille de celle de Gabriel Metsu, s'isole dans le silence par l'aplatissement des volumes. Le personnage devient geste comme celui de sa nièce dans ce portrait où, dressée sur la pointe du pied, l'autre jambe pliée en arrière, elle se trouve paralysée dans une course immobile. On retrouve dans La rue de Balthus le même mouvement figé des protagonistes, mais ici poussé à la limite de la cassure, au seuil d'une catastrophe qui arriverait dans la seconde d'après. L'imminence inévitable de la fin fait de la vie une scène de théâtre où chacun n'est que son rôle, un même symbole se répétant en boucle depuis les débuts de la civilisation.

Balthus, dans la Jeune fille à la chemise blanche, change sa manière de peindre en descendant le long de sa toile. La matière épaisse et granuleuse du visage, en rondeurs de galbes lents, se fluidifie au fur et à mesure, accélère en plis rectilignes d'origami de la chemise jusqu'à terminer sa course en coulures liquides vert pâle. Les différentes couches superposées chez Giacometti, aplats denses de terre et traits fins calcinés par le feu procèdent de la même liberté, une liberté des moyens, de la parole, au service de la narration.

Le Musée d'Art Moderne de Paris remplit aujourd'hui brillament son rôle de musée. En nous ouvrant ainsi les portes des ateliers de Derain, Balthus et Giacometti, il nous est offert de regarder au-delà de ce que l'on croit savoir de ces artistes et de véritablement comprendre la nature de leur démarche. Quel plus bel hommage peut-on leur faire ?

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire de l’exposition : Jacqueline Munck



Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris présente une exposition inédite explorant l’amitié entre trois artistes majeurs du XXe siècle : André Derain (1880-1954), Balthus (1908-2001) et Alberto Giacometti (1901-1966). Jamais confrontés, leurs regards se rejoignent par la même exigence de ce que doit être l’oeuvre d’art. Tous trois partagent un fort désir de modernité, s’intéressent passionnément à la peinture ancienne et à l’art des civilisations lointaines tout en étant fascinés par « les forces obscures de la matière » (Derain), et plus largement par une attention aigue portée à la réalité « merveilleuse, inconnue » qu’ils ont sous les yeux (Giacometti). Bien au-delà d'une admiration réciproque et d'une véritable affection dont ils témoigneront tout au long de leur vie, la profonde communauté esthétique qui les réunit constitue le fil conducteur de l'exposition.

L’exposition présente une sélection exceptionnelle de plus de 350 oeuvres (peintures, sculptures, oeuvres sur papier et photographies), principalement centrée sur les années 1930 à 1960. Elle permet de revoir la part la plus importante de l’oeuvre de Derain qui n’a pas été présentée à Paris depuis plus de vingt ans avec la rétrospective en 1994 au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, de revoir Balthus, (depuis 1983 la rétrospective du Musée National d’art moderne-Centre Pompidou) tout en portant un nouveau regard sur Giacometti.

La rencontre des trois artistes est favorisée au début des années 1930 par la fréquentation du milieu surréaliste – notamment au travers de la première exposition de Balthus chez Pierre Loeb en 1934. L’intensification de leurs relations à partir de 1935 démultiplie les croisements entre leur vie et leurs oeuvres. Entre Saint-Germain et Montparnasse, ils rencontrent de nombreux artistes, écrivains et poètes dont Antonin Artaud en tout premier, Max Jacob, André Breton, Louis Aragon, Jean Cocteau, Pierre Reverdy, Jean Oberlé, Robert Desnos, Albert Camus, Pierre-Jean Jouve, Samuel Beckett, Jean-Paul Sartre et André Malraux. Le théâtre tient une place majeure avec plusieurs projets avec Marc Allegret, Boris Kochno, Roger Blin et Jean-Louis Barrault, tout comme la mode avec Jacques Doucet, Paul Poiret, Christian Dior, et le marché de l’art avec Pierre Loeb, Pierre Colle et Pierre Matisse.

Huit séquences témoignent de cette exceptionnelle amitié entre les trois artistes. L’exposition commence avec leur regard commun vers la tradition figurative et les primitivismes d'où naissent des métissages singuliers (Le regard culturel). Elle se poursuit avec leurs paysages, figures et natures mortes qui interrogent les codes de leur représentation, du néoclassicisme à Corot et Courbet (Vies silencieuses). Ils proposent aussi les portraits croisés de leurs amis, modèles et mécènes communs (Les modèles). Ils nous entraînent dans le monde du jeu, celui de l'enfance et du divertissement où se mêlent, bientôt, une mélancolie, une certaine duplicité et une réelle cruauté (Jouer, la patience). Un Entracte nous fait entrer dans le monde du spectacle où les peintres se font aussi librettistes et décorateurs. Les projets de décors et de costumes sont l'occasion d'explorer les transitivités entre l'art du spectacle et celui de la peinture et de la sculpture. Giacometti ouvre un monde onirique dans la section Le rêve - visions de l'inconnu dans lequel Derain et Balthus réactualisent le thème de la femme endormie et du songe, à la lisière du fantasme et du vécu. Les artistes expriment leurs doutes et leurs interrogations au coeur du « lieu du métier » (A contretemps dans l'atelier), quand tous trois explorent « les possibilités du réel » face à la tragédie du temps (La griffe sombre). Balthus clôt le parcours en nous invitant dans le présent continu de la peinture avec le Peintre et son modèle.

Les oeuvres rassemblées pour cette exposition proviennent des plus grandes collections particulières et muséales du monde entier telles que le MoMA, le Metropolitan Museum, le Hirshhorn Museum, le Minneapolis Institute, l’Albright-Knox Art Gallery, le North Carolina Museum of Art, le Wadsworth Atheneum Museum of Art, la Tate, le Boijmans Museum, la Fondation Pierre et Tana Matisse, le Centre Pompidou, le Musée d’Orsay-Musée de l’Orangerie, la Fondation Maeght, la Fondation Beyeler, le Musée du Petit Palais à Genève, le musée d’art d’Hokkaido, le Louisiana Museum of Modern Art. Et bien-sûr plusieurs oeuvres des collections du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris qui vient de s’enrichir de la « Grande Bacchanale noire » (1935-1945) de Derain, chef-d’oeuvre de l’artiste et don exceptionnel de la Société des Amis du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.