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“Lee Ungno” L’homme des foules
au musée Cernuschi, Paris

du 9 juin au 19 novembre 2017



www.cernuschi.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 8 juin 2017.

2169_Lee-Ungno2169_Lee-Ungno2169_Lee-UngnoLégendes de gauche à droite :
1/  Lee Ungno, sans titre, 1987, encre sur papier. © Musée Cernuschi / Roger-Viollet - Adagp, Paris 2017.
2/  Lee Ungno, Hommes, 1959, encre sur papier, 66 x 51,3 cm. © Musée Cernuschi / Roger-Viollet - Adagp, Paris 2017.
3/  Portrait de l’artiste Lee Ungno, années 1970, collection particulière.

 


2169_Lee-Ungno audio
Interview de Mael Bellec, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 8 juin 2017, durée 15'56". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Comment se libérer du poids de la tradition sans pour autant se couper de ses racines ? La réponse de Lee Ungno est dans le geste, répété jusqu'à la perfection. A force de répétitions, le geste synthétise le réel, le concentre, le distille jusqu'à ce qu'une porte s'ouvre, le faisant entrer dans l'abstraction. Des taches humides de lavis s'alourdissant en masses d'encre noire que croisent de fines lignes au pinceau, des pointillés délicats pleins de légèreté composent un paysage de collines, de forêts et de champs. Quelques éléments brefs comme des idéogrammes en sont les habitants, cultivant la terre, vaquant à diverses occupations.

L'étude de la nature est celle des éléments qui la composent : l'air, l'eau et leur subtil mouvement. Un banc de poissons suit le courant d'un ruisseau vertical comme autant de fleurs et de fruits le long de la branche d'un arbre s'abreuvent de sa sève, prêts à se détacher. Deux oiseaux droits et raides, à la queue dressée, entrecroisent leurs longs becs dans un geste de défi, prêts au combat. Des flamants roses d'abord statiques, s'animent en se nourrissant, puis un couple s'émancipe, s'éloigne du groupe, lui jetant un regard en arrière. Le langage de Lee Ungno, à l'image de ses tournesols dont les tiges serpentent en angles droits comme des rails de chemin de fer, est un cheminement entre une origine et une destination. Ses bambous, secs et cassants, d'une nervosité crissante, représentent l'ordre ancien, rigide, dont l'artiste souhaite se libérer. Cette fuite émancipatrice s'oppose autant à l'ordre académique qu'à celui, politique, étouffant la société.

L'exercice de la calligraphie, comme l'étude de la nature, procède de l'ordre et du désordre. Les caractères se perdent dans une jungle dense d'encre fluide, comme camouflés dans le feuillage. Ils s'écoulent en cascade ou se dispersent sur le papier. Ronds comme des bulles et cernés d'un contour, ils ressemblent à un graffiti hip-hop. Poussant plus loin l'abstraction, les caractères perdent leur lisibilité et deviennent des personnages à part entière, individus ayant gagné leur autonomie. Tracée en positif ou bien en négatif, par réserve sur un fond peint en noir, de forme épaisse, obèse ou graphie de fil serpentant librement sur la feuille de papier, la langue de Lee Ungno s'est confondue avec le peuple qui la parle.

Sur des compositions de papiers découpés, déchirés, froissés qui se fondent en une nouvelle matière, une foule se dessine. Des formes simples, petites créatures agglutinées faites de courbes ou d'angles, se différencient les unes des autres, s'individualisent. Bientôt leur poussent des bras et des jambes. Les hommes ainsi nés du verbe se mettent à danser. La foule est une humanité écartelée entre son besoin d'individualité et son attachement au collectif. Les personnages dansent en petits groupes épars ou bien se suivent dans une longue file sinueuse parcourant toute la surface du tableau. Lorsque tout ordre disparait, qu'il n'y a plus que des individus indépendants les uns des autres, la danse a alors des accents de triomphe orgiaque. Sans ordre, sans nature créant de direction, transparait un sentiment d'égarement, de déconnection. Cette foule ayant atteint son but de libération semble vouée au chaos, elle ne goûtera sa victoire qu'un bref instant.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire : Mael Bellec, conservateur au musée Cernuschi



Lee Ungno (1904-1989) est l’un des peintres asiatiques les plus importants du XXe siècle, à la croisée des chemins entre l’Extrême-Orient et l’Europe, le passé et le présent.

Son abandon, dans les années 1950, d’un art traditionnel pour des formes modernes et abstraites joue ainsi un rôle pionnier dans la fondation d’un art coréen contemporain. Son intégration ultérieure dans l’avant-garde parisienne aux côtés de Hartung, de Soulages ou de Zao Wou-ki, s’accompagne d’un enseignement de la peinture à l’encre qui inspire toute une génération d’artistes.

L’exploration des relations entre calligraphie et abstraction dans les années 1970 donne naissance à un thème emblématique de son oeuvre : les Foules qui constituent le symbole de la démocratie naissante en Corée du Sud.

Le musée Cernuschi a accueilli depuis 1971 l’académie de peinture orientale fondée par Lee Ungno et possède dans ses collections 130 oeuvres réalisées entre 1953 et 1989. Une sélection de 82 d’entre elles, enrichie de cinq prêts, constitue l’introduction idéale à une oeuvre foisonnante et à l’énergie communicative.



Parcours de l’exposition : Introduction

Sujet de la dynastie finissante des Yi (1392-1910), devenu étudiant au Japon pendant la période coloniale, artiste d’avant-garde après la guerre de Corée, prisonnier politique durant deux ans et demi sous la présidence de Park Chung-hee (1917-1979) et peintre militant pour la paix et la démocratie dans ses dernières années, Lee Ungno (1904-1989) incarne de larges pans de l’histoire de la Corée du Sud et de sa modernisation.

Son apport au renouvellement de la peinture à l’encre, après la partition de la péninsule en 1953, et son travail sur les Foules, perçu comme l’un des symboles de la transition démocratique, l’associent naturellement à deux moments clés du passé récent de son pays natal et justifient aujourd’hui son statut de représentant majeur du patrimoine artistique coréen.

En France, où il s’installe en décembre 1959, il devient l’un des membres d’une école de Paris jetant ses derniers feux, un artiste reconnu bénéficiant de multiples commandes publiques et un professeur passant pour l’une des figures les plus incontournables des échanges culturels entre l’Occident et l’Extrême-Orient au XXe siècle.

Le musée Cernuschi a été l’un des compagnons de route de Lee Ungno. Vadime Elisseeff (1918-2002), alors directeur de l’établissement, parraine en 1964 la fondation par l’artiste de l’Académie de peinture orientale de Paris, puis ouvre les portes du musée à Lee Ungno afin que ce dernier puisse y organiser ses cours et effectuer des démonstrations à destination du public. Au fil des manifestations, des expositions organisées en 1971 et en 1989, le musée Cernuschi constitue, grâce à la générosité du maître et de sa famille, le fonds d’œuvres consacré à ce peintre le plus important en dehors de la Corée. Cette collection, agrémentée de cinq prêts, permet aujourd’hui de présenter un panorama presque complet du travail à la fois varié et profondément cohérent de Lee Ungno, des années 1950 à sa mort en 1989.