contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Fred Stein” Paris - New York
à la Maison de la Photographie Robert Doisneau, Gentilly

du 10 juin au 24 septembre 2017



www.maisondoisneau.agglo-valdebievre.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition, le 9 juin 2017.

2170_Fred-Stein2170_Fred-Stein2170_Fred-SteinLégendes de gauche à droite :
1/  Fred Stein, Little Italy, New York, 1943. © Fred Stein Archive.
2/  Fred Stein, Front populaire, Paris, 1936. © Fred Stein Archive.
3/  Fred Stein, Enfants à Harlem, New York, 1947. © Fred Stein Archive.

 


2170_Fred-Stein audio
Interview de Michaël Houlette, directeur de la Maison de la Photographie Robert Doisneau,
par Anne-Frédérique Fer, à Gentilly, le 9 juin 2017, durée 19'50". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : La sélection des images a été effectuée conjointement par Solenne Livolsi (La Chambre), Michaël Houlette (Maison Doisneau), Jean-François Rospape (L’Imagerie) et Eric Sinatora (GRAPh-CMi).
L’exposition Fred Stein, Paris-New York, a été réalisée en étroite collaboration avec la Fred Stein archive (
www.fredstein.com) et le soutien actif de Peter Stein.



Fred Stein (1909-1967), une biographie entre deux mondes

Fred Stein naît le 3 juillet 1909 à Dresde – Allemagne. Fils d’un rabbin, il étudie le droit à l’Université de Leipzig mais il se voit refuser son intégration au barreau allemand en raison de ses origines juives et de ses idées politiques - à seize ans, il avait rejoint les Socialistes à Dresde -. En août 1933, à 24 ans, il épouse Liselotte Salzburg, dite « Lilo », fille d’un médecin juif, d’un an plus jeune que lui. Le rôle discret de Lilo dans la carrière de photographe de son mari débute précisément à ce moment : ils s’offrent mutuellement comme cadeau de mariage un Leica 35 mm, appareil de petit format inventé quelques années plus tôt. Stein poursuit ses actions antinazies mais la Gestapo le surveille à Dresde. Le prétexte d’un voyage de noces à Paris leur permet de fuir l’Allemagne.

Entre 1933 et 1939, le jeune couple s’insère dans la vie culturelle et artistique parisienne, fréquentant ainsi des photographes - Gerda Taro, Philippe Halsman… - mais aussi les milieux politiques avec d’autres réfugiés, activistes de gauche, écrivains et intellectuels. Le Paris des années 1930 bénéficie d’une effervescence artistique stimulée notamment par une presse illustrée axée sur la photographie et les visites d’expositions. Il ouvre le Studio Stein successivement à deux adresses parisiennes dans de petits appartements, avec la chambre noire dans la salle de bain !

En 1936, le Front Populaire arrive au pouvoir. Une nouvelle génération de photographes (Capa, David Seymour « Chim », Cartier-Bresson, …) fixe l’agitation et contribue à fournir des images dynamiques et engagées lors des grèves ou des victoires syndicales par exemple. Stein, tout comme Ronis, a photographié les grèves au sein des usines Renault.

En 1939, Fred Stein est interné dans un camp pour étrangers près de Paris. Il réussit à s’en échapper, rejoint sa femme et sa fille Ruth et reçoit bientôt l’aide de Varian Fry. Ce journaliste américain permet alors à plusieurs milliers de réfugiés de fuir l’Europe, beaucoup d’anonymes mais aussi des personnalités comme Marc Chagall, Hannah Arendt, Max Ernst, André Breton … Le couple quitte clandestinement la France, le 6 mai 1941 après avoir erré à travers le pays en pleine débâcle et réussit à se faire embarquer à Marseille à bord du paquebot français SS Winnipeg vers New York. Ils emmènent avec eux une valise de négatifs et quelques tirages. Cependant, la plus importante partie de leurs archives, la plus politique, demeure aux Pays- Bas par sécurité.

Malheureusement, ces documents sont détruits au cours d’un bombardement. La vie de la famille Stein est marquée par la fuite et l’exil. Leur histoire personnelle croise sans arrêt l’Histoire, les flux de migration des populations juives, des émigrés politiques et des grandes personnalités artistiques ou politiques du milieu du XXe siècle.

Arrivé à New York, Fred Stein déambule dans les larges avenues de la ville et son regard continue de capter les scènes de rue tout en utilisant l’architecture moderne et ses perspectives comme nouveau terrain de jeux.

Il est bien sûr ébahi par ce qu’il voit et la magie américaine fonctionne sur ce photographe européen. Stein choisit ses thématiques et travaille par série, ce qu’il faisait déjà à Paris afin de couvrir un sujet à vendre à la presse. Son regard happé par le tumulte de la vie new-yorkaise transparait dans ses images. Ses diverses influences lui permettent autant d’expérimentations, réussissant à instaurer un dialogue entre photographie documentaire, sociale, poétique et artistique.

En 1941, Fred Stein intègre aussi brièvement la Photo League1. En 1943, Lilo Stein donne naissance à leur fils, Peter. Conscient des opportunités offertes par New York, Stein recherche un nouveau langage photographique pour tenter de capturer le battement de la ville, son rythme, son énergie.

Alternant entre un nouveau Leica et un Rolleiflex pour son format carré, il s’offre une grande liberté de cadrage à la manière de Weegee ou de Saul Leiter. De Little Italy à Harlem en passant par Coney Island, Stein explore sa ville d’adoption, à l’affût d’une situation suffisamment éloquente pour appuyer sur le déclencheur. Sa recherche du geste associé à une temporalité où l’ensemble des conditions est rempli le conduit à instaurer le climax de sa narration photographique. Il privilégie les éclairages naturels ou sobres et évite les mises en scène élaborées ou les effets dramatiques.

Lilo prend un poste d’enseignante et aide son mari notamment en retouchant ses images. Mais à partir des années 1950, une hanche fragile rend les déplacements de Fred Stein difficiles. Sur les conseils de Philippe Halsman, il ouvre un studio et ne réalise plus que des portraits. Il rencontre et photographie plus de 1200 personnalités, artistes, hommes politiques, intellectuels et scientifiques : Albert Einstein, Franck Lloyd Wright, Georgia O’Keeffe, Salvador Dali… Ses portraits sont publiés dans les journaux et les magazines - cela est encore le cas de nos jours -. De toute sa vie, Stein n’a jamais intégré une agence ou une entreprise, souhaitant rester son propre patron et indépendant. Il rédige par ailleurs des articles et donne des conférences, toujours dans le but de défendre une photographie artistique. Ses écrits révèlent un homme cultivé, un intellectuel affable et charismatique. Fred Stein décède le 27 septembre 1967 à New York. Lilo décède, quant à elle, 30 ans après son mari, en 1997. Son fils, Peter Stein, et sa compagne Dawn Freer ainsi que leur fille Kate poursuivent le travail de diffusion et de reconnaissance de son oeuvre.

Solenne Livolsi, directrice de La Chambre

1. La Photo League était un groupement de photographes amateurs et professionnels réuni à New York autour d’objectifs communs de nature sociale et créative. Ce groupe a été actif de 1936 à 1951 et comprenait parmi ses membres certains des photographes américains les plus connus du milieu du XXe siècle.





Parler avec la photographie

Lorsque Peter Stein est venu nous rencontrer en 2015, c’est avec une certaine stupéfaction que nous avons regardé les épreuves de Fred Stein, son père, qu’il avait emportées avec lui. Il s’agissait d’anciens tirages de presse recadrés pour la plupart comme cela était l’usage chez les photographes professionnels du XXe siècle. Qui était ce Fred Stein dont nous n’avions jamais entendu parler ? Qui était ce photographe américain d’origine allemande juif, socialiste et militant antifasciste, qui avait réussi à échapper au nazisme à deux reprises, une première fois, en 1933, pour se réfugier à Paris et une seconde fois, en 1941, pour rejoindre les États-Unis ?

Les images que nous avons alors découvertes racontaient le parcours d’une vie ballotée par l’Histoire avec, pour toiles de fond, les deux villes – Paris et New York – où cet apatride et sa famille se sont successivement installés. Ces photographies documentaient bien entendu une époque et des lieux mais elles révélaient bien d’autres choses encore, sur la personnalité de leur auteur, sur sa profondeur, ses pensées et ses idées.

C’est par la force des choses que Fred Stein est devenu photographe de métier. Bien que parlant parfaitement le français, il savait en arrivant à Paris qu’il ne pourrait en aucun cas exercer la profession d’avocat à laquelle il s’était destiné. Sans possibilités de retour, Fred et Lilo Stein devaient nécessairement s’adapter et gagner leur vie dans ce pays où ils n’étaient que des étrangers et où il était, par conséquent, difficile de se faire une situation. Et c’est simplement parce que Fred Stein pratiquait déjà en amateur, parce qu’il aimait cela, que l’idée d’ouvrir un atelier de photographie a rapidement émergé.

Créer son propre studio de portraits est alors une entreprise envisageable pour le couple Stein : le peu de matériel à leur disposition suffisait pour aménager un espace de prises de vues et un laboratoire.

Avec un peu de chance et beaucoup de travail, ils pouvaient trouver une clientèle de particuliers puis, plus tard, recevoir quelques commandes de la presse illustrée. Après tout, la photographie était un langage universel – Fred Stein en a eu très tôt conscience – et si le talent était là, peu importait la nationalité d’origine de celui ou de celle qui était à l’ouvrage. On ne comptait pas les photographes hongrois, roumains, russes, allemands, etc. – la plupart réfugiés confessionnaux, politiques ou économiques – qui exerçaient dans ce Paris de l’entre-deux-guerres.

Si Fred Stein s’est lancé lui aussi, c’était en premier lieu pour survivre. Puis il s’est pris au jeu et très vite ses portraits photographiques ont commencé à montrer autre chose que des physionomies, à accuser des gestes et des attitudes, à suggérer des caractères. Cependant, c’est essentiellement dans la rue, face aux autres et face aux évènements qu’il s’est inventé, seul, une manière de raconter et de composer et qu’il est devenu photographe au sens – artistique – que nous lui donnons aujourd’hui.

Même si les images isolées ou les reportages restent difficiles à vendre, c’est pourtant vers cette vie du dehors, peu à peu familière, et vers cette foule d’anonymes, que Fred Stein pointe volontiers son objectif dès qu’il quitte son studio. Dans ses clichés parisiens se côtoient les vendeurs de rues, les ouvriers, les bourgeois et les mendiants, toute cette vie quotidienne des faubourgs, des quartiers juifs et des banlieues. Puis ce sont les meetings et les défilés des coalitions de gauche ; images qui trouveront un écho dans ses photographies américaines.

Lorsqu’il s’établit aux États-Unis, c’est avec une solide expérience du métier. New York, son architecture hors norme et sa population qui condense toute une nation faite d’émigrants, de déplacés ou de réfugiés du monde entier, a véritablement fasciné le photographe. « Je peux enregistrer tellement en un temps si court » déclare-t-il au cours d’une de ses conférences. La photographie de Fred Stein enregistre mais elle parle aussi. Ses clichés traduisent le point de vue d’un observateur qui a su donner une forme et un sens à toutes ces histoires individuelles et toutes ces choses vues en passant. Surtout, ses images reflètent la bienveillance, la curiosité empreinte de respect et de discrétion d’un homme sensible à l’humanité de ses semblables.

Fred Stein avait compris que le choix auquel il avait été contraint à Paris l’avait fait entrer dans un âge moderne, celui des médias, et que son avenir était là. Il n’a pas connu cette reconnaissance tardive qu’ont vécu de nombreux auteurs de sa génération parce qu’il est malheureusement mort trop tôt, en 1967. Ce n’est que quelques années après, au début des années 1970, que les photographes ont commencé à être considérés comme des auteurs et même comme des artistes. Sans doute Fred Stein a t-il eu toutefois conscience bien avant l’heure de la véritable portée de son travail, de son oeuvre peut-être. Homme de convictions, il a eu très tôt l’intuition que la photographie pouvait aussi être un engagement. Il a compris que, sans parole et sans mots, l’image n’en était pas moins un témoignage et qu’il pouvait, à travers elle, affirmer une vision humaine et pacifique du monde.

Michaël Houlette, Directeur de la Maison Robert Doisneau