contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Steven Pippin” Aberration optique
au Centre Pompidou, galerie de photographies, Paris

du 14 juin au 11 septembre 2017



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 13 juin 2017.

2179_Steven-Pippin2179_Steven-Pippin2179_Steven-PippinLégendes de gauche à droite :
1/  Steven Pippin, Dead End [Impasse], Doha, Qatar, 2013. © Steven Pippin.
2/  Steven Pippin, Centon 35 mm, de la série Non Event, 2011. Épreuve couleur. © Steven Pippin.
3/  Steven Pippin, Lavatory Locomotion, Tel-Aviv, Israël, 1997. Six épreuves positives par contact des films négatifs originaux (détail). © Steven Pippin.

 


2179_Steven-Pippin audio
Interview de Frédéric Paul, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 13 juin 2017, durée 19'08". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Frédéric Paul, Conservateur, Service des collections contemporaines,Musée national d’art moderne, Paris.




La révolution numérique est en marche, lorsqu’au milieu des années 1980, l’artiste britannique Steven Pippin se fait connaître par ses « proto-photographies » prises à l’aide d’objets courants transformés en chambres noires. De l’armoire au réfrigérateur, de la baignoire à la machine à laver, des toilettes publiques aux salles d’exposition, tout y passera, y compris le Photomaton, qui, tout-en-un, représente pour Steven Pippin un modèle parfait de « machine célibataire » : appareil photo, appareil à développer et à tirer des images prêtes à consommer.

L’exposition, conçue pour la Galerie de photographies du Centre Pompidou, fait suite à l’entrée récente de trois oeuvres de Steven Pippin en collection. Elle propose une traversée de l’oeuvre de l’artiste depuis 1982, ainsi qu’un précipité d’histoire de la photographie. Elle rassemble des oeuvres photographiques, mais aussi des appareils conçus ou trafiqués par Pippin, ainsi que du matériel engagé dans la réalisation de ses différents travaux.

En 1993, dans des conditions acrobatiques, Steven Pippin convertit les sanitaires du train Londres-Brighton en studio et laboratoire pour la durée du voyage : The Continued Saga of an Amateur Photographer. En 1998, l’artiste pousse l’expérience dans une laverie automatique où lui vient l’idée d’enregistrer en plusieurs images un personnage se déplaçant devant la ligne des machines à laver. Hommage à Muybridge, anglais émigré à San Francisco où, en 1878, il disposa en ligne douze chambres photographiques pour décomposer les mouvements d’un cheval au galop. Pippin rejoue Muybridge en lançant un cheval dans la laverie pour en saisir le mouvement, les machines à laver servant aussi au développement des images : Laudromat Locomotion. Après cet exploit exposé pour la première fois au SF MOMA de San Francisco, Pippin se détourne de la photographie pendant dix ans. Puis sa course effrénée vers l’image instantanée reprend.

Ce sont, alors, des retrouvailles violentes : la série Non Event met en scène la destruction d’appareils photo au moment même où une arme fait feu à bout portant pour les mettre hors d’usage.

Steven Pippin n’est pas le seul à s’intéresser aux techniques archaïques de la photographie, mais il redonne à son invention la dimension d’une épopée. Le résultat ne présente pas à ses yeux autant d’importance que le processus. Le détournement d’objets existants n’a de finalité qu’à replacer l’invention de la photographie à la portée empirique du premier venu. Pippin est avant tout un performer, son oeuvre est un récit extraordinaire et fait de la photographie un spectacle.

Steven Pippin est né en 1960, il vit à Greenwich (Royaume-Uni). Ses oeuvres sont notamment dans les collections du Centre Pompidou, du MOMA (New York), de la Tate Gallery (Londres), du SF MOMA (San Francisco), dans la Collection Lafayette Anticipations - Fonds de dotation Famille Moulin, Paris, au FNAC, Puteaux, et dans les Frac Limousin et Bretagne.





Photographicus Philosophicus, texte de Steven Pippin (extrait du catalogue en coédition aux Éditions du Centre Pompidou / Éditions Xavier Barral)

L’essor continu et exponentiel de la photographie est inversement proportionnel à la qualité de ce qu’elle véhicule. Or cette qualité baisse à mesure que de plus en plus d’appareils photo sont produits, perfectionnés et incorporés dans d’autres produits électroniques. C’est-à-dire que la qualité du contenu prévaut sur la résolution des images.

L’accélération croissante, non seulement de la photographie, mais de toutes les technologies, bute pourtant contre un ingrédient constitutif de l’image : la vitesse de la lumière. Et tout objet en mouvement, à mesure que sa vitesse de déplacement dans l’espace s’approche de celle de la lumière, subit une distorsion telle qu’il deviendrait théoriquement possible de le voir sous plusieurs faces, ou du moins d’en voir davantage que lorsqu’il est au repos. De la même manière, le traitement de la photographie numérique est devenu si rapide qu’il nous permet presque de disposer des images avant qu’elles aient été prises, et de les éliminer avant même de les avoir sérieusement examinées.

L’objectif ultime de la photographie devra donc être d’inventer un appareil photo capable d’enregistrer son propre processus de production d’images, puis de restituer cette imitation de lui-même : la photo latente retournant dans le circuit de l’appareil pour lui conférer la consistance d’un événement ou d’un objet réels.

Peut-être est-ce une illusion liée à notre surexposition à ces milliards d’images en circulation qui nous engourdissent, mais il devient presque impossible d’y réagir désormais. Ce phénomène est flagrant notamment chez les professionnels de l’art et des médias, qui sont continuellement bombardés d’images, à tel point qu’ils ne sont plus capables de regarder quoi que ce soit.

La prolifération des appareils photo et la progression vertigineuse de la télésurveillance s’accompagnent d’un autre effet secondaire à la fois plus sérieux et inconscient : celui d’étouffer voire d’étrangler la réalité au point que les événements intéressants deviennent de plus en plus rares. L’omniprésence d’appareils d’enregistrement entraîne aussi une méfiance et une inquiétude grandissantes ; enfin, l’intimidation tourne à la lassitude devant tant de caméras.

Pour tenter de réfréner la manie de prendre des photos, il m’a semblé nécessaire de commencer par détruire physiquement l’appareil. En réfléchissant au meilleur moyen de me débarrasser de la photographie, je me suis demandé comment permettre à l’appareil photo de faire son autoportrait au moment même de sa destruction et donc de sa fin. Lors de mes premières expériences, menées en France en 2006-2007, j’ai utilisé des postes de télévision noir et blanc, et mon intention était d’anéantir l’écran tout en exposant dessus un négatif panchromatique noir et blanc ultrarapide au moment précis de sa destruction.

Le cliché aujourd’hui si connu de la balle saisie en plein vol réalisée en 1888 par Ernst Mach (une image évidemment plus fascinante que celles d’un oiseau ou d’un insecte enregistrés au moyen de la photographie instantanée) a ouvert la voie à plusieurs tentatives de détruire des appareils tout en produisant simultanément une photo. Et c’est un peu par hasard que cette démarche m’a suggéré l’envie de refaire l’image canonique du projectile, mais après que celui-ci a traversé l’appareil réalisant la photo. Avec un double miroir optique et un flash ultrarapide, l’appareil était en mesure de s’observer lui même et de photographier lui-même sa propre fin.

L’idée initiale consistait à viser le dos du boîtier qui, placé devant deux miroirs, voyait la balle le pénétrer par derrière. Une fois le dispositif mis en place, le processus se déroule dans l’obscurité la plus totale, le flash étant déclenché au moment exact où la balle transperce l’appareil. Celui-ci est positionné de manière à ce que le trou produit par la balle corresponde exactement à l’emplacement et au périmètre de l’image latente fixée sur le négatif. L’enregistrement photographique parfait est ainsi détruit à peine réalisé. Un vide parfait est créé, un espace recelant une information inaccessible au monde extérieur : une image qui n’existe que dans l’imagination, de façon dysfonctionnelle et abstraite (même si le contenu de la photo a réellement existé).