contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Animer le paysage” Sur la piste des vivants
au musée de la Chasse et de la Nature, Paris

du 20 juin au 17 septembre 2017



www.chassenature.org

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 19 juin 2017.

2191_Animer-paysage2191_Animer-paysage2191_Animer-paysageLégendes de gauche à droite :
1/  Thierry Boutonnier, Donnée de l'enquête pour le chemin du maïs, 2014-2016. Photographie © Thierry Boutonnier.
2/  Sylvain Gouraud, L'affût, 2017. © Sylvain Gouraud.
3/  Alexandra Arènes et Sonia Levy, Cartogenèse du territoire de Belval, 2016. Vidéo, 2'14".

 


2191_Animer-paysage audio
Interview de Anne de Malleray et Frédérique Aït-Touati, commissaires de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 19 juin 2017, durée 11'59". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat général : Claude d’Anthenaise et Anne de Malleray
commissariat scientifique : SPEAP, Programme d’expérimentation en arts et politique (Bruno Latour et Frédérique Aït-Touati)




avec Alexandra Arènes, Thierry Boutonnier, Sylvain Gouraud, Sonia Levy, Baptiste Morizot, et Estelle Zhong Mengual (L’Atelier ACa)

Cette exposition cherche à dessiner un passage, une voie, pour entrer dans le paysage. Passer de la position d’extériorité à la nature qui caractérise notre imaginaire moderne à une exploration de l’intérieur. En suivant la piste animale, les pas des écologues, des chasseurs et des agriculteurs, avec leurs manières propres de voir le territoire et de s’y déplacer, les artistes proposent une autre perspective sur le paysage : non plus être devant, mais être dedans. La trame de ces oeuvres est faite des présences, des traces, des récits, des techniques ; autant de témoignages humains et non-humains collectés sur le territoire de Belval (Ardennes), domaine de chasse, lieu de recherche sur la biodiversité, et résidence d’artistes de la Fondation François Sommer, dont dépend le musée de la Chasse et de la Nature.

Afin d’inviter le visiteur à entrer dans le paysage, il sera mis dans la position du pisteur – un enquêteur – qui collecte des indices et déploie une autre forme de sensibilité et d’attention au paysage à travers le parcours qui lui est proposé.

Chacun recevra à l’entrée de l’exposition une couverture de carnet de terrain (fieldbook), avec des instructions l’invitant à récolter, au fil de sa visite, des feuillets conçus par les artistes et les commissaires comme des pistes de réflexion et d’enquête pour animer le paysage.

La méthode d’enquête consiste à refaire de la place à d’autres vivants, plantes et animaux, eux aussi acteurs du paysage. Elle cherche aussi à faire émerger le territoire dont on dépend collectivement, à travers nos attachements et nos relations qui soulèvent des questions géopolitiques de cohabitation entre nous, humains, et avec les autres vivants.

Les artistes et chercheurs ont déployé diverses formes d’attention au lieu (Traquer, Capter, Pister et Sillonner). Leurs oeuvres cherchent à engager le visiteur-pisteur de manière corporelle en le mettant en mouvement pour entrer dans les oeuvres, par l’écoute, la marche, la rencontre.

À l’issue de ses déplacements à travers l’espace d’exposition, le visiteur assemble les feuillets à l’intérieur de son livret et repart avec le résultat de son enquête individuelle.





Être devant / Être dedans par Bruno Latour

« Si je vous dis : “Il faut sauver la nature”, vous direz sans y penser : “Oui, oui, bien sûr” — et vous passerez à autre chose de plus important.

Mais si je vous dis : “Il faut défendre votre territoire !” alors, là, vous vous mobiliserez aussitôt — vous voilà déjà en route pour le front en disant : “Bien sûr, c’est naturel de se défendre, même les animaux, après tout, protègent leur territoire”. Ah tiens, c’est intéressant : il vous semble naturel de protéger son territoire, mais pas de défendre la nature ?

Pourquoi cette différence de sensibilité ? Parce que la nature, le plus souvent, c’est ce que l’on contemple de face, derrière une vitre, comme un spectacle ou comme un paysage. Le territoire, c’est tout autre chose : c’est ce sur quoi on pose les pieds, ce dont on dépend, ce que l’on tremble de perdre, ce dont chacun sait qu’il faut prendre un soin extrême.

Il y a donc deux paysages : celui que l’on regarde en face, de façon détachée, et celui dans lequel on se trouve inséré et qui vous tient. D’où la question suivante : est-ce que vous savez vraiment de quoi se compose le paysage dont vous devez prendre soin ? Jusqu’où s’étend-il ? Quelles sont ses limites ? Qui sont ceux qui l’occupent et qui l’animent ?

Et là, première surprise : vous vous trouvez bien embarrassés pour décrire un peu précisément le territoire à défendre.

Que faire ? Vous équiper pour traquer, capter, pister, sillonner ce dont vous ne connaissez pas les exactes limites.

D’où la deuxième surprise : la nature qui se trouvait en face de vous, voilà qu’elle se trouve désormais sous vos pieds — et qu’elle vous tient. »





L’exposition

Traquer

La proposition de Sylvain Gouraud est le fruit d’une résidence à Belval qui s’inscrit dans la continuité de son travail sur l’agriculture, comme moyen de questionner les rapports que l’homme entretient avec la nature, lorsqu’il est engagé dans des actions de gestion qui mobilisent des outils techniques mais aussi et toujours une vision complexe, construite, culturelle, de cette « nature ». Parmi les acteurs rencontrés, les chasseurs ont souvent fait leur apparition dans son enquête : ils travaillent en étroite collaboration avec les agriculteurs pour aménager un paysage-territoire partagé. Ce sont souvent les mêmes, d’ailleurs, qui cultivent et qui chassent. Des parcelles sont semées pour le gibier, des couloirs lui sont réservés, les prélèvements évitent qu’un trop grand nombre d’animaux se nourrissent sur les parcelles dédiées à la consommation humaine. Sylvain Gouraud a suivi les chasseurs sur le terrain. Pour mieux chasser dans la forêt il faut s’y fondre, il faut faire corps avec elle. Le travail photographique de Sylvain Gouraud nous révèle la chasse comme une pratique de mise en scène, d’apparition et de disparition. C’est dans ce mimétisme avec la nature que les chasseurs jouent un jeu de visibilité-invisibilité intéressant d’un point de vue photographique. Traquer, avec des outils techniques de plus en plus sophistiqués, brouille les frontières entre ce qui est naturel et ce qui est artificiel. C’est en observant d’abord les pratiques des agriculteurs, puis, à Belval la façon dont les chasseurs, outillés et équipés, cherchent à faire corps avec leur environnement, que l’artiste nous invite à entrer dans le paysage. Ces pratiques, que nous rangeons spontanément du côté de « l’artificialité », sont en fait ce qui nous relie aux territoires vivants.

Capter
Sonia Levy et Alexandra Arènes – respectivement artiste et architecte – ont été invitées en 2016 via SPEAP à réaliser une enquête dans le territoire de Belval. À l’époque où les paysages naturels semblent bouleversés et transformés à jamais par l’homme et le progrès industriel, l’enquête dans le territoire de Belval témoigne d’une vie possible dans ces paysages en ruines. Les deux chercheuses, en s’écartant du rêve de la modernisation et de son entreprise réductrice face à la complexité du paysage vivant, ont pris le parti d’aborder ce territoire en reconnaissant l’existence d’une dépendance mutuelle entre humains et non-humains. Par une forme d’alliance et d’attention aux autres vivants, de nouveaux paysages peuvent émerger. Sonia Levy et Alexandra Arènes ont observé et enregistré les collectifs humains et non-humains de ce territoire avec l’aide des personnes enquêtées (les acteurs de ce territoire). L’enquête ébauche l’idée de “lieu-composé” en décrivant la manière dont ces vies humaines et non-humaines s’entrecroisent, s’entremêlent, s’associent, afin de former un paysage. Le paysage devient assemblage hétérogène des différentes formes de vies qui l’habitent mais également des institutions et législations qui le construisent. L’installation proposée pour l’exposition sera composée de matériaux divers récoltés pendant l’enquête à Belval (sons, traces, objets). Elle recomposera à l’intérieur du musée un paysage immersif lié à Belval et à sa géohistoire, tissant le lien entre la nature et l’histoire humaine qui ont façonné ce territoire. En convoquant différents mediums de captation du monde vivant, il s’agit de rendre possible, par l’opération d’un changement de type d’attention chez le visiteur, l'émergence de mondes non-humains, de paysages multispécifiques. L’installation au musée oeuvre à assembler des entités hétérogènes et non encore réunies afin d’éprouver la pertinence de cet assemblage.

Pister
Baptiste Morizot et Estelle Zhong Mengual (L’Atelier Aca) courent forêts, friches, sites nucléaires et sentiers pour pister la faune sauvage, pratique devenue centrale dans leurs travaux de recherche et de création ces dernières années. Ils décryptent et interprètent indices et empreintes. C’est ainsi qu’ils sont devenus des lecteurs assidus des bulletins d’informations de l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage. Ils ont trouvé, entre ces pages consacrées au suivi scientifique des grands prédateurs, un matériau artistique insoupçonné. Leur installation, intitulée Passage animal, constitue une expérimentation autour de ces documents.

Sillonner
« Entre la traite du matin et les travaux des champs, les agriculteurs m’offrent un peu de leurs temps si précieux. Le maïs est une plante issue de cette mondialisation engagée depuis des siècles. C’est une plante commune qui fait parler, un levier d’enquête. Elle révèle nos excès, nos peurs et un désamour qui se trame dans nos campagnes. Suivant le cycle du maïs et avec le concours des agriculteurs, nous tissons alors un chemin. En fonction de leurs parcelles et de leurs plans d’assolement, ils m’aident à le faire. Chacun avec leurs histoires, ils vont nous accompagner sur ce chemin afin de comprendre la dynamique de leurs agro-écosystèmes et la dégradation de leurs territoires lisible dans le paysage. » Thierry Boutonnier rend compte, dans son installation, du chemin du maïs qu’il a dessiné et coconstruit, à Belval et ses environs (entre le GR14 et le GR Marches de la Meuse dans le canton de Buzancy), avec les acteurs du territoire entre 2014 et 2016. Un tracé du chemin, des témoignages recueillis auprès des personnes rencontrées, un entretien avec l’artiste ainsi que des photographies constituent, sous forme de résultat d’enquête, des traces de ce qui a eu lieu, de ce qu’il s’est passé, dans l’espace de rencontre et d’échange qui a émergé de ce projet. Afin de replacer le visiteur comme acteur responsable du paysage que les agriculteurs contribuent à façonner, les photographies sont présentées sous la forme d’une série unique de vaisselle qui raconte le chemin. Il est dans la tradition de la céramique et des assiettes d’être le support de représentations du paysage, de l’habitat et des êtres qui l’habitent. L’assiette traduit bien la rencontre entre les agroécosystèmes et leurs consommateurs. Elle est le support d’un paysage à lire comme le lieu d’une prédation toute domestique.