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“David Hockney” Rétrospective
au Centre Pompidou, Paris

du 21 juin au 23 octobre 2017



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, tournage presse, le 19 juin 2017.

2185_David-Hockney2185_David-Hockney2185_David-HockneyLégendes de gauche à droite :
1/  David Hockney, Self Portrait [Autoportrait], 1954. Collage sur papier journal, 41,9 x 29.8 cm. © David Hockney. Photo : Richard Schmidt. Bradford Museums and Galleries, Bradford.
2/  David Hockney, A Bigger Splash [Une gerbe d’eau encore plus grande], 1967. Acrylique sur toile, 242,5 x 244 cm. © David Hockney. Collection Tate, London, purchased 1981.
3/  David Hockney, Garden [Jardin], 2015. Acrylique sur toile, 122 x 183 cm. © David Hockney. Photo : Richard Schmidt. Collection de l’artiste.

 


2185_David-Hockney audio
Interview de Didier Ottinger, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 19 juin 2017, durée 9'40". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Dès ses premières expérimentations avec l'abstraction rappelant Cy Twombly, c'est par le collage que David Hockney construit son discours. Numéros colorés, petites phrases, dates de calendrier sont peints sur la toile comme un cri de revendication sur un mur. Messages griffonnées sur une porte de wc, dessins graffités, affiches sauvages vite déchirées, cette contre-culture clandestine vise la bien-pensance, détourne son iconographie publicitaire en plaçant des tubes de dentifrice au centre d'une scène homosexuelle. La forme abstraite devient rapidement corps, objet désirant et objet de désir, effectuant un coming-out pictural.

Par le collage de fragments de styles provenant de toutes ses influences, Hockney revendique la liberté de tout utiliser, de tout mélanger dans une fausse innocence militante. Sur la toile écru, des restes de cubisme, des bandes de couleurs qui serpentent, quelques formes pointillistes, des motifs de la peinture classique n'osent encore se mélanger directement. Mais ils composent une mixtape alternant entre couleur lente d'aplats appliqués, dissolution aqueuse et rapidité furieuse de traits griffés. Dans cette peinture, l'élément de base est la couleur. Vive, contrastée, celle-ci constitue le matériau du tableau non pas tant par sa forme que par son rythme. Les aplats opaques ralentis jusqu'à l'immobile composent architectures, objets et plantes, jusqu'au ciel d'été sans vent, auxquels s'opposent la vitesse et la fluidité caractérisant les corps, le jaillissement de l'eau, les éclaboussures d'un plongeon.

En cassant les règles de la perspective et en représentant ses sujets dans des poses hiératiques, des profils pré-renaissance, Hockney se réfère à une vision classique, théâtrale, où l'environnement est aussi important et symbolique que les personnages. Il ne cherche pas tant la transgression de ce qu'est la peinture contemporaine mais une voie différente, un champ de liberté permettant l'invention. Cette quête est au service d'une célébration de la vie, et dans l'urgence d'atteindre ce but, tous les raccourcis sont permis. Des larges rayures jaunes et oranges suffisent à faire vibrer sous le soleil un champ de blé fraichement moissonné. Dans la représentation de bosquets, fleurs et buissons, il est autant emprunté à l'impressionnisme qu'au graphisme des cartoons. Pourtant, malgré la simplicité apparente du trait, rien n'est sacrifié au souci de justesse de la représentation. Les brins d'herbe d'un gazon, simples alignements de traits remplissant un large rectangle vert, s'affinent au fur et à mesure de leur éloignement, recréant une perspective invisible au premier regard.

Le tableau devenu formes géométriques et aplats, dans une presque abstraction de roses, de bleus, de verts, est à la fois l'ultime progression d'une peinture sans cesse réinventée qu'un retour à Fra Angelico, comme si ces deux directions opposées devaient, par la logique du destin, finir par se rejoindre. Un jardin d'Eden à la luxuriance de feuilles douchées de lumière envahit l'espace. L'architecture réduite à n'être que carreaux ou rayures n'est déjà plus là, elle est devenue virtuelle. Seuls restent vivantes et réelles les fleurs et les plantes, et un couple sur un lit. Sur le cartel, on peut lire le titre de la toile : "La naissance, la copulation et la mort. Voilà tout ce qui reste quand on en vient aux choses sérieuses".

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : Didier Ottinger, Conservateur au Musée national d’art moderne



Le Centre Pompidou en collaboration avec la Tate Britain de Londres et le Metropolitan Museum de New York présente la plus complète exposition rétrospective consacrée à l’oeuvre de David Hockney.

L’exposition célèbre les 80 ans de l’artiste. Avec plus de cent soixante peintures, photographies, gravures, installation vidéo, dessins, ouvrages... incluant les tableaux les plus célèbres de l’artiste tels les piscines, les double portraits ou encore les paysages monumentaux.., l’exposition restitue l’intégralité du parcours artistique de David Hockney jusqu’à ses oeuvres les plus récentes.

L’exposition s’attache particulièrement à l’intérêt de l’artiste pour les outils techniques de reproduction et de production moderne des images. Animé par un désir constant de large diffusion de son art, Hockney a, tour à tour, adopté la photographie, le fax, l’ordinateur, les imprimantes et plus récemment l’iPad : « la création artistique est un acte de partage ».

Sous la direction de Didier Ottinger, commissaire de l’exposition, un catalogue de 320 pages et 300 illustrations est publié aux éditions du Centre Pompidou. L’ouvrage comporte des essais de Didier Ottinger, Chris Stephens, Marco Livingtsone, Andrew Wilson, Ian Alteveer et Jean Frémon, ainsi qu’une importante chronologie.

L’exposition s’ouvre avec les oeuvres de jeunesse, réalisées par Hockney à l’école d’art de sa ville natale de Bradford. Images d’une Angleterre industrieuse, elles témoignent de l’empreinte sur le jeune peintre du réalisme âpre, prôné par ses professeurs adeptes du réalisme social du mouvement du Kitchen sink. De l’école d’art de Bradford au Royal College of Art de Londres, Hockney découvre, assimile la traduction anglaise de l’expressionisme abstrait élaborée par Alan Davie. De l’oeuvre de Jean Dubuffet, il retient une stylistique (celle du graffiti, de l’art naïf..;) qui satisfait son projet de produire un art éloquent et socialement, universellement accessible. Chez Francis Bacon, il puise l’audace d’une expression qui aborde explicitement la question de l’homosexualité. Sa découverte de l’oeuvre de Picasso achève de le persuader qu’un artiste ne saurait se limiter à un style donné. Il intitule une de ses premières expositions : « Démonstration de versatilité ».

David Hockney découvre en 1964 la côte ouest des Etats-Unis. Il devient l’imagier d’une Californie hédoniste et solaire. Son Bigger Splash (1967) accède au statut d’icône. Hockney met en chantier ses grands doubles portraits par lesquels il exalte le réalisme, la vision perspectiviste empruntés à la photographie qu’il pratique alors de façon assidue. Aux Etats-Unis, où il réside de façon désormais permanente, David Hockney est confronté à la prééminence critique du formalisme abstrait (Art minimaliste, Stain color field..;). Aux grilles du Minimalisme, il répond par la peinture de façades de building, ou de gazons taillés au cordeau. Il traduit la peinture du « stain color field » (une peinture qui procède à l’imprégnation de la toile par une couleur considérablement diluée), dans une série d’oeuvres sur papier illustrant l’eau d’une piscine soumise à un éclairage diurne et nocturne.

Les décors et costumes que conçoit David Hockney pour l’opéra l’éloignent d’un réalisme photographique dont il a conscience d’avoir épuisé les ressources. Renonçant à la perspective classique induite par l’appareil photographique (la vision du « cyclope immobile » dira bientôt Hockney), le peintre expérimente différents types de constructions spatiales.

Reconsidérant la vision du Cubisme, qui synthétise la vision d‘un spectateur en mouvement autour de son sujet, Hockney se munit d’un appareil Polaroïd et assemble ses « joiners » : images multiples recomposant une figure. Systématisant cette vision « polyfocale », il compose Pearblossom Highway, somme de plus d’une centaine de photographies qui sont autant de points de vue différents. A la recherche de nouveaux principes pour une évocation picturale de l’espace, Hockney s’inspire des rouleaux de peinture chinois qui enregistrent la perception visuelle d’un spectateur en mouvement. Combiné avec les points de vue multiples de l’espace cubiste, la cinématique chinoise lui permet de concevoir Nichols Canyon qui relate son parcours en automobile de la ville de Los Angeles à son atelier sur les collines. En 1997, David Hockney revient dans le nord de l’Angleterre, sur les sites champêtres de son enfance. Ses paysages intègrent la complexité spatiale de ses recherches reconsidérant l’espace de la perspective classique. A l’aide de caméras haute définition, il anime l’espace du cubisme, celui de ses « joiners » de Polaroïds, juxtapose des écrans de télévision pour composer son cycle des quatre saisons, un sujet qui, depuis la Renaissance, évoque l’inexorable passage du temps.

Dès les années 1980, David Hockney s’empare des nouveaux outils infographiques disponibles avec lesquels il conçoit un nouveau type d’images. Après les ordinateurs et les tablettes graphiques, viennent le smartphone puis l’iPad qui lui permettent de réaliser des images graduellement plus sophistiquées qu’il fait circuler par le web dans ses cercles amicaux.





Extrait du catalogue avec le texte de Didier Ottinger

Quand charlot danse avec Picasso - David Hockney à l’ère de la reproductibilité technique des images


L’essai de Walter Benjamin consacré à la reproductibilité technique des oeuvres d’art fait entendre l’écho du messianisme machiniste saint-simonien au milieu des années 1930.1

La technique y apparaît comme l’agent d’une émancipation au service du projet de réforme sociale qui constitue l’horizon politique du texte de Benjamin. « Le contact avec ces machines […] les édifie [les hommes], de même que l’esclave au service de ces dernières ne deviendra un homme libre que grâce à elles, quand la nature humaine se sera adaptée aux nouvelles forces de production […] 2. » (Ces lignes apparaissent dans la deuxième version du texte). Par un raccourci audacieux, le philosophe souligne la concomitance de l’avènement d’une conscience révolutionnaire avec l’invention de la photographie. Il en infère la nature révolutionnaire du nouveau médium. « Quand apparaît […] le premier moyen de reproduction véritablement révolutionnaire, la photographie (le socialisme naît au même moment), l’art sent venir la crise […]3 . »

L’« art » qui « sent venir la crise » est rapidement désigné : il s’agit de la peinture. Son imperméabilité aux techniques modernes lui vaut, pour Benjamin, de cristalliser les valeurs de l’ordre ancien, face au cinéma que son appareillage technique dote des vertus esthétique et politiques « progressistes ». « LA REPRODUCTIBILITÉ technique de l’oeuvre d’art modifie le rapport que les masses entretiennent avec l’art. Des plus rétrogrades, à l’encontre d’un Picasso par exemple, elles changent de cap et deviennent des plus progressistes, vis-à-vis d’un Chaplin par exemple. »4

Plus explicite encore est le rapprochement suggéré par Benjamin du peintre et du « guérisseur » : « Le guérisseur et le chirurgien agissent respectivement comme le peintre et le caméraman. Dans son travail, le peintre observe une distance naturelle par rapport à une réalité donnée ; le cameraman, au contraire, pénètre profondément dans le réel. »5

Peinture et images « mécanisées » constituent les deux pôles d’une dialectique du progrès et de la réaction, de l’aliénation et de l’émancipation activée par Benjamin au fil de son essai. La technique y reprend ses bienfaits selon deux voix distinctes. Appliquée, elle agit comme un éveilleur de conscience, comme un décapant puissant, dissolvant la gangue de superstition que le temps et les usages ont agrégée à la surface des tableaux. Intégrée, elle dote les images qu’elle produit des vertus d’émancipation qui lui sont inhérentes.

Le réquisitoire de Benjamin contre la peinture résonne encore dans les débats de la critique d’art des années 1960 et 1970.

La critique « progressiste », qui s’exprime alors dans la très influente revue October (d’obédience marxiste comme son nom l’indique), s’indigne, en termes très benjaminiens, du « retour » de la peinture, du début des années 1980. « La question se pose maintenant pour nous de savoir dans quelle mesure la redécouverte et la remise en vigueur de ces modes de représentation figurative dans la peinture européenne d’aujourd’hui reflètent et dévoilent l’impact idéologique d’un autoritarisme grandissant »6, s’interroge Benjamin H.D. Buchloh en 1982.

C’est dans ce contexte de suspicion que se développe, s’accomplit la peinture de David Hockney. La singularité de sa position tient à ce que comme Walter Benjamin, il croit à la vocation de l’art à agir dans le champ social. Une action qu’il ne pourra rendre effective qu’à condition de remettre méthodiquement en cause l’anathème qui frappe son médium de prédilection. Au plan théorique, il allait s’employer à historiciser la technique, à en a démontrer l’intégration précoce à la pratique picturale. Dans sa pratique, il devait assimiler, un à un, les procédés techniques de reproduction de l’image, se saisir des outils de la technologie la plus moderne, exposer ses oeuvres à la reproduction de masse. Sa réponse à Benjamin aura consisté à dissoudre l’irréductible opposition dialectique établie par le philosophe entre peinture et technique, à imaginer une peinture « mécanisée ».


1.Dans son Désenchantement de l’art. La philosophie de Walter Benjamin, Rainer Rochlitz écrit que Benjamin : « confond le progrès technique et le progrès de l’art, rationalité instrumentale et rationalité esthétique. L’essai sur L’oeuvre d’art relève de l’idéologie du progrès dénoncée par le dernier Benjamin : d’une idée du « vent » de l’histoire soufflant dans le sens du développement technique. » R. Rochlitz, ed Gallimard, 1992, p. 188).
2. W. Benjamin, L’OEuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, op. cit., p. 37.
3. Ibid., p. 28
4. Ibid., p. 69
5. Ibid., p. 68
6. Benjamin H.D. Buchloh, Formalisme et historicité. Autoritarisme et régression. Deux essais sur la production artistique de l’Europe contemporaine, présentation et traduction de l’anglais de Claude Gintz, Le Vésinet, Éditions Territoires, 1982, p. 60.