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“Mémoire et lumière” Photographie japonaise, 1950-2000 - La donation Dai Nippon Printing Co., Ltd.
à la Maison Européenne de la Photographie, Paris

du 28 juin au 27 août 2017



www.mep-fr.org

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 27 juin 2017.

2192_Photographie-japonaise2192_Photographie-japonaise2192_Photographie-japonaiseLégendes de gauche à droite :
1/  Nobuyoshi Araki, Voyage sentimental, 1971. © Nobuyoshi Araki. Collection MEP, Paris. Don de la société Dai Nippon Printing Co., Ltd.
2/  Shoji Ueda, Portrait sur les dunes, vers 1950. © Shoji Ueda Office. Collection MEP, Paris. Don de la société Dai Nippon Printing Co., Ltd.
3/  Ryuji Miyamoto, Kobe, après le tremblement de terre, 1995. © Ryuji Miyamoto. Collection MEP, Paris. Don de la société Dai Nippon Printing Co., Ltd.

 


2192_Photographie-japonaise audio
Interview de Pascal Hoël, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 27 juin 2017, durée 11'07". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire général : Jean-Luc Monterosso
commissaire de l’exposition : Pascal Hoël
avec la collaboration de Frédérique Dolivet et Diane Kitzis




Avec les oeuvres de Nobuyoshi Araki, Masahisa Fukase, Seiichi Furuya, Naoya Hatakeyama, Hiro, Eikoh Hosoe, Yasuhiro Ishimoto, Miyako Ishiuchi, Ihei Kimura, Taiji Matsue, Ryuji Miyamoto, Yasumasa Morimura, Daido Moriyama, Ikko Narahara, Toshio Shibata, Hiroshi Sugimoto, Keiichi Tahara, Hiromi Tsuchida, Shomei Tomatsu, Shoji Ueda et Hiroshi Yamazaki

En 1992, sous l’impulsion de son président Monsieur Yoshitoshi Kitajima, la grande société japonaise d’impression Dai Nippon Printing Co., Ltd. (DNP), fondée en 1876, décide de constituer pour la Maison Européenne de la Photographie une importante collection représentative de la photographie japonaise depuis le début des années 1950. À cette époque, les photographes japonais étaient très peu présents dans les collections publiques françaises. Ainsi, chaque année de 1994 à 2006, la collection de la MEP s’est enrichie d’une ou deux séries majeures des maîtres de la photographie japonaise. Les choix, réalisés avec la collaboration essentielle de la galeriste Kazé Kuramochi, se sont avérés pertinents.

Constituées aujourd’hui de 540 oeuvres, cette « collection dans la collection » révèle la place essentielle prise par la photographie japonaise dans l’histoire de la photographie mondiale et l’importance d’auteurs devenus pour la plupart des acteurs majeurs de la création contemporaine.

En quelques décennies, dans un après-guerre bouleversé par la double tragédie nucléaire des 6 et 9 août 1945, suivie de l’occupation américaine qui durera jusqu’en 1951, se succèdent des générations de photographes témoins des bouleversements économiques et sociaux d’une société blessée mais en pleine mutation. En 1968, le Japon devient la troisième puissance économique mondiale. Dans le même temps, les mouvements contestataires des années 1960 libèrent toutes les expressions artistiques et particulièrement la photographie, notamment grâce à la revue Provoke publiée entre 1968 et 1969. Apprenant les uns des autres, ces auteurs repoussent toujours plus loin les possibilités et les limites de la photographie. Scrutant les failles et les cicatrices d’un pays meurtri mais en plein renouveau, ils confrontent l’intime à l’histoire collective, et s’impliquent totalement dans l’acte photographique avec une froide sobriété et une violence contenue qui confèrent à leurs travaux une puissance sous-jacente.

Beaucoup de ces photographes documentent le Japon dans un contexte historique qui influence fortement leur style photographique ; et bien que ces auteurs soient largement ouverts sur le monde, leurs travaux, jusqu’aux années 1980, sont peu diffusés à l’étranger. Les artistes nés après-guerre continuent de dépeindre l’identité japonaise, scrutant leur territoire tout en voyageant et en élargissant leurs champs d’investigation. Certains vivent et travaillent hors du Japon, comme Yasuhiro Ishimoto, Hiro, Keiichi Tahara, Seiichi Furuya. Aussi ne peut-on les cantonner à l’étiquette de photographie japonaise, tant leur propos est universel. La plupart ont obtenu une forte notoriété internationale. Ce qui les rassemble, c’est leur engagement dans l’acte photographique.

L’exposition, qui occupe l’ensemble des quatre niveaux de la Maison Européenne de la Photographie, présente une très large sélection de chacun des vingt-et-un photographes de la donation. Elle débute salle Hénault de Cantobre avec les travaux de trois personnalités majeures de l’après-guerre : Ihei Kimura, Shoji Ueda et Yasuhiro Ishimoto.

Ihei Kimura contribue fortement, notamment avec Ken Domon, à la reconnaissance au Japon de la photographie en tant qu’art autonome doté de ses propres codes. Rejetant les expérimentations esthétisantes de l’époque, il l’utilise comme un outil d’enregistrement « objectif » de la réalité sociale. Après la Seconde Guerre mondiale, dans un Japon en pleine reconstruction, il occupe des fonctions importantes dans la presse et fait de « l’instant décisif » son credo absolu.

Shoji Ueda, lui, réalise une série fleuve entre 1949 et 1980, dans le décor surréaliste des dunes de Tottori, sa province natale, à 800 km au sud-ouest du bouillonnement tokyoïte. Face à la mer, avec le sable à perte de vue, Shoji Ueda est chez lui. Dans ce théâtre naturel, il ne se lasse pas de mettre en scène ses voisins et ses proches dans des images épurées, minutieusement chorégraphiées, empreintes d’humour et d’une candeur toute poétique.

Yasuhiro Ishimoto a étudié à l’Institut of Design de Chicago avec Harry Callahan et Aaron Siskind, au début des années 1950. En 1953, il participe à une exposition organisée par Edward Steichen au MoMA de New York, « Always the young Strangers », qui réunit vingt-cinq jeunes photographes américains. Puis, en 1974 dans le même musée, son travail est présenté au sein d’une importante exposition consacrée à la photographie japonaise, « New Japanese Photography ». C’est lui qui apporte au Japon les principes de la photographie moderne et symbolise mieux que quiconque le dépassement des notions de nationalité dans la photographie.

Au deuxième étage, sont exposés les travaux de Shomei Tomatsu, Eikoh Hosoe et Ikko Narahara, trois des membres fondateurs de l’agence Vivo (avec Kikuji Kawada, Akira Sato et Akira Tanno). Créée en 1959, cette agence, qui ne fut active que deux ans, marqua de son empreinte la photographie japonaise des années 1960 et au-delà. Au Japon comme en Europe ou aux États-Unis à cette époque, la subjectivité du photographe prend le pas sur le « réalisme social » qui domine dans ces années d’après-guerre.

Shomei Tomatsu, l’un des acteurs majeurs de la photographie japonaise d’après-guerre, renouvelle fortement la pratique documentaire et gagne le respect des jeunes générations de photographes. Son travail sur Nagasaki, réalisé de 1961 à 1979, est l’un des plus symboliques du chaos dans lequel fut plongé le Japon.

Eikoh Hosoe connaît le succès grâce, notamment, à deux albums somptueusement édités : Barakei, publié en 1963, où il met en scène le sulfureux et controversé écrivain Yukio Mishima, et Kamaitachi en 1969.

Pour ce dernier ouvrage, qui tire son nom de légendaires créatures démoniaques, c’est avec l’aide du danseur buto Tatsumi Hijikata qu’il revisite ce mythe qui a bercé son enfance. Grâce au succès de ces deux ouvrages qui mêlent légendes et traditions, réalité et mise en scène, Hosoe est l’un des premiers photographes de sa génération, et longtemps le seul, à être reconnu en France et aux États-Unis où il expose dès les années 1960.

Enfin, Ikko Narahara réalise pendant une trentaine d’années, de 1953 à 1983, au Japon et dans le monde entier, une suite d’essais photographiques où, depuis sa première série sur l’île minière de Hashima, monde à part replié sur lui-même (« Territoire artificiel : une île sans fleur, 1954-1957 »), jusqu’à son voyage en Europe (« Quand le temps s’est arrêté, 1963-1964 ») et sa traversée des États-Unis (« Quand le temps s’est effacé, 1970-1972 »), il fait l’expérience du temps et de l’espace dans un vaste voyage entre la lumière et l’ombre.

En écho au travail de Shomei Tomatsu, celui de Hiromi Tsuchida sur Hiroshima, réalisé de 1960 à 1993, est particulièrement impressionnant. À l’instar de son aîné, il adopte une attitude à la fois humaine, morale et esthétique, à la mesure du drame. Parcourant la ville à quatorze années de distance pour en étudier l’évolution, il retrouve les survivants de la tragédie et photographie les objets conservés au musée d’Hiroshima comme autant de reliques d’un quotidien fracassé. Tsuchida étudie ainsi les effets de la catastrophe avec une méthodologie implacable, pour mieux en analyser les conséquences et confronter les notions de mémoire et d’oubli.

Les photographes de l’agence Vivo n’ont pas la trentaine, mais ils sont déjà très respectés et admirés. À peine plus jeune de quelques années, Daido Moriyama arrive à Tokyo en 1961, avec la ferme intention de rejoindre l’agence, mais celle-ci vient juste de se dissoudre. Il rencontre néanmoins Shomei Tomatsu et devient l’assistant de Eikoh Hosoe. Très vite, s’émancipant de ses pairs, Moriyama bouscule les dogmes de la photographie, s’écartant définitivement de tout réalisme par des images granuleuses ou violemment contrastées. Are-Bure-Boke, « brut, flou, trouble », trois adjectifs qui symbolisent une esthétique dont s’empare la jeune garde de la photographie japonaise à la fin des années 1960. Son premier livre, Nippon Gekijo Shashincho (Japon, photo-théâtre), paru en 1968, ne ressemble à rien de connu et fait scandale. Mais son esthétique est très proche de la revue Provoke que Moriyama rejoint l’année suivante, dès son deuxième numéro. En 1972, Moriyama publie Farewell Photography (Adieu photographie) qui témoigne de son refus définitif de toute photographie académique contrainte à des interdits et des obligations.

En 1971, Nobuyoshi Araki publie son premier livre Un voyage sentimental (Senchimentalu na tai), journal quotidien de son voyage de noces avec sa jeune épouse Yoko. Dans la préface, il écrit « Un voyage sentimental est le fruit de mon amour et de ma détermination en tant que photographe. Je ne prétends pas que ces photographies sont vraies parce que j’ai photographié mon propre voyage de noces. J’ai choisi l’amour pour débuter comme photographe et le hasard a voulu que ce commencement soit un roman personnel. Dans mon cas, je pense que je persévérerai dans cette veine parce que c’est là que je peux m’approcher au plus près de l’essence de la photographie ». Araki tiendra parole et mettra la photographie au centre de sa vie.

En 1990, il prolonge cette série par un deuxième ensemble, intitulé « Voyage d’hiver », où il accompagne les derniers instants de son épouse : les moments heureux, mais aussi les obsèques et sa propre solitude. La figure du chat Chiro prend peu à peu toute la place, comme s’il était l’émanation de la personne disparue.

Dans une même veine intimiste, la série « Solitude of Ravens » de Masahisa Fukase, et le livre publié en 1986, réalisé après sa séparation douloureuse d’avec son épouse, reflet de son désespoir et de sa solitude, marquent fortement la société japonaise.

Plus contemplatif se révèle le travail de Hiroshi Yamazaki, débuté en 1974 avec la série « Héliographie », ainsi nommée en hommage à Nicéphore Niépce. Installant son appareil au bord de la mer pour suivre l’évolution du soleil au cours d’une longue exposition, il déjoue ainsi le côté statique de la photographie. Ses images font écho à celles de Hiroshi Sugimoto dans la série « Theaters », entamée en 1978. Sugimoto, positionné au centre du premier balcon de somptueux théâtres à l’italienne, construits dans les années 1920 aux Etats-Unis et reconvertis en salles de cinéma ou plus modestement en drive-in, laisse son obturateur grand ouvert durant toute la projection, de sorte qu’il parvient à capturer en une seule image fixe une infinité d’autres images en mouvement.

Au troisième étage, une génération de photographes nés après-guerre, Ryuji Miyamoto, Toshio Shibata, Naoya Hatakeyama et Taiji Matsue, travaille sur le paysage et la ville, et principalement sur l’impact de l’activité humaine sur son environnement, en analysant comment l’homme tente de domestiquer le paysage, souvent jusqu’à la destruction. Ils soulignent ainsi la relation violente qui s’instaure entre humanité et nature.

Retour sur l’intime, avec le travail de Seiichi Furuya qui réalise une série poignante de portraits de son épouse, Christine Gössler, de leur mariage à Graz en Autriche en 1978 jusqu’en 1985 où, atteinte de schizophrénie, elle met fin à ses jours.

Miyako Ishiuchi à la fin des années 1990, fascinée par l’histoire et le parcours singulier de sa mère disparue à 84 ans, photographie les objets qui lui ont appartenu, tels de précieuses reliques, comme une méditation sur la perte et la mémoire.

Miyako Ishiuchi à la fin des années 1990, fascinée par l’histoire et le parcours singulier de sa mère disparue à 84 ans, photographie les objets qui lui ont appartenu, tels de précieuses reliques, comme une méditation sur la perte et la mémoire.

Trois personnalités singulières viennent clore cet ensemble. Hiro fait carrière aux États-Unis, influencé par l’enseignement d’Alexey Brodovitch, le légendaire directeur artistique de la revue Harper’s Bazaar pour laquelle il travaille presque exclusivement pendant plusieurs décennies, adoptant un style singulier en pratiquant constamment l’expérimentation dans un cadre de commandes éditoriales. Keiichi Tahara débute sa carrière de photographe à Paris où il vit de nombreuses années, développant un travail important autour de la lumière et réalisant notamment un ensemble de portraits d’artistes et d’hommes de lettres de l’époque, expressionnistes et crépusculaires. Enfin, Yasumasa Morimura réalise depuis les années 1980 des séries d’autoportraits pastichant les grands personnages, ou les œuvres emblématiques de l’art occidental, en s’amusant de la fascination qu’elles exercent sur la société japonaise. Incarnant le plus souvent des personnages féminins, il nous interpelle sur les notions de genre et d’identité.

Si certains photographes nous donnent à voir les conséquences d’une des plus grandes catastrophes humaines de tous les temps, alors que d’autres évoquent leur propre amour disparu, il se dégage de l’ensemble de ces travaux, toujours réalisés à la bonne distance, une force de la mémoire et une proposition de regarder en nous, avec humilité, notre propre humanité.