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“Après” un projet d’Éric Baudelaire
au Centre Pompidou, Paris

du 6 au 18 septembre 2017



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition avec Éric Baudelaire et Marcella Lista, le 5 septembre 2017.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Robert Filliou, Commemor : juillet-décembre 1970. Portfolio, 29 feuillets. Aix-la-Chapelle : Neue Galerie, 1970. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Centre de création industrielle, Bibliothèque Kandinsky, Paris. © Marianne Filliou.
2/  Éric Baudelaire, Also Known As Jihadi, 2017. Vidéo HD, couleur, son 5.1, 101 min, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle, Paris © Éric Baudelaire/ Adagp, 2017.
3/  Rosemarie Trockel, Vorstudie (Etude préliminaire), 1989. Acrylique sur papier. Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle, Centre Pompidou, Paris. Photo: Georges Meguerditchian. Dist RMN-GP © Adagp, Paris, 2017.

 


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Interview de Marcella Lista, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 5 septembre 2017, durée 18'51". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat : Marcella Lista, Conservatrice en Chef au Musée national d’art moderne, Collection Nouveaux Médias



« Après les attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, j’ai ressenti l’urgence de chercher une forme et un contexte pour penser ce qui était en train de se dérouler. Le premier ministre avait déclaré : « il ne peut y avoir aucune explication qui vaille. Car expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser. » Le philosophe Alain Badiou avait répondu : « La déclaration de l’impensable c’est toujours une défaite de la pensée, et la défaite de la pensée c’est toujours la victoire précisément des comportements irrationnels, et criminels. »
Il y a, il y a toujours eu urgence à interroger l’embrasement des violences et des contre-violences. Mais interroger les violences, ce n’est pas les expliquer, c’est nous interroger nous-mêmes face à elles. APRÈS est un projet sur le temps présent. Un temps ressenti comme un enchevêtrement constant d’après : après l’événement, après la catastrophe, après le bouleversement des certitudes.
 » Éric Baudelaire

Au sortir d’une recherche en sciences politiques, Éric Baudelaire a choisi la pratique artistique comme outil de son regard critique sur le monde, à travers le film, la photographie, l’installation performative et le texte. Son oeuvre sonde un réel travaillé par les systèmes de représentation qui structurent les sociétés contemporaines : systèmes politiques, judiciaires, économiques, informationnels. Est-il meilleure façon de mener un tel projet qu’en pistant ce qui n’est pas conforme à ces systèmes, ce qui déraille, se retourne, erre, bascule hors lieu ? Éric Baudelaire a conduit, à la fin des années 2000, une enquête auprès des survivants de l’Armée rouge japonaise. Il l’a placée sous le signe de L’Anabase, mot qui depuis son emploi par le philosophe et historien grec Xénophon évoque une gouvernance à la dérive. Lorsque l’artiste explore le sort de la République d’Abkhazie - dont la déclaration d’indépendance en 1992, restée en suspens, est reconnue par une poignée d’États -, il donne à son oeuvre, The Secession Sessions (2014-2017), la forme d’une instance de négociation diplomatique migrante, l’Anambassade d’Abkhazie. Pour Éric Baudelaire, l’activité artistique est une incursion dans les revers de l’Histoire, dans les projets contrariés de la machine politique.

Le projet APRÈS réunit une exposition et une programmation quotidienne de rencontres. Le dernier film d’Éric Baudelaire, Also Known As Jihadi (2017), exposé pour la première fois en France, est au cœur de ce dispositif. Il suit le parcours d’Aziz, de Vitry-sur-Seine jusqu’au Tribunal Correctionnel. Il mène une enquête tâtonnante sur une réalité qui dépasse l’événement. Une réalité saturée de lectures interprétatives et dont la complexité résiste à la compréhension. Dans l’espace de la galerie d’exposition laissé libre, se répondent les oeuvres d’artistes du passé et du présent : Constantin Brancusi, Jean-Luc Godard, Rosemarie Trockel, Andrei Monastyrsky, Jo Ractliffe, Lawrence Abu Hamdan... Chaque jour à dix-neuf heures, s’amorce un échange avec le public et des invités : architectes, militants associatifs, enseignants et élèves, artistes, magistrats, philosophes, historiens… À distance du tapage médiatique, on tente de déplier et de (re)formuler les questions d’actualité durablement installées. Un questionnement souterrain traverse ce vis-à-vis entre les oeuvres et la parole : que peut l’art ? Il passe par un abécédaire intuitif qui oriente l’accrochage et douze soirées de parole : A pour Architecture ; C pour Commémorer ; E pour École ; F pour Fukeiron, la théorie du paysage ; H pour Hypnose ; J pour Justice ; L pour artistes en Lutte ; M pour Mouvement-image ; O pour Ô mon pays ! ; P pour Présent/Passé ; R pour Rendre des comptes ; T pour le Temps presse.


Après par Éric Baudelaire

J’ai commencé à travailler sur le film Also Known As Jihadi, point de départ de cette exposition, avec l’idée de faire le portrait d’un jeune Français qui a choisi de partir en Syrie. C’est un film où il n’y a ni paroles, ni témoignages, ni explications. Un film qui ne donne pas à voir un personnage mais qui tente de tracer son cheminement par l’auscultation quasi-méthodique des lieux dans lesquels il a vécu et des paysages qu’il a traversés. La clinique où il est né à Vitry, les ensembles où il a grandi, son lycée, l’université, le travail, et puis l’envol pour l’Égypte, la Turquie et finalement la route d’Alep, où il a rejoint le Front al-Nosra en 2012. Plutôt qu’un film sans paroles, c’est un film où les mots sont donnés à lire, où les mots font image. Ils sont extraits du dossier judiciaire du protagoniste : procès verbaux d’interrogatoires de police, écoutes téléphoniques, filatures, perquisitions. La rencontre de ces motsimages avec les paysages visuels et sonores crée un espace dans lequel le personnage n’est plus singulier. Il pourrait être un autre. Il pourrait être soi-même.

Il ne s’agit pas de déceler une vérité, il n’y en a pas dans cette histoire. Il s’agit plutôt de poser un cadre. Un cadre dans lequel s’exprime, pour reprendre les mots de Pierre Zaoui, « une sorte de volonté constamment double, volonté de comprendre et de ne pas comprendre, volonté de comprendre ce que l’on ne comprend pas et volonté de ne pas comprendre ce que l’on craint de comprendre trop bien. Ce qu’on pourrait écrire: volonté de (ne pas) comprendre, en son triple sens de voir, entendre et partager. »

Cette volonté, ce principe de travail, m’ont mené à vouloir montrer le film au sein d’un projet plus large. Interroger les événements qui nous inquiètent non pas en tant que journalistes, politologues ou spécialistes, mais dans un rapport à l’art. Chercher dans les réserves du Musée national d’art moderne des oeuvres et des documents qui dialoguent avec le film, et les présenter au sein d’un programme d’événements et de discussions quotidiennes, organisé, comme l’exposition, selon un principe d’abécédaire incomplet, arbitraire et intuitif. Douze jours pour penser ensemble le rapport entre art et actualité, entre image et événement.

L’urgence évoquée ici s’inscrit dans un temps long. Les certitudes qui me permettaient, avant, d’imaginer un horizon meilleur se sont abîmées en chemin, et les solutions proposées aujourd’hui sont le plus souvent celles de la précipitation et du court terme. Alors il faut repenser la durée. Puiser, du côté de l’histoire de l’art, des formes critiques et des idées. Le temps presse d’envisager le temps autrement.

Éric Baudelaire