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“Ni Youyu” The Endless Second
à la Galerie Nathalie Obadia - Cloître Saint-Merri, Paris

du 9 septembre au 28 octobre 2017



www.galerie-obadia.com

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition avec Ni Youyu, le 9 septembre 2017.

2222_Ni-Youyu2222_Ni-Youyu2222_Ni-YouyuLégendes de gauche à droite :
1/  Ni Youyu, River & Riverbed, 2016. Diptyque de deux acryliques sur toiles. 40x40 cm (15 3/4x15 3/4 in.). Courtesy de l’artiste et Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.
2/  Ni Youyu, Voyage, 2016. Gravure sur bois. 41x61x6 cm (16 1/8x24x2 3/8 in.) encadré. Courtesy de l’artiste et Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.
3/  Ni Youyu, View of History, 2017. Acrylique sur toile. 120x300 cm (47 1/4x118 1/8 in.). Courtesy de l’artiste et Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles.

 


2222_Ni-Youyu audio
portrait de Ni Youyu
. © Anne-Frédérique Fer / FranceFineArt.com

Interview de Ni Youyu,
par Anne-Frédérique Fer



FranceFineart : En explorant la diversité des supports et des médiums, en mélangeant les techniques traditionnelles et modernes, orientales et occidentales, vous avez pu composer une écriture plastique personnelle et singulière où vous dites de votre œuvre : "d’un côté, mon travail rend hommage ; de l’autre, je veux aussi être désobéissant". Comment avez-vous décortiqué les techniques traditionnelles et contemporaines pour créer votre propre vocabulaire et esthétique plastique ? Votre désobéissance est dans ce mélange des techniques, des époques ou votre désobéissance est d'avoir votre propre identité artistique, d'avoir créé votre univers ?


Ni Youyu :
La Tradition est la base qui nourrit toutes les formes d’art. Je parle autant de la Tradition Orientale que de la Tradition Européenne et je tiens à souligner que notre génération reçoit une éducation en Histoire chinoise ainsi qu'en Histoire européenne.

Selon moi, la Tradition est une forme de langage qui renvoie plus spécifiquement à des « mots ». Chaque mot que je choisis d’utiliser dépend de ce que j’ai envie d’exprimer. Je suis un artiste qui travaille avec différents matériaux et médiums; j’essaie de construire un système complexe et riche. J’essaie d’éviter les répétitions et je m’abstiens d’utiliser les mêmes mots si cela n’est pas nécessaire.

Par ailleurs, même la plus complexe des oeuvres ne peut tout signifier, c’est pourquoi nous avons besoin de la musique, la littérature, la danse et de toutes les autres formes d’arts. L’Artiste doit être capable d’apprendre toutes sortes de disciplines afin d’en comprendre son vocabulaire. De mon point de vue, l’art plastique ne correspond pas forcément à des idées et il est différent du « design ». Les concepts philosophiques développés par l’Artiste tendent à devenir le noyau de son oeuvre et de son style.

En effet, la contemplation et la recherche autour de questions les plus « ultimes » et essentielles ne changent pas véritablement en fonction des périodes. Les artistes d’il y a 100 ans eurent les mêmes questionnements que nos artistes contemporains tels le cosmique, la vie, la mort. De ce point de vue, je me sens bien plus proches de ceux là. Cela me pousse à sélectionner les meilleurs « Masters » (Maîtres à penser) s’étant interrogés à propos de la galaxie et de l’histoire de l’art. Je suis très impliqué dans leurs questionnements et ce qui m’intéresse le plus est d’apporter une contribution à leurs interrogations.



FranceFineart : Pour continuer sur la construction de votre univers plastique, vos œuvres sont souvent la représentation de la nature que vous construisez en plusieurs couches, en plusieurs strates, comme si le temps, le temps présent, mais aussi le temps passé, était l'auteur de vos œuvres, comme si la nature avait suivi son processus de création. Ce temps, qui couche après couche, permet de créer l'histoire de ces forêts, de ces rivières. Comment cette notion de temps, du temps de la création, le temps du passé, de l'histoire intervient dans vos œuvres ? Le temps, cette superposition de couche, est-il pour vous une manière de rendre hommage tout en restant dans le présent ?


Ni Youyu :
Le thème du Temps est l’axe principal de toutes mes séries. D’un point de vue macroscopique, nous sommes tous minuscules et avons des capacités très limitées pour voir et comprendre l’Histoire.

Dans la série des « Endless Second » (les Secondes sans Fin), la mot « endless » (sans fin) pose à la fois la question du Temps et celle de Nature : en combien de temps la cascade va-t-elle laisser une trace sur la pierre via l’unique procédé de la nature ? Réciproquement, la « seconde » évoque le moment transitoire de l’instant où j’ai capturé la photographie.

Les « Water Washed paintings » dorés évoquent un sens spécial de la temporalité par le processus répété du délavage.

Les « Dust Paintings » représentent chacun 300 heures de travail pour copier chaque image de galaxie avec de la poudre de craie blanche. De plus, beaucoup de mes autres projets relatent la question du temps, comme « Guan Yin », « Inches of Time » et « The Galaxy project ». Chaque oeuvre demande une longue période de production, le processus créatif peut paraître ennuyeux et extrêmement morne, mais j’apprécie beaucoup cette façon de passer le temps.



FranceFineart : Je l'évoquai précédemment, votre œuvre est construite autour de la représentation de la nature. Par les différentes techniques que vous utilisez, vous réinventez des paysages. Pouvez-vous nous parler plus particulièrement de la série "The Endless Second" où en photographiant des pierres que vous avez récoltées, vous construisez des paysages artificiels ? En utilisant la pierre, y a t-il une référence aux Rochers de lettrés, à ces pierres de rêves des lettrés chinois ? Ou est ce votre interprétation du Shanshui, peintures de paysage en Chine ?


Ni Youyu :
J’ai étudié la peinture « Shanshui », et mon intérêt pour l’art traditionnel et son esthétique s’insère dans tous les aspects de ma vie même si je ne pratique plus la peinture à l’encre. Il est bien connu que les lettrés chinois avaient un impact important sur toutes les cultures orientales asiatiques. Ils ont réussi à développer une façon de regarder et d’apprécier les objets issus de la nature. Le fait que je collecte des pierres représente cette obsession. C’est aussi pourquoi, la première fois que je pose mon regard sur ces pierres qui me rappellent des cascades, je ressens le cordon ombilical qui me connecte à cette culture. Je réalise immédiatement que quelque chose nous relie. Une fois que j’ai commencé à collectionner ces pierres, je les considère graduellement comme des oeuvres d’art. Les « Endless Second » font également écho à la vision des lettrés naturalistes chinois. Par exemple, dans l’ancienne Asie Orientale, les gens étaient fascinés par les jardins paysagers. Les jardins paysagers sont en fait des copies de la nature en miniature. Par ailleurs, la pierre de Taihu est considérée comme une sculpture abstraite dont la forme est créée par la puissance de l’écoulement de l’eau. Cela fut comparé à des ossements, comme quelque chose d’animé et non pas sans vie. Le Bonsaï est une autre forme du vivant, un paysage miniature. Il y a indubitablement une origine culturelle dans les « Endless Second ».

De plus, cette série évoque aussi la représentation « frauduleuse » qu’induit la photographie et l’image en général. Je questionne à la fois l’artiste et le créateur. Théoriquement, nous ne créons rien; nous altérons simplement ce qui existe déjà autour de nous. Le travail principal d’un artiste est de guider le spectateur afin qu’il voit et conçoive le monde avec une perspective différente. Par essence, cette série offre une nouvelle façon de voir et découvrir le concept de Beauté.

Pour parler de l’image elle-même, cela me fait penser au paysage traditionnel, plus particulièrement par ce brouillard flou et cette impression de touches encre. De plus, la cascade est un symbole très fort dans la culture chinoise, japonaise et coréenne. Elle représente la force affirmée de la nature et fait référence à la révélation Zen.



FranceFineart : Pour continuer de voyager dans votre œuvre et vos paysages, peut-on aller dans un autre espace-temps avec "Dust Paintings" ? Comme moi, j'imagine que vous n'avez pas voyagé dans notre galaxie, alors comment naissent vos constellations ?


Ni Youyu :
Je collectionne des images de galaxies d’origines différentes. Certaines sont les oeuvres d’un autre artiste (par exemple Thomas Ruff), certaines sont des tirages photographiques originaux, certaines sont des vues prises par la NASA. Je copie l’image de la galaxie en les transférant de leur papier d’origine jusqu’à mon tableau noir via une technique presque ancestrale. Je dessine un réseau au préalable puis je divise les coordonnées, je mesure chaque grille pour localiser la position de chaque étoile. Pendant tout le processus, j’évite l’utilisation de techniques modernes en travaillant simplement à la main. C’est un travail de dur labeur mêlant sueur et peine, en totale opposition avec le moment où l’on appuie sur le déclencheur de l’appareil photo pour capturer l’image de la galaxie.



extrait du communiqué de presse :

 

La Galerie Nathalie Obadia présente The Endless Second, la première exposition en France de Ni Youyu. Né en 1984, dans la province du Jiangxi, il est l’un des artistes chinois les plus représentatifs de la jeune génération s’attachant à redécouvrir l’héritage de la tradition esthétique chinoise.

Ni Youyu explore des supports et des médiums variés. Tout en mélangeant très librement les concepts artistiques traditionnels et modernes, orientaux et occidentaux, l’artiste propose une critique singulière des systèmes qui sont à l’oeuvre dans le monde de l’art : « d’un côté, mon travail rend hommage ; de l’autre, je veux aussi être désobéissant ». Le thème de la perception du temps et de l’espace joue également un rôle central dans son travail.

L’exposition The Endless Second révèle un ensemble d’oeuvres récentes (2016-2017) présentant une multitude de matériaux et de techniques tels que la gravure sur bois, l’acrylique sur toile, la photographie, la poudre de craie ou la pierre.

Avec la série des Water Washed Paintings, Ni Youyu a développé une technique utilisant un processus pictural particulier. Il recouvre préalablement ses toiles d’acrylique doré puis de couches noires. Il pulvérise ensuite une très grande quantité d’eau afin d’éliminer différentes strates jusqu’à ce qu’il ne reste plus que les contours précis d’un dessin. L’eau devient ainsi un second pinceau. Ces toiles contrastées présentent des motifs évoquant des éléments naturels, comme des arbres ou des forêts, mais également des sédiments fluviaux et des rivières. Les Water Washed Paintings, tout comme les gravures sur bois également présentées dans l’exposition, sont souvent peintes dans un cadre baroque en référence aux chefs d’oeuvres classiques. Ce processus de délavage semble annihiler le temps : « Dans une certaine mesure, la texture résultant de cette technique est similaire à celle des peintures anciennes, sur lesquelles des centaines d’années d’altération ont laissé des marques fragmentées et bigarrées. (...) La plupart des tableaux sont le résultat d’un processus d’ajout, alors que mon travail est à la fois un procédé d’ajout et de retrait ».

Pendant des années, Ni Youyu a collecté des pierres du monde entier dont les irrégularités lui rappellent des images de cascades. En les photographiant au zoom et en rendant certaines zones floues, l’artiste construit des paysages artificiels. La série des Endless Second est une réponse à l’esthétique traditionnelle chinoise. Les motifs de la pierre et de la chute d’eau sont caractéristiques d’une quête de spiritualité. Ces paysages irréels invitent le spectateur à s’évader dans des territoires allégoriques qui nous rappellent les îles flottantes photographiées au Lac des Pyramides par Thimothy O’Sullivan (1840-1882).

En s’inspirant de sa vaste culture et de son expérience personnelle, Ni Youyu nous propose les Dust Paintings, des constellations accrochées aux murs de la galerie. Fasciné par l’astronomie, tout comme Thomas Ruff (1958)à qui il fait référence avec l’oeuvre Dust (Thomas Ruff : 15h 24m-25°), l’artiste crée des répliques exactes de photographies de galaxies. Il procède méthodiquement en appliquant méticuleusement de la poudre de craie sur ces images d’abord précisément quadrillées et mesurées. L’artiste vaporise de la colle à maintes reprises afin de fixer chaque millimètre de poussière sur des panneaux de bois. Ni Youyu réinvente ces paysages faisant écho au concept de Ready Made de Marcel Duchamp (1887-1968). Par ailleurs, il met au premier plan ce matériel «pauvre», aussi fragile qu’éphémère, le rendant précieux afin de suggérer la complexité et les conflits liés au marché de l’art.

Singulières compositions aux influences extrêmes-orientales et occidentales, l’oeuvre de Ni Youyu est aussi une association complexe d’éléments historiques et traditionnels avec des composantes contemporaines. Conscient de son époque, il soulève des enjeux résolument actuels du monde de l’art, mais également les liens entre l’Homme et son rapport à l’Histoire de l’art.