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“L’art du pastel de Degas à Redon” article 2227
au Petit Palais, Paris

du 15 septembre 2017 au 8 avril 2018



www.petitpalais.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 14 septembre 2017.

2227_Pastel2227_Pastel2227_PastelLégendes de gauche à droite :
1/  Charles-Lucien Léandre, Sur champ d’or, 1897. Pastel. © Petit Palais / Roger-Viollet.
2/  Berthe Morisot, Dans le parc. Pastel, vers 1874. © Petit Palais / Roger-Viollet.
3/  Victor Prouvé, Femme étendue sur un divan, 1899. Pastel. © Petit Palais / Roger-Viollet.

 


2227_Pastel audio
Interview de Gaëlle Rio, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 14 septembre 2017, durée 12'32". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

La douce sensibilité du portrait de la princesse Radziwill par Elisabeth Vigée Le Brun, l'innocence enfantine de la petite fille jouant au cerceau de Léon Riesener appartiennent encore au monde de la peinture. La poudre du pastel, le trait laissé par le bâton y sont dissimulés, se font oublier devant la virtuosité de l'exécution. Ce nouveau média grandit encore à l'ombre de sa grande sœur, servant souvent à l'esquisse et à l'étude de toiles et de fresques.

Norbert Goeneutte avec sa belle bouquetière toute en couleurs automnales ose dessiner le tableau. Le modelé des chairs, les plis des rubans, le tressage de la paille et du rotin sont emportés par un vent tourbillonnant. Les traits deviennent visibles, s'allongent, la matière se froisse. Les différents éléments du portrait menacés par la saison qui s'annonce ne semblent tenir ensemble que par l'élégante noblesse du personnage.

Le trait virevoltant de Berthe Morisot, la liberté des hautes herbes, des branches légères saluant le panache d'un pin animent la nature d'une danse, un mouvement musical qui rend les personnages presque statiques par contraste. On retrouve cette liberté chez Mary Cassat dans son portrait d'enfant avec un chien. Le tracé est ébouriffé, organique comme un pelage d'animal. Le sombre est lourd et dense tandis que le clair s'allège jusqu'à s'envoler espièglement dans la fraicheur d'un dessin d'enfant.

Chez Charles Léandre les traits sont nerveux et se croisent, quadrillant la surface comme les fils d'une tapisserie. Le portrait est textile, fait d'éléments tissés, cousus et brodés, de brins qui s'effrangent. Et puis tout s'adoucit dans la ouate de joues d'enfant, dans le calme d'un visage de femme. René Gilbert quand à lui, puise dans la gravure de Rembrandt. Ses griffures de lumière font peu à peu émerger d'une masse sombre quelques mèches de cheveux, un cou qui s'élance, un visage de femme aux yeux fermés goûtant ces rayons qui la réchauffent. A l'inverse, Claude Marlef modèle une peau blanche pleine et veloutée, posant l'immobilité de son sujet, ne laissant le trait apparaitre que pour animer la longue cascade de chevelure rousse.

Chez Lucien Levy-Dhurmer, le tableau n'est pas dessiné, la main qui tient le bâton de pastel disparait tandis que le matériau se défait. La couleur n'est plus que de la poudre tombant sur le papier pour le recouvrir comme de la neige tombée du ciel. L'image est une vision sortie d'un rêve, l'instant fugace où un nuage se laisse lire et apparaissent les volumes flous d'une jeune fille en extase.

Et puis Odilon Redon fait entrer le pastel dans la modernité, dans le fracas causé par un enfant terrible. Il fait apparaitre son sujet puis l'escamote comme un illusionniste. Vénus à peine née de sa conque se fond déjà dans un ciel irisé de turquoises et de violets. Le dessin hors du temps a la fragilité d'une aile de papillon et la force d'un rocher. Le silence apparent des sujets, l'immobilité des natures mortes dissimulent à peine l'énergie sexuelle, l'élan de libération de ce tournant de siècle.

Cette collection du Petit Palais est un trésor bravant sa fragilité pour s'exposer à nos regards. Il nous rappelle que l'admirable maitrise de l'artiste - et ceux exposés ici sont extraordinaires - n'est pas la finalité mais l'outil. La sensibilité, l'émotion qui se fait dans le cœur du visiteur, que l'artiste a patiemment fabriquée en plongeant la main dans une boîte de pastels, est le véritable trésor.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat : Gaëlle Rio, conservatrice au Petit Palais, chargée des collections d’arts graphiques des XVIIIe-XXe siècles.



Le Petit Palais présente pour la première fois au public un ensemble de 130 pastels, tous issus de ses collections. Cette exposition sera l’occasion de faire découvrir aux visiteurs un pan assez méconnu de l’histoire de cette technique en offrant un panorama des principaux courants artistiques de la seconde moitié du XIXe siècle, de l’Impressionnisme au Symbolisme. Hormis quelques pièces souvent reproduites, ces oeuvres sont pour la plupart inédites. Elles seront montrées de manière exceptionnelle pendant six mois avant de retourner en réserve en raison de leur fragilité.

Le pastel est souvent associé au XVIIIe siècle, véritable âge d’or de cette technique. Cependant, les générations qui suivent les célèbres portraitistes Rosalba Carriera (1674-1757) et Maurice Quentin de la Tour (1704-1788) se détournent, pour la plupart de ce médium. Ni David, ni Ingres ne l’adoptent. Pourtant, au fil du XIXe siècle, le pastel devient progressivement un genre autonome, apprécié des artistes romantiques comme Léon Riesener et des peintres réalistes qui utilisent cette technique pour des sujets variés. C’est dans le dernier quart du XIXe siècle puis au début du XXe siècle, que le pastel bénéficie d’un véritable renouveau dont témoignent la grande majorité des oeuvres présentées au Petit Palais.

Le parcours de l’exposition est organisé autour de cinq sections. À la fois chronologique et thématique, il s’attache à présenter les différents courants esthétiques et leur cercle d’artistes ; il montre comment le pastel d’un outil d’expérimentation est devenu une forme de modernité. L’exposition commence en 1800 avec La princesse Radziwill d’Elisabeth Vigée-Lebrun et s’achève vers 1930 avec La Roseraie de Ker-Xavier Roussel mais la grande majorité des oeuvres exposées datent des années 1860 à 1920. Les visiteurs pourront ainsi découvrir les fleurons de la collection avec des oeuvres impressionnistes de Berthe Morisot, Auguste Renoir, Paul Gauguin, Mary Cassatt et Edgar Degas, mais aussi l’art plus mondain d’un James Tissot, de Jacques-Émile Blanche, de Victor Prouvé ou de Pierre Carrier-Belleuse. Point d’orgue de cette collection, un très bel ensemble d’oeuvres symbolistes seront présentées avec des artistes comme Lucien Lévy-Dhurmer, Charles Léandre, Alphonse Osbert, Émile-René Ménard et plusieurs pastels remarquables d’Odilon Redon.

L’exposition est aussi l’occasion d’initier les visiteurs à la technique du pastel et à la question de la conservation des oeuvres sur papier, particulièrement sensibles aux effets de la lumière et qui ne peuvent donc être exposées de façon permanente. La technique du pastel infiniment séduisante par sa matière et ses couleurs, permet une grande rapidité d’exécution et traduit une grande variété stylistique : de la simple esquisse colorée, souvent étape préparatoire aux tableaux, aux oeuvres achevées, le pastel est à la croisée du dessin et de la peinture.





Parcours de l’exposition


L’exposition « L’art du pastel, de Degas à Redon » permet de découvrir une sélection de 130 pastels sur les 200 des collections du Petit Palais. Cet ensemble unique a été constitué depuis le début du XXe siècle grâce aux dons des artistes ou de leurs familles et à quelques achats de la Ville de Paris. Toutefois, en raison de leur sensibilité à la lumière et aux vibrations que provoqueraient les transports, ces pastels ont rarement été montrés et jamais prêtés. Cette exposition est donc une occasion inédite de les admirer durant six mois. Conçue comme un panorama du renouveau du pastel durant la seconde moitié du XIXe siècle et les années 1900, elle montre comment la technique du pastel, à la croisée du dessin et de la peinture, est devenue à cette époque un outil d’expérimentation au service d’une forme de modernité. L’exposition et la publication parallèle du catalogue raisonné de l’ensemble du fonds révèlent la richesse de cette collection, avec ses fleurons, telles les oeuvres de Berthe Morisot, Auguste Renoir, Paul Gauguin, Mary Cassatt et Edgar Degas, celles des artistes symbolistes comme Lucien Lévy- Dhurmer, Charles Léandre, Alphonse Osbert, et un ensemble particulièrement remarquable d’Odilon Redon, mais aussi l’art plus mondain de James Tissot et de Jacques-Émile Blanche. Au centre de ce parcours divisé en cinq sections thématiques, un espace de médiation initie à cette technique, à la matière et aux couleurs infiniment séduisantes, et rend hommage à l’œuvre d’un artiste contemporain, Irving Petlin, attestant aujourd’hui encore du succès durable du pastel.


Avant le renouveau du pastel
Si l’art du pastel connaît son âge d’or au XVIIIe siècle, comme en témoigne le portrait par Élisabeth Vigée-Lebrun d’une jeune princesse russe, il bénéficie dans le dernier quart du XIXe siècle puis au début du XXe siècle d’un véritable renouveau. Cette première section présente des tentatives variées et décisives dès les années 1840. John Lewis Brown et Norbert Goeneutte s’inscrivent dans la tradition du XVIIIe siècle, une période alors très en vogue auprès des amateurs d’art. Jean-François Brémond, Auguste Leloir, Charles-Raphaël Maréchal et Ferdinand Humbert obtiennent une certaine notoriété grâce à leurs études réalisées pour de grands décors religieux ou civils. La nouveauté du médium offre une alternative séduisante à la classique peinture à l’huile. D’oeuvre d’agrément ou d’esquisse, le pastel devient progressivement une création autonome, appréciée des artistes romantiques comme Léon Riesener ou du sculpteur et dessinateur Jean-Baptiste Carpeaux. La création de la Société de pastellistes français en 1885, la construction d’un pavillon des pastellistes pour l’Exposition universelle en 1889, ainsi que le soutien de grands critiques d’art tels qu’Octave Mirbeau et Félix Fénéon, permettent à cette technique de s’imposer pour elle-même.


Le pastel naturaliste
Désireux de sortir de l’atelier pour aller au contact de la nature, les paysagistes Félix Bouchor, Alexandre Nozal et Iwill s’emparent du pastel, un matériau léger et peu encombrant, ne nécessitant ni préparation ni temps de séchage, pour dessiner sur le motif. En quête d’une vérité dans la transcription du réel, ils trouvent là une technique parfaitement adaptée à la notation des variations atmosphériques ou des changements de lumière. Dans la lignée de Jean-François Millet, Léon Lhermitte importe dans l’univers convenu du pastel des sujets empruntés au monde rural et aux travaux des champs. En associant cette technique au réalisme flamand du XVIIe siècle plutôt qu’aux mondanités, il prouve les qualités des bâtonnets de couleur à reproduire les effets observés dans la nature. Plus largement, le médium est utilisé pour tous les sujets de la vie moderne, scènes populaires ou intimes, qui réclament un traitement neuf, simple et spontané. Albert Bartholomé, Pascal Dagnan-Bouveret, Louise Breslau et Pierre-Georges Jeanniot réalisent des portraits intimistes, traités avec dépouillement, sobriété ou austérité, tandis que Fernand Pelez ou Théophile-Alexandre Steinlen, protagonistes d’un naturalisme social et observateurs caustiques de la « comédie humaine », portent un regard sans concession sur les « petites Parisiennes », danseuses ou midinettes, de la Belle Époque.


Le pastel impressionniste
Pour traduire des sensations instantanées, le pastel s’impose comme une évidence auprès des artistes impressionnistes, bien que sa pratique reste secondaire pour nombre d’entre eux. Les oeuvres conservées au Petit Palais constituent un remarquable éventail qui, d’Edgar Degas à Mary Cassatt et de Paul Guillaumin à Paul Gauguin, sans oublier Berthe Morisot et Auguste Renoir, offre une synthèse cohérente du pastel impressionniste. Cet ensemble contribue à mettre en lumière une production graphique que les critiques d’art ont longtemps dédaignée au profit de la peinture. Matériau idéal pour travailler en plein air, le pastel s’accorde parfaitement à leur esthétique, celle de la suggestion du mouvement, des vibrations d’une touche rapide, du rayonnement des couleurs et des effets de lumière. Avant tout paysagistes, les artistes impressionnistes ne délaissent pas pour autant la représentation humaine, pourvu qu’elle soit rendue dans la vérité du quotidien. Degas décrit sans complaisance les danseuses ou les membres de son entourage tandis que Cassatt multiplie les figures d’enfants avec tendresse et sensibilité. Portraits d’un genre renouvelé et plus libre, ces oeuvres rendent compte d’un art de l’intime, des cercles familiaux et amicaux.


Le pastel mondain
Dans la société de la fin du XIXe siècle, le portrait mondain traduit le goût d’une élite aristocratique et bourgeoise, sensible au charme et au raffinement du pastel, et offre aux artistes des perspectives commerciales. Dans la lignée de James Tissot, Albert Besnard et Jacques Émile Blanche s’affirment des pastellistes et portraitistes virtuoses pour évoquer l’élégance parisienne. En multipliant les grands formats, ils prouvent que le pastel n’a désormais plus rien à envier à la peinture. Charles Léandre et Marcel Baschet représentent avec un certain académisme les officiels et notables de leur temps. De la figure sensuelle d’Antonio de La Gandara aux effigies contemplatives de Victor Prouvé, ce matériau est particulièrement adapté au rendu des carnations féminines, auxquelles il confère un aspect poudré et velouté, et aux effets de matières. Les nus fantaisistes de Pierre Carrier-Belleuse ou ceux plus audacieux d’Alfred Roll contrastent avec les modèles traditionnels et témoignent d’une grande liberté d’inspiration. De nombreuses femmes artistes, telles Émilie Guillaumot-Adan et Claude Marlef, s’emparent également de cette technique, plus accessible et moins coûteuse que l’huile, et privilégient les scènes de genre et les portraits décoratifs de mondaines ou d’intimes.


Le pastel symboliste
Le pastel est utilisé avec une prédilection particulière par les peintres symbolistes, à la fois pour ses couleurs, aux harmonies souvent étranges, comme dans les nus monumentaux de Lucien Lévy-Dhurmer, et pour sa matière vaporeuse telle qu’elle apparaît dans les oeuvres évanescentes d’Edmond Aman-Jean. Ces artistes expriment leurs sentiments, leurs rêves et traduisent esthétiquement une réalité intérieure à la portée plus universelle que les paysages ou les portraits. À la place des thèmes quotidiens et des représentations réalistes, ils privilégient les sujets rares, souvent littéraires, allégoriques ou mythologiques, les climats de mystère et d’étrangeté, propices à la rêverie et à un idéal poétique comme dans les paysages virgiliens d’Émile-René Ménard, d’Alphonse Osbert ou de Ker-Xavier Roussel. Charles Léandre exprime une vénération presque religieuse pour le modèle énigmatique et sensuel de Sur champ d’or, véritable chef-d’oeuvre intimiste. Une place de choix est réservée à Odilon Redon, figure singulière du renouveau du pastel à la fin du XIXe siècle. Dans ses portraits comme dans ses études de fleurs semblant tout droit sortis d’un rêve, il fait triompher l’éclat et l’intensité des couleurs qui l’emportent sur les sujets représentés.