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“Elina Brotherus” Règle du jeu
au Centre Pompidou, galerie de photographies, Paris

du 27 septembre au 22 octobre 2017



www.centrepompidou.fr

www.carteblanchepmu.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 25 septembre 2017.

2238_Elina-Brotherus2238_Elina-Brotherus2238_Elina-BrotherusLégendes de gauche à droite :
1/  Elina Brotherus, Flux Harpsichord Concert. © Elina Brotherus / Carte blanche PMU 2017.
2/  Elina Brotherus, Orange event. © Elina Brotherus / Carte blanche PMU 2017.
3/  Elina Brotherus, Passing music for a tree. © Elina Brotherus / Carte blanche PMU 2017.

 


2238_Elina-Brotherus audio
Interview de Elina Brotherus,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 25 septembre 2017, durée 14'33". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Karolina Ziebinska-Lewandowska conservatrice au Centre Pompidou,
assistée de Emmanuelle Etchecopar-Etchart
Coordination du projet :
Françoise Vogt, chargée du mécénat culturel au PMU




Pour la 8e édition de la Carte blanche PMU et la 3e au Centre Pompidou, Elina Brotherus, artiste finlandaise, a choisi de poser un regard décalé sur l’univers du jeu et propose de nous emmener dans un univers enchanté en utilisant, pour la première fois, un deuxième personnage.

« La règle du jeu d’une carte blanche c’est justement qu’il n’y en a pas. Et s’il y en a une, elle est faite pour être transgressée. Chaque édition de la Carte Blanche PMU est donc une surprise, un point de vue unique, et Elina Brotherus joue à son tour le jeu de l’originalité, totalement, parfois jusqu’à l’absurde et au burlesque. Elle joue avec elle-même et avec son double. Mais ce qui rend son travail unique et poétique, c’est le jeu des allers-retours entre les mots et les images. Il faut lire les photos d’Elina Brotherus, se prendre au jeu des mots et l’image, au premier abord austère, devient légère comme les jeux d’enfants. A voir absolument ! »
Benoît Cornu. Directeur de la communication du PMU.

Le travail de l’artiste sera exposé au Centre Pompidou, du 27 septembre au 22 octobre 2017, dans la Galerie de photographies, espace consacré à la photographie et gratuitement accessible au public. Il fera également l’objet d’un ouvrage conçu par Whitepapierstudio et édité par Filigranes Editions : Règle du jeu. Les oeuvres de l’artiste seront accompagnées de textes de Abigail Solomon-Godeau historienne de l’art, critique et commissaire d’expositions et Karolina Ziebinska-Lewandowska — cabinet de la photographie du Centre Pompidou.





Règle du jeu de Elina Brotherus - fragments du texte du catalogue par Karolina Ziebinska-Lewandowska

L’expression « règle du jeu » contient un paradoxe. En effet, le jeu relève du registre de la spontanéité, de la joie, et suppose l’existence d’une marge de liberté. C’est un moment de détente qui peut se transformer en moment de folie. Une règle suppose, au contraire, la présence d’un schéma contraignant. La règle organise, mais aussi limite. C’est un élément rationaliste. Rapproché du mot « jeu », elle est souvent employée au pluriel, car un jeu réglementé est d’ordinaire soumis à plusieurs règles. Celles-ci dominent alors le jeu, lui imposent de perdre sa dimension ludique. En revanche, elles éveillent des émotions, distinguent les gagnants des perdants, les meilleurs des faibles. Les règles font naître la compétition, l’espoir et la déception.

Le jeu soumis à des règles est si différent du jeu d’enfant que certaines langues emploient deux mots pour les désigner : ‘play’ et ‘game’ en anglais, ‘leikki’ et ‘peli’ en finnois, ‘zabawa’ et ‘gra’ en polonais. Le passage de l’un à l’autre se présente comme le passage de l’enfance à l’âge adulte, de l’insouciance à la responsabilité, de l’emportement au sérieux. Et si le passage ne se faisait pas ? Et si nous introduisions un grain de folie dans les jeux sérieux ? Brotherus se sert de l’ambiguïté du mot et de l’univers des jeux de règles – jeux de cartes, jeux d’échecs, jeux de société, pour tirer le jeu vers son acception ludique. L’aspect du play du mot invoque des références aussi lointaines que la figure du bouffon dans les cours royales, ou bien la commedia dell’arte. Les deux phénomènes culturels détenaient une fonction ludique, mais également philosophique et politique. Ils avaient en effet pour charge de distiller de manière légère un message sensible que le détenteur du pouvoir n’aurait jamais pu entendre autrement. La fonction de conseiller politique qu’occupaient certains bouffons dans les cours royales est ainsi bien connue. La commedia dell’arte, quant à elle, reflétait la société de manière schématique et exagérée afin de mettre en évidence ses structures malsaines.

Si nous nous limitons au 20e siècle, plus proche de nous, il faudra chercher les ancêtres de la nouvelle pièce d’Elina Brotherus parmi les dadaïstes, les auteurs du théâtre de l’absurde, mais surtout parmi les artistes rassemblés sous l’égide de Fluxus, auquel l’auteur fait explicitement référence. Ce sont leurs event scores (scénarios) qui servent à Brotherus d’instructions pour les courtes improvisations et mises en scène qu’elle réalise avec son amie, la danseuse Vera Nevanlinna.

Familière des procédés Fluxus, Elina Brotherus s’est emparée de leurs event scores à la suite de sa rencontre avec le célèbre galeriste berlinois René Block. Pour Règle du jeu, présenté à l’occasion de la Carte blanche PMU, Brotherus s’organise en duo avec Vera Nevanlinna. Leur longue amitié remonte au temps de l’Académie des Beaux-Arts pour l’une, de l’Académie de Théâtre pour l’autre. Aujourd’hui, Vera Nevanlinna est danseuse et chorégraphe indépendante et travaille notamment avec Deborah Hay, ancienne collaboratrice de Merce Cunnigham et membre du Judson Dance Theatre. La boucle est presque bouclée, tant les liens entre les artistes Fluxus et les danseurs de Cunnigham sont étroits. Le fait que Brotherus interprète les event scores avec Nevanlinna est déterminant, car, avant chaque prise de vue, les deux artistes se livrent à un exercice qui serait tout autre si elles ne joignaient pas leurs forces. Leur point de départ est le score. Puis, vient une réflexion collective qui déclenche le processus créatif. Il est rapide et prend l’allure d’un match de tennis, d’un tourbillon. Il reste alors à trouver un lieu et à penser les tenues et le décor – toujours simples mais raffinés. Les prises de vues sont aussi rapides que leur conception. En quatre mois, Elina Brotherus a réalisé près de soixante scènes.

En attendant les lectures politiques et critiques que nous réserve l’avenir, conformément au sens profond des pitreries du bouffon, on retiendra la dimension aussi humoristique que poétique de cette entreprise, dans laquelle il semble que l’artiste ait tourné le dos au sérieux pour s’affranchir des malheurs de notre époque. Pourtant, il ne s’agit pas tant de se cacher dans le jeu que d’y puiser la force d’une mise au carré de l’irrationnel. Cette stratégie subversive est souvent la réponse des opprimés au capital débordant, aux mécanismes du pouvoir et aux idéologies désincarnées.

Elina Brotherus et Vera Nevanlinna réalisent la plupart de leurs prises de vues dans la nature ou dans des intérieurs dépouillés, comme pour marquer leur refus du culte de la consommation. Elles se refusent également à apparaître comme des objets de désir, et donc de consommation — elles ne se maquillent pas, ne cachent pas leur âge. Ce qui ne veut pas dire qu’elles rejettent l’esthétique — les images qui résultent de leurs actions sont résolument belles, bien agencées, et donnent plaisir à voir.

Les actions de Brotherus dérivent du jeu dans son acception festive, mais opèrent un décalage dans notre rapport à la réalité. C’est une rupture avec la logique qui est significative. « Ce monde en lui-même n’est pas raisonnable, c’est tout ce qu’on peut dire. Mais ce qui est absurde, c’est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l’appel résonne au plus profond de l’homme » écrivait Albert Camus dans le Mythe de Sisyphe.1


1 Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe, Gallimard, coll. Folio essais, 1993, p. 39