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“Être pierre” Anselmo, Brassaï, Giraud et Siboni, Paterson, Picasso, Zadkine…
au musée Zadkine, Paris

du 29 septembre 2017 au 11 février 2018



www.zadkine.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 28 septembre 2017.

2244_Etre-pierre2244_Etre-pierre2244_Etre-pierreLégendes de gauche à droite :
1/  Moulage Vénus Abri Pataud. Sulptée dans un bloc de calcaire, 15 x 20 x 9 cm. MNHN Musée de l'Homme. © Cliché Deluc.
2/  Claude Cahun, Autoportrait, 1933. Tirage argentique d’époque, 10,8 x 8 cm. Collection Dolores Alvarez Toledo, Paris. © Estate Claude Cahun/DR.
3/  Giovanni Anselmo, Trecento milioni di anni (trois cents millions d'années), 1969. Anthracite, lampe, tôle ondulée et fil de fer, 30 x 56 x 25 cm. Paris, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. © The artist - Courtesy Archivio Anselmo Photo © Musée d'Art moderne de la Ville de Paris/Roger Viollet.

 


2244_Etre-pierre audio
Interview de Jessica Castex, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 28 septembre 2017, durée 16'18". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Rebecca ou la grande porteuse d'eau domine la salle de toute sa hauteur. Ses solides jambes sont les racines d'un corps élancé vers le ciel, se terminant par de longs bras comme des branches d'arbre. La statue de plâtre peint, fissuré, strié de longues jointures verticales, a un aspect de bois sculpté. Elle est plus vivante, plus émouvante que sa grande sœur de bronze exposée dans le jardin. Un collier de perles lui fait face. Suspendu par des fils invisibles, il oppose sa lévitation improbable à la masse pierreuse de la géante de Zadkine. Les 170 perles du Fossil Necklace de Katie Peterson, taillées à partir de fossiles collectés aux quatre coins du globe, ressemblent à des pierres précieuses, mais leur valeur réside dans l'histoire géologique qu'elles racontent.

Noblesse de la pierre de joaillerie contre roche commune réduite en poudre, élégance blanche du marbre poli ou mur anonyme graffité de trous et de griffures photographié par Brassaï, la pierre devient corps, s'anime, prend vie. Les pierres réunies par Marko Pogačnik sont des organismes vivants. Chacune est associée à un dessin, un tracé à l'encre qui en explique l'anatomie interne, les énergies qui s'y meuvent, les esprits qui l'habitent. Ces diagrammes forment un nouveau zodiaque, projetant le petit morceau de roche dans l'infiniment grand, lui donnant les dimensions inouïes de constellations.

Dans la vidéo de Nicholas Mangan, les étoiles défilent lentement dans le firmament noir d'infini. En fait ce sont des grains de poussière de roche qui tombent, projetés au ralenti. La pierre se révèle une compression du temps et de l'espace dans un bloc de matière, un big bang inversé en quelque sorte. Penone taille un bloc pour reproduire les formes d'une pierre lissée par le passage de l'eau pendant des millénaires. Le modèle du sculpteur est la nature elle-même, celui-ci par son geste tente de saisir une échelle de temps si grande qu'elle est hors d'atteinte de notre compréhension. Ilana Halperin avec Physical Geology (cave cast / slow time), utilise un processus naturel de minéralisation accélérée par une fontaine pétrifiante pour reproduire en quelques mois une sédimentation se déroulant sur plusieurs siècles. Ses stalagmites, mains aux dizaines de doigts, ondulent comme des plantes sous-marines. De roche inerte, la pierre est devenue fossile, gardant le souvenir d'une vie et d'un mouvement.

Deux têtes de Zadkine, une tête d'homme en granulite noire et une tête de femme en pierre calcaire présentent un jeu de contraste lumineux. Leur réunion en un Yin/Yang oppose le blanc et le noir pour mieux les réunir comme les deux faces opposées d'un grand tout. Les lèvres peintes en rouge de la femme évoquent les premières peintures de l'âge néolithique. Le blanc de la pierre, marbre ou calcaire, laisse l'ombre seule dessiner les contours d'une madone, d'une musicienne ou d'une déesse. A l'inverse, chez Jean-Michel Sanejouand, les assemblages de pierres peintes en noir constituent de l'anti-sculpture. La peinture noire efface tout relief, toute texture. Il ne reste de la pierre qu'une forme en 2 dimensions, une tache noire se libérant de son support physique pour être un hologramme abstrait.

L'œuvre de Zadkine se prête à merveille à ce dialogue. Le lien qu'il a su faire entre passé et futur, son approche du matériau le faisant passer de masse à légèreté, cette poésie de la ligne cherchant dans les traits d'un visage la simplicité de la courbure d'un brin d'herbe, trouvent un prolongement heureux dans l'étude de la pierre, de ses symboliques, de ses usages et de la vie qu'elle contient.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaires :
Noëlle Chabert, directrice du Musée Zadkine
Jessica Castex, commissaire d’exposition au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris




S’appuyant sur la très riche sculpture en pierre d’Ossip Zadkine (1890-1967), et à l’occasion du cinquantième anniversaire de sa mort, l’exposition engage une réfl exion sur ce matériau de prédilection des artistes pour proposer une lecture transversale du lien intangible qui les unit au minéral depuis les origines.

Dans un contexte marqué par les préoccupations environnementales et un lien renouvelé de l’homme à son écosystème, ÊTRE PIERRE explore la part dynamique et vivante du règne minéral.

Pensé comme un récit et sans prétendre à l’exhaustivité, le projet mêle les générations et les mediums - sculptures, photographies, dessins, vidéos, fi lms, intègrant également des objets archéologiques et des productions d’Arts premiers. À travers près de cent trente pièces et organisé en trois parties, il réunit plusieurs ensembles jalonnant la collection du musée Zadkine.



Origines
Une première séquence consacrée aux Origines évoque celles à la fois cosmiques et géologiques de la terre, et les sources de la création. L’exposition s’ouvre sur un ensemble d’objets votifs et de mobilier funéraire provenant de cultures paléolithiques - Vénus en calcite ambrée d’environ 25 mille ans avant notre ère, mobilier magdalénien -, néolithiques - statue-menhir du Rouergue (3ème millénaire avant notre ère), jades d’Extrême–Orient…, ainsi que des objets protecteurs ou intercesseurs d’Océanie et d’Afrique comme les pierres à magie en serpentine, effigies d’ancêtres et Ti’i de Polynésie française. Face à ces objets, le visiteur découvre des oeuvres des grands acteurs de la modernité – Brancusi, Brassaï, Picasso (Tête en pierre, 1907) ou Zadkine - qui se sont appuyés sur les arts dits « primitifs » et les expressions extraoccidentales pour renverser les fondamentaux de l’académisme.

Métamorphismes et Métamorphoses
Le second volet Métamorphismes et métamorphoses s’attache aux processus perpétuels de transformation du minéral à l’échelle géologique, aux passages entre les règnes, aux propriétés intrinsèques de la matière et à ses temporalités qui inspirent aux artistes comme Giovanni Anselmo, avec Trecento milioni di anni (1969), Katie Paterson et Fossil Necklace (2013), ou le duo Fabien Giraud & Raphaël Siboni avec La Mesure minérale (2012), des problématiques et procédés plastiques inédits. Le parcours se poursuit par l’interprétation des formes naturelles de la pierre qui évoquent des silhouettes anthropomorphiques, animales ou des lignes paysagères et sont sources de création artistique – Hans Hartung, Tête d’homme à quatre trous, 1954.

Intimité minérale
Enfin, l’atelier dévoile la dernière section centrée sur l’Intimité minérale qui montre la relation intime et sensible de l’humain à cette matière primordiale (La vulve, onyx (Brésil), collection Roger Caillois). C’est le corps, à travers une série de gestes élémentaires – et sans contrainte – par le toucher, la collecte et l’appropriation par détournement et glissement, qui devient l’enjeu de l’expérience perceptive. Ce sont des oeuvres de Rodin (Jeux de nymphes, vers 1900-10), de Picasso ou de Brassaï avec ses silhouettes de femme et d’oiseau en galet des années soixante que découvre alors le visiteur. En marge d’un répertoire attestant de relations apaisées, quelques oeuvres incarnent une menace, celle de l’homme pour son milieu naturel (Alterscapes Playground, 2005-2015, d’Otobong Nkanga). L’exposition s’achève par le film de Nicholas Mangan, A World Undone (2012), qui propose une immersion au coeur de cristaux de zircon, les plus vieux minéraux connus sur terre. Filmées dans un temps étiré, les poussières de roche se convertissent en poussières d’étoiles, plongeant le visiteur dans l’expérience d’un cycle qui le ramène aux origines du monde.