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“André Derain” La décennie radicale. 1904-1914
au Centre Pompidou, Paris

du 4 octobre 2017 au 29 janvier 2018



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, tournage presse, le 2 octobre 2017.

2248_Andre-Derain2248_Andre-DerainLégendes de gauche à droite :
1/  André Derain, Portrait de Lucie Kahnweiler, 1913. Huile sur toile, 92 x 73 cm. MNAM/Centre Pompidou, Paris. Donation Louise et Michel Leiris, 1984 © Adagp, Paris 2017.
2/  André Derain, Trois personnages assis dans l’herbe, 1906. Huile sur toile, 38 x 55cm. MAMVP, legs Girardin 1953. © Adagp, Paris 2017.

 


2248_Andre-Derain audio
Interview de Cécile Debray, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 2 octobre 2017, durée 18'03". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Cécile Debray, anciennement conservatrice en chef au musée national d’art moderne, service des collections modernes et nouvellement directrice du musée de l'Orangerie,
assistée de Valérie Loth




L'exposition présentée par le Centre Pompidou porte un nouveau regard sur l’oeuvre d'André Derain, artiste majeur du 20e siècle. Inédite, elle retrace les étapes du parcours de l’artiste avant-guerre, moment où le peintre participe aux mouvements d’avant-garde les plus radicaux. Quelques ensembles exceptionnels sont réunis pour l’exposition : la production estivale de 1905 à Collioure, la série des vues de Londres et les très grandes compositions autour des thèmes de la danse et des baigneuses.

L’art d’André Derain n’a pas donné lieu à de grandes monographies depuis la rétrospective que le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris a consacré à son oeuvre en 1994, soit depuis plus de vingt ans.

Ce peintre français a joué un rôle moteur et intellectuel dans l’éclosion des deux grandes avant-gardes du début du 20e siècle, le fauvisme et le cubisme. En solitaire il engage un retour précoce au réalisme, annonçant tous les mouvements figuratifs de réalisme magique, depuis l’Ingrisme de Picasso, la peinture métaphysique de De Chirico ou la Nouvelle Objectivité allemande. L’oeuvre d’avant-guerre de Derain, d’une très grande inventivité et audace, est fascinante.

Proche de Maurice de Vlaminck et d’Henri Matisse, puis de Georges Braque et de Pablo Picasso, André Derain se confronte avec force au fauvisme et au cubisme et développe jusqu’à la Première Guerre mondiale une oeuvre puissante. Multipliant les expérimentations plastiques, il aborde la peinture, le dessin, la xylographie, la sculpture, la céramique, le cinéma, et pratique jusqu’à la fin de sa vie, en parallèle de sa peinture, la photographie…



La conception de cette exposition s’appuie sur une exploration des archives inédites de Derain – ses photographies, sa collection d’estampes et de reproductions d’oeuvres d’art, ses écrits et sa correspondance – et éclaire de manière sensible et inédite une sélection de ses œuvres les plus emblématiques, par des contrepoints visuels forts : les photographies prises par André Derain, ses références artistiques atypiques telles que les gravures d’Epinal, les objets maoris copiés au British Museum en 1906 ou les sculptures africaines de sa collection.

L’exposition présente environ 70 peintures ainsi qu’un ensemble important d’oeuvres sur papier – aquarelles, dessins, carnets de croquis, gravures -, des sculptures, une cinquantaine de photographies, des sculptures maories et africaines, des céramiques…



L'exposition se déploie de manière chronologique :

- En ouverture, les premières oeuvres de Derain marquées par un ancrage réaliste de type libertaire, au dessin acéré et cruel, sont présentées en vis à vis de ses photographies prises depuis ses débuts jusque dans les années 1940 ; cet attachement au cadrage photographique aussi radical soit-il, et un certain réalisme caractérisent en profondeur l’ensemble de son travail de peintre

- Les paysages de Chatou, peints en 1903-1904 par Derain, marquent, par la vivacité de la couleur et l’innovation des compositions, l’inscription dans le modèle impressionniste et à la fois son émancipation.

- Les expérimentations picturales de Derain durant l’été 1905 à Collioure aux côtés d’Henri Matisse, constituent l’« épreuve du feu » du fauvisme.

- La veine arcadienne et décorative de Derain avec la grande composition de La Danse – prêt exceptionne – et ses déclinaisons par l’aquarelle, forment une réponse aux oeuvres tahitiennes de Paul Gauguin et aux tableaux contemporains de Matisse.

- Les paysages colorés et synthétiques peints à L’Estaque en 1906 et la flamboyante série de Londres (1906-1907) offrent un des sommets de son oeuvre coloré.

- Les objets d’art maori et africain du British Museum découverts par Derain à Londres en 1906, et son panthéon constitué à travers ses visites du Louvre, du musée du Trocadéro ou de la National Gallery nourrissent le néo-archaïsme de sa sculpture et de sa pratique de la gravure sur bois.

- Le tournant cézannien de 1907 amène Derain à formuler une synthèse formelle et géométrique avec la série des grandes compositions des Baigneuses – autres prêts exceptionnels.

- André Derain développe alors une forme personnelle du cubisme à travers ses paysages cloisonnés aux tons saturés de Cassis, Martigues et Carrières-sur-Seine, peints entre 1907 et 1909 puis, ceux de Cagnes et de Cadaquès caractérisés par une volumétrie géométrique et cristalline.

- Sans jamais se départir de son réalisme, à partir de 1912-1913, Derain accentue la stylisation de son dessin, multiplie les portraits archaïsants, les autoportraits manifestes dans les habits de peintre, les natures mortes sophistiquées et symboliques ainsi que des vues de fenêtres stylisées à la manière de Paolo Uccello ; cette période étrange et singulière, dite « byzantine », a séduit nombre d’artistes et de poètes tels que le jeune André Breton.

- L ’exposition se conclut sur une évocation de résurgences ou de survivances de l’esprit d’avant-guerre - une veine épique et un archaïsme poétique et mélancolique inspirés de Guillaume Apollinaire – à travers une de ses toutes dernières oeuvres, le grand panneau allégorique achevé en 1944, La Chasse appelée aussi L’Âge d’or (1938-1944).


Personnalité complexe, André Derain a exprimé très tôt une forme de doute face au projet moderne tout en participant activement à la formulation des premières avant-gardes du 20e siècle. Gertrude Stein a pu dire de lui avec quelque perfidie : « Derain est un inventeur, un découvreur, un de ces esprits perpétuellement curieux et qui ne savent pas tirer parti de leurs inventions (…) c’est un aventurier de l’art, le Christophe Colomb de l’art moderne, mais ce sont les autres qui profitent des nouveaux continents. » (Propos rapportés par Jean Leymarie, André Derain ou le retour à l’ontologie, Paris, Skira, 1949)

Le projet bénéficie du soutien des héritiers de l’artiste, du Comité Derain. Il est accompagné d’un important catalogue dont les essais de spécialistes de l’oeuvre de Derain et des avant-gardes historiques permettent de renouveler l’approche de cet oeuvre. La publication de sa correspondance de guerre avec sa femme Alice Derain par Hazan et les Editions du Centre Pompidou, sous la direction de Javotte Taillade, petite nièce du peintre, accompagne l’événement.





Extrait du catalogue d'exposition - Derain, « le Christophe Colomb de l’art moderne » ? par Cécile Debray

« Derain est un inventeur, un découvreur, un de ces esprits perpétuellement curieux et qui ne savent pas tirer parti de leurs inventions ; découvreur par vocation, si j’ose dire, par tempérament et non consciemment, Derain ne sait pas, ne peut pas exploiter ce qu’il fait surgir, c’est un aventurier de l’art, le Christophe Colomb de l’art moderne, mais ce sont les autres qui profitent des nouveaux continents. » Ce portrait acerbe d’un André Derain entre génie et dilettante est brossé tardivement par Gertrude Stein, vers la fin des années 1930. Il résume assez bien le paradoxe que constitue le parcours de cet artiste, entre son rôle actif dans l’histoire des avant-gardes (fauvisme, cubisme) sur la scène parisienne avant la Grande Guerre et sa défense d’un retour à la tradition en peinture à partir des années 1920. […]

Cette part spirituelle, sa conversation, ses goûts musicaux, esthétiques et littéraires sont plus évanescents que les oeuvres qui nous sont parvenues. Quelques textes – souvent confus – et des lettres publiés depuis les années 1990 ont permis de construire l’image d’un peintre intelligent mais empêché – ou mu – par le doute. Alberto Giacometti affirmait que « les qualités de Derain n’existent qu’au-delà du ratage, de l’échec, de la perdition possible ». S’appuyant sur ces propos, Philippe Dagen axe son analyse dès 1987 sur les notions de doute et de dépit. Quant à Suzanne Pagé, elle intitule sa grande exposition « André Derain : le peintre du “trouble moderne” ».
[…]

Aussi, revenir sur la première période (1901-1914) de l’oeuvre de Derain, avec l’ombre portée des années suivantes, permet de réexaminer précisément sa place durant ce moment crucial de l’art moderne et nous amène par ailleurs à tenter de saisir les éléments d’une permanence, les caractéristiques profondes de son art. Ainsi la question de la photographie qu’il pratique dès ses débuts, autour des années 1900, comme celle de sa découverte – avant tous les autres – des potentialités plastiques et esthétiques des arts océaniens et africains, ou encore celle de la précocité de son réalisme que nous qualifierons de « magique » et qui se déploie dès 1911-1912 sont quelques-uns des aspects mal connus et atypiques de cette époque, que nous nous attachons à mettre au jour.

D’un point de vue historiographique, le cas Derain est largement moins étudié que ceux de Matisse, Picasso ou Duchamp. […] Seule la participation de Derain au fauvisme a été récemment bien étudiée, grâce aux travaux de Rémi Labrusse et de Jacqueline Munck, à l’occasion du centenaire du mouvement, en 2005. Ces derniers ont publié la correspondance de Derain avec Matisse et l’ébauche du manifeste esthétique qu’il rédigea à Londres. Ils ont analysé avec précision la relation entre Matisse et Derain ainsi que le séjour londonien, qui a d’ailleurs fait l’objet d’une exposition au Courtauld Institute of Art. À l’occasion de l’exposition concomitante sur la production de l’été 1905 à Collioure qui s’est tenue au Musée d’art moderne de Céret, on a pu toutefois noter que si un réel travail de classement chronologique sur cette production a été accompli par Jack Flam pour Matisse, ça n’a pas été le cas pour Derain.
[…]

L’apport de Derain dans l’histoire du fauvisme, à travers la cordée qu’il forme en 1904 avec Maurice de Vlaminck, ou dans celle du cubisme via ses échanges avec Braque et Picasso est, sinon brièvement évoqué, du moins peu étudié. Daniel-Henry Kahnweiler souligne pourtant le rôle déterminant qu’il joua dans la transmission du cézannisme, tout en déplorant la perte de ses grandes toiles allégoriques intitulées Baigneuses dans l’autodafé de l’hiver 1907-1908, qui auraient pu permettre de mieux appréhender son rôle dans le dialogue héroïque des débuts du cubisme entre Picasso, avec ses Demoiselles d’Avignon (1907, New York, The Museum of Modern Art) ou ses Trois Femmes (1908, Saint-Pétersbourg, Musée de l’Ermitage), et Matisse, avec des toiles telles que Nu bleu (Souvenir de Biskra) (1906, Baltimore Museum of Art), Le Luxe I (1907, Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne) ou Baigneuses à la tortue (1907-1908, Saint Louis Art Museum). Dans Le Cubisme, son ouvrage majeur devenu un classique, John Golding mentionne uniquement le tableau Baigneuses conservé au Museum of Modern Art de New York, faisant quasiment disparaître Derain de cette histoire.

Or, la place que nous accordons à la photographie dans la présente exposition apporte un éclairage nouveau, mettant en exergue le rapport particulier de Derain au réalisme. À la suite des travaux de Françoise Marquet, Dominique de Font-Réaulx examine les sources photographiques surprenantes de nombreux tableaux comme L’Enterrement offert par Derain en 1901 à Matisse, Le Bal de Suresnes, La Seine au Pecq ou Le Pont du Pecq, dans lesquels les cadrages audacieux, les raccourcis des premiers plans, la précision des détails sont rendus plus aigus encore par un jeu de couleurs radical. Cette incision, ce détachement objectif et cruel par le biais du photographique s’inscrivent dans une veine naturaliste spécifique que Nicholas-Henri Zmelty rapproche de l’exemple de Toulouse-Lautrec et rapporte à la lecture que Derain fit d’Émile Zola et à sa sympathie pour les milieux anarchisants.
[…]

Il est possible également de penser que Derain sensibilisa Picasso à l’utilisation du medium photographique. Si le premier utilise des clichés comme source directe pour sa peinture dès 1900, le second ne l’expérimente qu’en 1909 lors de son séjour estival à Horta de Ebro, alors qu’il est très ami avec Derain. […]