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“Bourdelle et l’antique” Une passion moderne
au Musée Bourdelle, Paris

du 4 octobre 2017 au 4 février 2018



www.bourdelle.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 3 octobre 2017.

2249_Bourdelle-Antique2249_Bourdelle-Antique2249_Bourdelle-AntiqueLégendes de gauche à droite :
1/  Léonide Massine dans « l’Après-midi d’un faune », Strelecki Jean de (comte) (actif en 1916). Paris, musée d’Orsay. Photo © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Droits réservés. Service de presse/musée Bourdelle.
2/  Antoine Bourdelle (1861-1929), Héraklès -Etude - sculpture en position oblique. Photographie anonyme. Paris, musée Bourdelle. Photo © Musée Bourdelle / Roger-Viollet.
3/  Anonyme, Cléopâtre dans l’atelier, 1900-1910. Épreuve gélatino-argentique à développement, 17,9 x 11,8 cm. Paris, musée Bourdelle. Photo © Musée Bourdelle / Parisienne de photographie.

 


2249_Bourdelle-Antique audio
Interview de Claire Barbillon, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 3 octobre 2017, durée 9'14". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaires :
Claire Barbillon, professeur, université de Poitiers / École du Louvre
Jérôme Godeau, musée Bourdelle
Amélie Simier, conservateur général du patrimoine, directrice du musée Bourdelle




Bourdelle et l’antique. Une passion moderne, invite à une relecture de la sculpture de Bourdelle – mais aussi de la production artistique des premières décennies du XXe siècle – à l’aune de l’archaïsme vecteur de modernité. Chez bien des artistes novateurs, les avancées procèdent de la résurgence d’un passé enfoui – en l’occurrence, celui de la Grèce la plus antique.

De l’énergie primordiale du mythe, des figures fabuleuses des temps archéologiques, des formes synthétiques de l’art grec archaïque, Antoine Bourdelle tire ses chefs d’œuvre dans les années 1900-1914. L’exposition réunit huit chefs d’œuvre du sculpteur qui scandent la naissance et le développement de cet archaïsme moderne : Pallas, Apollon au combat, Héraklès Archer, Tête de Cléopâtre, Le Fruit, Pénélope attendant Ulysse, Centaure mourant…

Ce sont près de 150 oeuvres majeures – signées Bonnard, Brancusi, Cézanne, Maillol, Modigliani, Matisse, Picasso, Puvis de Chavannes, Rodin… – issues des collections du musée et de prêts inestimables (musée du Louvre, Petit Palais, musée d’Orsay, centre Pompidou, musées Picasso, Rodin, Matisse, Zadkine, collectionneurs privés) qui sont réunies pour ce projet unique.





Parcours de l’exposition :

Dessiner, copier, s’approprier l’Antique

Bourdelle se veut d’abord héritier des leçons des artisans, ses ancêtres: de son oncle « Hercule, tailleur de pierre », il a appris « à écouter le roc […] en suivant les conseils de la pierre qui nous parle quand on la coupe ». A 22 ans, il arrive à Paris où il est élève à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts. Pendant une bonne dizaine d’années, le jeune Bourdelle découvre, observe et copie l’Antique – exercice académique fondamental. Les futurs artistes se forment l’oeil et la main en dessinant d’après des moulages, réalisés à partir de quelques oeuvres célèbres, issues des découvertes des archéologues depuis le XVIe siècle. La présence de ces tirages en plâtre dans les ateliers des sculpteurs est une constante à la fin du XIXe siècle, comme en témoigne encore aujourd’hui l’atelier de Bourdelle. La culture visuelle des artistes se complète par la fréquentation des musées, en particulier le musée du Louvre dont les collections archéologiques se développent considérablement. Si Bourdelle n’entreprend jamais le voyage pour la Grèce, il ne cesse d’y rêver par le biais de son « musée de poche », riche de photographies et de cartes postales.

Pallas Athéné, « un torse de femme qui est bien un torse de déesse »
Dans la genèse de Pallas on trouve d’abord un buste de femme drapé, émergeant d’un bloc de marbre à peine dégrossi, taillé dans les années 1897-1898, encore sous l’influence du « non finito » à la Rodin. Le visage de ce buste, découpé comme un fragment archéologique et patiné comme s’il sortait de fouille, devient Masque de Pallas : juché sur une stèle, il accueille les visiteurs du Salon de la Société nationale des beaux-arts en 1905. Repensant radicalement la question du torse et nourri de la simplification formelle de l’archaïsme, en juillet 1903, Bourdelle monte à la terre un torse de femme grandeur nature, surmonté d’une tête reprise du modèle du Masque. Il le transcrit en bronze et en marbre, le dotant du titre Torse de Pallas – « un torse de femme qui est bien un torse de déesse », note un critique subjugué. À l’automne 1905, l’amateur d’art découvre à Paris deux oeuvres spectaculaires : Torse de Pallas d’Antoine Bourdelle, et Femme assise, dite plus tard Méditerranée, d’Aristide Maillol. Au « Contenir, maintenir, maîtriser » de Bourdelle répond le « La sculpture c’est de l’architecture » de Maillol, une relecture de l’antique dont le jeune Brancusi saura se souvenir lorsqu’il taille en 1909 un Torse de jeune fille fragmentaire et épuré.

Apollon au combat
Tout part d’une oeuvre modelée en terre vers 1898, abandonnée, retrouvée puis sauvée de la disparition par une prise d’empreinte. Bourdelle en tire des masques fragmentaires, des têtes prismatiques, à la recherche de la forme idéale, qu’il nomme Tête d’Apollon. Vers 1909, ce « chef sans corps » trouve son assise dans l’assemblage audacieux d’une base proto-cubiste faite de socles asymétriques superposés. Point de rupture dans l’oeuvre de Bourdelle, elle signe le « divorce » d’avec Auguste Rodin, mais elle est surtout le manifeste de l’art du sculpteur. Vers 1912, il fait fondre en bronze son Apollon et l’expose à l’Armory Show de 1913 à New York et à la Biennale de Venise en 1914. Ce chef d’oeuvre est aujourd’hui présent dans les plus grandes institutions, de Paris à Stockholm, de Chicago à Lausanne. C’est en 1913 que Bourdelle lui donne son nouveau titre : Apollon au combat. Celui-ci désigne tout à la fois la lutte avec soi-même, mais aussi le souffle de l’inspiration divine : celle d’Apollon, « maître d’oeuvre éternel » qui aura guidé sa main et initié son esprit à l’art de la synthèse et de la structure. Autant de préceptes libérateurs que Bourdelle eut à coeur de transmettre à ses élèves, à commencer par Germaine Richier.

Héraklès Archer, « furieusement archaïque », « moderne et barbare »
Habité par la légende du héros grec, Bourdelle puise son inspiration, à rebours du temps, dans une Antiquité toujours plus lointaine. Pour son Héraklès, il a en tête le fameux Torse du Belvédère qui exerce une fascination considérable sur les artistes dès le début du XVIe siècle et l’Archer du fronton du temple d’Aphaïa à Egine, l’un des trois temples du triangle sacré avec le Parthénon et le temple de Poséidon à Sounion. À partir du travail d’après un modèle vivant, procédant par simplifications successives, le sculpteur revient à une Antiquité archaïque qu’il revisite. Peu à peu, toutes traces de naturalisme sont éliminées, en particulier dans la tête, pour parvenir à la sobriété effilée des facettes aux arêtes nettes. Cousine de celle de l’Apollon, cette tête d’Héraklès s’apparente aux fragments de têtes romanes que Bourdelle dessine à Moissac. Héraklès Archer accède, dès sa présentation au public, en 1910, au rang de chef-d’oeuvre. Les critiques saluent à la fois son archaïsme et sa modernité qui tient à l’équilibre entre les pleins et les vides, entre les droites et les courbes. La force radicale de l’Héraklès Archer nourrit les sculpteurs de la génération suivante: Henri Laurens et Jacques Lipchitz poursuivent, chacun dans leur registre, les lois d’une construction fondée sur la tension et l’équilibre.

Tête de Cléopâtre, « L’impersonnalité rigoureuse d’une construction géométrique »
En 1908, alors qu’il travaille au Fruit et à Héraklès archer, Bourdelle livre une oeuvre plus confidentielle mais capitale – un portrait de son élève grecque Cléopâtre Sevastos. Tête de Cléopâtre est l’une des rares tailles directes de l’artiste. Dans la glaise comme dans la pierre, Bourdelle cherche à couper et à retrancher. Taillée, cette tête est aussi gravée. Les griffures qui zèbrent les joues et le front sont à rapprocher de la Tête d’homme toute en facettes et en arêtes, exécutée par Ossip Zadkine. L’architecture du visage – structure triangulaire, yeux ovoïdes, pommettes saillantes, nez trapézoïdal – atteste l’émergence, au seuil des années 1910, d’un « primitivisme » aux mille visages : la Danaïde de Constantin Brancusi évoque les Vénus préhistoriques tandis que la Tête de femme d’Amedeo Modigliani se souvient de l’archaïsme grec, de la sculpture étrusque ou encore des têtes cambodgiennes (VIIe siècle). Si proche de Tête de Cléopâtre, la Tête de femme de Picasso partage avec les antiquités ibériques, dont certaines furent présentées au Louvre en 1904, un goût de la simplification formelle.

Le Fruit, « de la chair d’art pur »
Au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts de 1911, la grâce serpentine du Fruit est analysée comme « le Fruit du Musée plutôt que de la nature. » La sculpture procède en effet de citations empruntées aux antiques du Louvre, au Satyre jouant de la flûte de la collection Borghèse mais également à certains maîtres contemporains. Bourdelle transpose l’une des figures nues de L’Automne ou de L’Été, deux compositions célèbres de Puvis de Chavannes dont le sculpteur revendique l’héritage plastique – celui de la synthèse, de la simplification des formes qu’il condense à l’extrême. Le Génie funéraire que son maître Rodin conçoit à la même époque aura été aussi l’une des matrices visuelles de la sculpture de Bourdelle. Pour l’offrande des pommes qu’elle tend et dissimule, c’est à Cézanne qu’il faut penser. L’archaïsme géométrique de la petite toile des Baigneuses qui appartint à Matisse trouve sa correspondance dans l’architecture du Fruit. On peut aussi invoquer Matisse – dont Bourdelle a été l’un des passeurs discrets et qu’il a initié à la sculpture dans son atelier de Montparnasse en 1900-1901 – dont l’épure de La Serpentine obéit à une même volonté de revenir à la rigueur de « l’armature osseuse ».

Pénélope, colonne charnelle de l’attente
Enserrée dans les plis cannelés de sa tunique, Pénélope suscite les foudres de la critique, désarçonnée par ce « curieux retour à l’archaïsme », manifestement inspiré par le « goût de l’archéologie ». Un goût que Bourdelle cultive au musée du Louvre. Bourdelle se souvient aussi de l’antiquité de Jean-Auguste-Dominique Ingres, de la stylisation archaïsante de Stratonice ou La maladie d’Antiochus. Sept ans durant (1905-1912), Bourdelle aura travaillé à ce chef-d’oeuvre de l’attente amoureuse. La charge symbolique est d’autant plus forte que Pénélope aura été femme entre les bras du maître – doublement car on y retrouve à la fois les traits de la première épouse Stéphanie Van Parys mais aussi le corps de Cléopâtre Sevastos, la nouvelle muse. Au milieu des productions académiques du Salon de la Société nationale des beaux-arts de 1912, Pénélope provoque une révolution. Elle renverse la tradition du « Beau idéal », l’art des proportions. La monumentalité de cette divinité est décuplée par le socle géométrique sur lequel Bourdelle la présente. Ni accessoire ni présentoir, ce piédestal immaculé est indissociable de l’oeuvre. Il en révèle toute la structure, toute la modernité que « l’oeil insatiable » de Picasso a saisie.

Centaures, faunes, bacchantes et satyres, « la fureur mesurée »
De Centaure mourant (1911-1914), Bourdelle aimait répéter « qu’il meurt comme tous les dieux, parce qu’on ne croit plus en lui. » Mais durant toute sa carrière, le sculpteur n’a jamais cessé de croire à la vitalité des mythes, de célébrer les figures sacrées de la bestialité, mi-homme, mi- bête. Parmi les sculpteurs français, quels seraient les maîtres ? Bourdelle répond : Antoine-Louis Barye (1795-1875) car son chef d’oeuvre, Thésée combattant le centaure Biennor, nous confronte à la vérité première de la sculpture, au défi de la création. Comment Bourdelle entend-il mener à bien ce combat ? En se plaçant sous le patronage de Bacchus-Dionysos, dieu de la « fureur mesurée ». À elle seule, l’image résume la recherche du sculpteur, l’interaction de l’esprit et de la matière. Elle dit aussi la richesse formelle et symbolique des figures hybrides – centaures, faunes, bacchantes et satyres – qu’il conçoit entre 1905 et 1920.

Le Centaure mourant, un Dieu qui meurt ?
Surgi du plus profond des temps antiques, le mythe du centaure, quintessence de l’hybride, demeure vivace dans la poésie et l’art aux XIXe et XXe siècles et en particulier chez Bourdelle (tout un ensemble de sculptures et une bonne centaine de dessins en attestent). Alors qu’il travaille au panneau central de la frise monumentale de la façade du Théâtre des Champs-Élysées, Bourdelle hésite entre plusieurs motifs – celui d’un centaure ailé ; ou encore celui du couple formé par Pégase et Apollon qui dépose la lyre aux pieds des hommes ; il retient finalement un Apollon magistral et solaire, vers lequel accourent les Muses. En revanche, le centaure est bien présent dans le décor de fresques que peint Bourdelle à l’intérieur du Théâtre. Il imagine la composition de La Mort du dernier centaure, redoublant le caractère hybride de la créature fantastique par une iconographie qui opère la synthèse entre la tradition mythologique – les doigts du centaure deviennent feuilles, comme dans la métamorphose de la nymphe Daphné – et le Christianisme – la mort du Christ qui sauve et donne vie.