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“Gauguin l’alchimiste” article 2259
au Grand Palais, Paris

du 11 octobre 2017 au 22 janvier 2018



www.grandpalais.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 9 octobre 2017.

2259_Gauguin2259_Gauguin2259_GauguinLégendes de gauche à droite :
1/  Paul Gauguin (1848-1903), Ahaoe feii? (Eh quoi ! Tu es jalouse ?), 1892. Huile sur toile ; 66,2 x 89,3 cm. Moscou, musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine. © The Pushkin State Museum of Fine Arts, Moscou.
2/  Paul Gauguin (1848-1903), Parahi te Marae (Là réside le temple), 1892. Huile sur toile ; 66 x 88,9 cm. Philidelphia, The Philadelphia Museum of Art. Don de Mr et Mme Rodolphe Meyer de Schauensee, 1980. © Philadelphia Museum of Art.
3/  Paul Gauguin (1848-1903), Nature morte au profil de Laval, 1886. Huile sur toile ; 46 x 38,1 cm. Indianapolis, Museum of Art, collection de Samuel Josefowitz consacrée à l’école de Pont-Aven, grâce à la générosité du Lilly Endowment Inc., la famille Josefowitz, Mr et Mme James M. Cornelius, Mr et Mme Leonard J. Betley, Lori et Dan Efroymson, et d’autres amis du musée. © Indianapolis Museum of Art.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Si l'influence de ses compagnons Pissaro, Van Gogh, Monet l'accompagneront toujours, Gauguin poursuit un chemin solitaire, cherchant son horizon libérateur. Sur le fond de l'invention novatrice qu'est La Belle Angèle figurent les nénuphars de Monet, La Femme Caraïbe s'alanguit au milieu de tournesols si familiers qu'on ne les présente plus. Gauguin à beau tout fuir, les bonnes manières comme les croyances et la morale, ses toiles sont peuplées de fantômes, d'objets encombrant son intérieur comme son imaginaire. Cruches, objets de céramique, christ jaune cernent ses personnages, ainsi que lui-même dans son autoportrait, bloquant claustrophobiquement toute tentative d'échapper au cadre.

De l'abstraction impressionniste du chapeau rouge à l'épure d'estampe japonaise qu'est Dans les Vagues, avec sa chevelure d'aplat rouge sur une eau ondulant comme une étendue d'herbe dans le vent, Gauguin tente de briser ses chaines. La réalité s'efface devant le rêve d'ailleurs, de liberté, d'épanouissement. Un enfant est endormi sur une table. Autour de sa tête, un rêve bleu se matérialise. Les objets, les couleurs, tout obéit à une symbolique. L'opposition du turquoise de l'eau et d'un rouge orangé de feu des [Les] Laveuses à Arles, la peinture se distillant dans la forme et la couleur reproduisent une formule alchimique qui tente de recréer le monde sous une forme nouvelle.

L'envie - le besoin devrait-on dire - d'ailleurs est une pulsion de vie, de survie même. Comment ne pas voir les paysannes bretonnes de 1894 comme les vahinés d'ici ? Déjà leur décor figuratif se dissout sur les bords du tableau dans une abstraction onirique. Bientôt elles seront dissociées du monde extérieur, celui-ci se déformant en volutes irréelles. Si la vahiné endormie au milieu de son rêve peuplé par l'esprit des morts est bien la sœur de la petite fille précédente, c'est parce qu'elle est assaillie par les mêmes songes. Alors le peintre use de son pouvoir pour dessiner l'Eden, offrir un peu de répit à ses personnages mais surtout à lui-même. L'eau aux reflets roses, mauves, ocres et noirs de Ahaoe Feii ? (eh quoi ! tu es jalouse  ou le renversement des valeurs des Pastorales Tahitiennes avec son ciel vert et sa mer rouge sont quelques étapes de cette quête.

Gauguin cherche le paradis en peignant beaucoup d'Eves, en leur répétant mantras et invocations: "soyez mystérieuses, soyez amoureuses". Mais l'Eden n'est plus là où il l'a cherché. La réalité des îles n'est pas à la hauteur du fantasme. Un malaise s'installe à la lecture de ces toiles. Celui d'un homme s'obstinant à chercher une liberté incompréhensible pour les autres. Les femmes, si belles et innocentes prennent des allures animales indécentes. Les appels à jouir résonnent comme une déviance plutôt que comme une émancipation, faisant de la femme une victime sacrificielle offerte à des dieux cruels. Gauguin chassé du paradis comme son Eve doit fuir à nouveau ce monde qui n'a pas été à la hauteur de ses espoirs.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat :
Claire Bernardi, conservateur peinture, musée d’Orsay
Ophélie Ferlier-Bouat, conservateur sculpture, musée d’Orsay




Forte d’un ensemble de plus de 230 oeuvres de l’artiste (54 peintures, 29 céramiques, 35 sculptures et objets, 14 blocs de bois, 67 gravures et 34 dessins), Gauguin l’alchimiste est une plongée exceptionnelle dans le passionnant processus de création du grand artiste.

Elle est la première exposition du genre à étudier en profondeur la remarquable complémentarité des créations de l’artiste dans le domaine de la peinture, de la sculpture, des arts graphiques et décoratifs. Elle met l’accent sur la modernité du processus créateur de Gauguin (1848-1903), sa capacité à repousser sans cesse les limites de chaque médium.

Après l’exposition fondatrice Gauguin organisée en 1989, cette nouvelle collaboration entre l’Art Institute de Chicago – qui possède un fonds significatif de peintures et d’oeuvres graphiques de Gauguin – et le musée d’Orsay – dont la collection de peintures, céramiques et sculptures sur bois de l’artiste est une des plus importantes au monde –, permet de présenter sous un jour nouveau les expérimentations de Gauguin sur différents supports. Elle montre la production de l’artiste dans toute sa diversité, à la lumière des recherches récentes sur les techniques et matériaux utilisés par Gauguin, s’appuyant notamment sur l’expertise d’Harriet K. Stratis, Senior Research Conservator à l’Art Institute de Chicago pour l’oeuvre graphique de Gauguin, ou les travaux de Dario Gamboni, professeur titulaire à l’Université de Genève. Le parcours de l’exposition est ainsi ponctué de salles proposant une immersion dans les techniques et les méthodes de travail de l’artiste.

À partir d’une trame chronologique, et ponctuée d’un grand nombre de prêts exceptionnels (Les aïeux de Teha’amana, Chicago ; Eh quoi ! Tu es jalouse ?, Musée Pouchkine, etc.), l’exposition met en évidence l’imbrication et les apports mutuels entre schémas formels et conceptuels, mais également entre peinture et objets : dans ces derniers le poids de la tradition, moins pesante, permet davantage de libération et un certain lächer-prise. Une sélection resserrée de sources regardées par Gauguin permet de comprendre pleinement son processus créatif (céramiques, oeuvres impressionnistes, art extra-européen…).

Prélude au parcours de l’exposition, « La fabrique des images » est consacrée aux débuts de Gauguin, de sa représentation de la vie moderne dans le sillage de Degas et Pissarro, aux premières répétitions d’un motif, autour de la nature morte et des possibilités de mise en abyme qu’elle offre.

« Le grand atelier » se concentre ensuite sur la période bretonne de l’artiste. L’observation de la vie bretonne, intégrée, transformée et assimilée, lui permet de dégager des motifs récurrents qui connaissent de nombreux avatars (la ronde, la femme assise, la bretonne de dos…) et d’entamer des recherches formelles en dessin, peinture et céramique.

« Du sujet au symbole » montre comment Gauguin, mû par une ambition artistique croissante, s’oriente vers des compositions de plus en plus investies de significations morales, qui deviennent le réceptacle de ses états intérieurs. Leur accomplissement se trouve dans la mise en scène du « terrible moi » souffrant et sauvage. Les motifs n’échappent pas à cette mue : ainsi le baigneur devient Léda, la figure du désespoir inspiré par une momie du Trocadéro devient une allégorie de la Misère humaine, et la femme dans les vagues se mue en Ondine.

« L’imagier des Tropiques » met en évidence la résonance des traditions maories dans l’oeuvre de Gauguin. S’il construit lors de son premier voyage à Tahiti une imagerie personnelle de la vie tahitienne, l’exposition souligne là encore la puissance de ses recherches formelles. Le thème récurrent d’une nature « habitée » traverse les oeuvres réunies dans cette section, comme en témoignent les pastorales et le développement du thème de l’Homme dans la nature.

Respiration au sein du parcours, une salle est dédiée au manuscrit de Noa Noa, très rarement montré au public.

La section « Mythes et réinventions » met en évidence l’amplification de la dimension mystique de l’œuvre de Gauguin à Tahiti. Face aux traces matérielles restreintes laissées par les cultes tahitiens, Gauguin invente à partir de la tradition orale tahitienne un nouveau langage plastique. La figure de l’inquiétant Esprit des morts (Buffalo, Albright - Knox Art Gallery) venant tourmenter les tahitiennes revient sans cesse dans les oeuvres de cette période.

L’ultime section « En son décor » est centrée sur l’obsession de Gauguin, pour les recherches décoratives dans sa dernière période, aussi bien dans les intérieurs que dans l’évocation d’une nature luxuriante (Rupe Rupe, Musée Pouchkine). OEuvre d’art totale, sa case à Hiva Oa (Maison du Jouir) vient parachever sa quête d’un âge d’or primitif. L’évocation numérique sous forme d’hologramme de la Maison du Jouir, présentée pour la première fois dans une exposition avec les sculptures qui ornaient son entrée, clôture le parcours par une découverte de la dernière maison-atelier de Gauguin. L’occasion d’offrir au public une immersion inédite dans l’atelier de sa création.