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“Ali Kazma” Souterrain
au Jeu de Paume, Paris

du 17 octobre 2017 au 21 janvier 2018



www.jeudepaume.org

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 16 octobre 2017.

2265_Ali-Kazma2265_Ali-Kazma2265_Ali-KazmaLégendes de gauche à droite :
1/  Ali Kazma, Absence, 2011. Diptyque vidéo HD, non synchronisé, couleur, son, en boucle. Courtesy de l’artiste, de la SKOR, Amsterdam et du CBKU, Utrecht. © Ali Kazma.
2/  Ali Kazma, Calligraphy, 2013. Série Resistance, vidéo HD, couleur, son, 6 min. Courtesy de l’artiste et de l’Istanbul Foundation for Culture and Arts. © Ali Kazma.
3/  Ali Kazma, Mine, 2017. Vidéo HD, couleur, son, approx. 4 min. Production : Jeu de Paume, Paris, avec l’aide de la SAHA Association, Istanbul. Courtesy de l’artiste. © Ali Kazma.

 


2265_Ali-Kazma audio
Interview de Pia Viewing, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 16 octobre 2017, durée 15'47". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire de l’exposition : Pia Viewing



Né à Istanbul en 1971, Ali Kazma est diplômé de la New School, New York, en 1998. Il vit et travaille à Istanbul depuis 2000. Ayant recours dans son travail aux médias photographique et filmique, il parcourt la planète à la recherche de situations, de lieux et de bâtiments où entre en jeu l’aptitude de l’homme à transformer le monde.

En interrogeant le sens de l’activité humaine qui se déploie dans les champs économique, industriel, scientifique, médical, social et artistique, chacune des vidéos d'Ali Kazma met en exergue certaines évolutions à l'oeuvre dans nos sociétés, constituant ainsi progressivement une vaste archive de la condition humaine.

Sa démarche est sous-tendue par la volonté d’ajouter à la complexité et au mystère du monde, d’ouvrir et de susciter un discours esthétique et éthique à partir de l’interconnexion d’un ensemble de thèmes.

Intitulée « Souterrain », l’exposition personnelle d’Ali Kazma au Jeu de Paume s’attache à montrer l’évolution de son travail au cours des dix dernières années. Elle comprend une vingtaine d’œuvres vidéo, dont deux ont été réalisées à cette occasion, et une publication photographique – un livre d’artiste. Immergé dans l’espace, le spectateur fait face aux rythmes et aux couleurs des projections créant des liens entre chacune d'elles. Depuis le début de son travail, Ali Kazma a réalisé plus d’une soixantaine de vidéos. Ce corpus réunit de nombreux films indépendants, mais également deux grandes séries intitulées Obstructions (2005-en cours) et Resistance (2012-en cours). La première comporte auourd'hui dix-huit vidéos de durée variable (de 5 à 70 minutes) :

« Les oeuvres de la série Obstructions traitent principalement des initiatives de l’homme en vue d’assurer la continuité, le confort, la mesure, la maîtrise, la subsistance et les soins du corps. Le domaine de ces activités, ou leur produit final, pourra être un objet concret venant en aide au corps, ou le compléter, tandis qu’à d’autres occasions, c’est le corps qui est révélé par l’activité, ou devient le site même de cette activité. Le titre de la série fait référence à la vérité scientifique fondamentale selon laquelle tout doit en définitive péricliter et mourir. Ici, “obstructions” désigne la somme des activités humaines mobilisées dans la lutte contre l’inévitable processus d’anéantissement — aboutissant à la mort —, pour le ralentir, le retarder ou l’ignorer provisoirement*. »

Avec la série Resistance, l’artiste se focalise sur le corps humain dans le contexte contemporain du progrès. Ces vidéos, d’une durée allant de 3 à 8 minutes, sont un peu plus courtes que celles de la série Obstructions. L’installation vidéo réalisée par Ali Kazma pour le pavillon turc de la 55e Biennale de Venise (2013) comportait la projection simultanée de treize oeuvres issues de cette série, soulignant l’utilisation de l’espace d’exposition comme l’un des éléments essentiels de l’oeuvre :

« La série Resistance est née de celle des Obstructions. Avec ce projet élaboré pour le pavillon turc de la 55e Biennale de Venise (2013), Kazma explore les processus qui à la fois construisent et contrôlent le corps, les efforts considérables déployés pour déchiffrer les codes sociaux, culturels, physiques et génétiques du corps humain en vue de le rendre parfait, et les activités au cours desquelles le corps devient ou est transformé en un vecteur de nouveaux symboles et significations*. »

De Safe (2015) – la Réserve mondiale de semences qui abrite la plus vaste collection de graines reflétant la diversité des cultures dans le monde, aménagée dans une île de l’archipel du Svalbard, au nord de la Norvège, et conçue pour les préserver de l’extinction – à Mine (2017) – une mine de salpêtre abandonnée du désert d’Atacama, au Chili –, de Taxidermist (2010) – vidéo détaillant le nettoyage, les traitements conservateurs de la peau d’animaux morts et leur empaillage – à Tattoo (2013) – décrivant les compositions complexes qui couvrent la peau d’un jeune homme se faisant entièrement tatouer le corps –, de Brain Surgeon (2006) – opération à cerveau ouvert d’une patiente souffrant de la maladie de Parkinson – à Anatomy (2013) – une leçon d’anatomie pratiquée sur un cadavre, à laquelle assiste un groupe d’étudiants en médecine –, Ali Kazma élabore une véritable cartographie en mouvement de l'activité humaine.

L’intérêt de l’artiste pour des sites qui témoignent plus particulièrement de l’histoire de l’homme s’exprime dans des oeuvres comme Absence (2011) et Safe (2015), ainsi que dans ses deux films les plus récents, réalisés spécialement pour l’exposition du Jeu de Paume. Intitulés Mine et North, ils figurent des lieux hostiles, très impressionnants et associés à des situations politiques complexes, qui ont été exploités par l’homme avant d’être délaissés. Mine a été tourné dans l’ancienne mine de salpêtre de Chacabuco, bourgade minière abandonnée, située dans le désert d’Atacama, au Chili. La mine ferma ses portes à la fin des années 1930 puis fut transformée par le régime de Pinochet, au début des années 1970, en camp de concentration où furent internés ouvriers, avocats, artistes et écrivains. La vidéo décrit un paysage désormais inhabité. Contrastant avec Mine, North montre la mine de charbon de Pyramiden, sur l’île de Spitzberg, dans l’archipel du Svalbard, à mi-chemin entre la Norvège et le pôle Nord. Cette mine, elle aussi abandonnée, représente d’une certaine manière l’histoire politique complexe de la région, marquée par la culture soviétique pendant plus de cinquante ans (de 1936 à 1991).

Choisissant ses sujets en fonction de leur potentiel historique, social, esthétique et politique, Ali Kazma produit des oeuvres brèves et concises, d’où sont absents à la fois l’artifice technique et l’intrigue. Les actions et les lieux sur lesquels il choisit de travailler sont retransmis au spectateur par l’intermédiaire de la vidéo. Par leur rythme soutenu et leurs nombreux plans de détail, ses films captent l’attention et communiquent leur sujet de la manière la plus directe. Certains abondent en informations sur des sujets spécifiques — dissection anatomique, fouilles archéologiques ou base de l’OTAN transformée en musée militaire —, d’autres peuvent être considérés comme autant de documents de référence soulignant la nécessité de montrer comment évolue la société dans un contexte historique. Il arrive également que le cadrage et le montage des scènes produisent dans certaines oeuvres des images proches de l’abstraction (comme par exemple Tea Time, 2017), dans lesquelles les formes peuvent être interprétées sur un plan métaphorique.


* Emre Baykal, « Tracing Time », in Ali Kazma: Timemaker, cat. d’exposition, Istanbul, ARTER, 2015