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“La Folie en tête” aux racines de l'art brut
à la Maison Victor Hugo, Paris

du 16 novembre 2017 au 18 mars 2018



www.maisonsvictorhugo.paris.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, vernissage presse, le 15 novembre 2017.

2292_Folie-en-tete2292_Folie-en-tete2292_Folie-en-teteLégendes de gauche à droite :
1/  « 200 » [Billet de banque]. Encre sur papier. © Prinzhorn Collection, University Hospital, Heidelberg.
2/  Klett Auguts [Klotz], IIIe Feuille : La république des coqs dans le soleil a donné dîner et danse sans déguisement. Crayon, aquarelle, craie sur papier. © Prinzhorn Collection, University Hospital, Heidelberg.
3/  Else Blankenhorn, sans titre, [Couchée avec aura]. © Prinzhorn Collection, University Hospital, Heidelberg.

 


2292_Folie-en-tete audio
Interview de Barbara Safarova, co-commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 15 novembre 2017, durée 10'01". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Quatre institutions psychiatriques, de la campagne écossaise aux alpages suisses, ont suivi des chemins parallèles. Les 4 collections d'œuvres des pensionnaires de ces hôpitaux sont le résultat de ces destins extraordinaires. Un parcours d'avant-garde ayant métamorphosé des médecins en collectionneurs, des psychiatres en commissaires d'exposition. Les dessins exposés sont bavards, animés de vibrantes discussions, ils sont agrémentés de textes sortant des bouches, partant à l'assaut de la page pour en remplir tout l'espace. A ce confessionnal chaotique et incandescent succèdent les Paters et Aves d'une psalmodie de listes, comptes, calendriers, recettes de cuisine. D'un collage Dada sur papier quadrillé d'écolier à un avion biplan en enveloppe kraft et fragments de journaux, les patients de ces institutions, dont certains avaient une formation d'artisans, deviennent sans le savoir des artistes. Tels des Monsieurs Jourdains, ils inventent avec leurs psychiatres l'art-thérapie avec cette saveur particulière de liberté dont seuls les autodidactes sont capables.

William Bartolomew témoigne d'un XIXéme siècle moderne, en pleine accelération. Gentlemens et dames élégantes, habilement croqués au crayon et à la plume se voient superposés de messages d'affiches, d'enseignes, de réclames. Un autre pensionnaire signe d'étonnantes aquarelles miniatures au format de timbres-postes. Des hommes discutant, jouant aux échecs, une femme à la plage composent un album de famille paisible et heureux. Ailleurs nous trouvons une collection d'outils, des maisons avec leurs objets ménagers, des vaches et animaux des alpages. Des billets de banque à l'encre de stylo bleue, d'un pays peuplé de femmes alanguies comme des anges sous des soleils explosant en taches rappellent par leurs dénominations de millions et de milliards l'effondrement d'un monde. Contre les secousses sismiques fissurant l'univers, tant intérieur qu'extérieur, la vaisselle de fil de coton crocheté d'Hedwig Wilms est une tentative de structurer l'espace, d'organiser le quotidien dans de coquets rituels.

Le voyage intérieur est une forme d'évasion, les paysages de William Bannerman peuplés de jeunes filles semblent tirés d'un livre d'images doux et enfantin. Toutefois, à l'image des canards emboîtés de Emma Marti, l'inconscient est un tiroir à double fond, réservant bien des surprises. Les jeunes femmes naïves de Oskar Büttikofer se coiffent, ont l'air de s'adonner à des activités innocentes, à de tendres discussions, mais elles ont un pouvoir de provocation que le léger tracé de crayon ne parvient pas à masquer.

Un chaos de traits de plume dessine une carte, un plan de ville, un bocage d'où émergent des personnages dissimulés. Une géométrie tracée à la règle détaille les éléments de machines compliquées, le codex d'une invention révolutionnaire et mystique. Les plans et diagrammes d'un bateau à moteur ou d'un bâtiment semblent hésiter entre l'invention par un génial bricoleur d'une machine fantastique et le projet d'évasion d'une forteresse carcérale. L'ailleurs du prisonnier de l'institution est un océan de vagues de couleurs dégradées, il ressemble à des tatouages exotiques ramenés par des marins. Ce pays lointain est un paysage à l'envers, des oiseaux et des fleurs, des compositions ésotériques comme des cartes de tarot.

Il est agréable pour une fois de ne pas devoir tenter de comprendre mais d'accepter. Plonger dans ces collections comme dans une terre inconnue ne figurant sur aucune carte demande de s'y abandonner comme l'ont fait ces médecins en laissant derrière eux les conceptions de leur temps. Après l'art qui vaut des millions de la FIAC voici l'art qui ne vaut rien, qui ne prétend à rien, l'art anonyme des parias. Il y a dans ces dessins une énergie punk, tonitruante, dissonante, un cri devenu trop rare aujourd'hui, et pourtant si nécessaire.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Gérard Audinet, directeur des Maisons de Victor Hugo Paris/Guernesey
Barbara Safarova, présidente de l’association abcd, directrice du programme au Collège International de Philosophie




A l'instar d'Entrée des médiums, en 2012, La Folie en tête propose d’explorer la constitution d’un nouveau territoire de l’art en s’ancrant dans la vie de Victor Hugo, douloureusement frappé par la maladie mentale de son frère Eugène et de sa fille Adèle. Il s’agit de suivre l’évolution du regard porté sur la folie au XIXe siècle, avec l’attention soutenue des aliénistes pour la production de leurs malades.

Entre les Lumières et le Romantisme germe un nouveau regard sur la maladie mentale. Au cours du XIXe siècle, les oeuvres des internés vont retenir l’attention des psychiatres qui les suscitent parfois à des fins « d’art-thérapie ». Ceux-ci deviennent les premiers collectionneurs. Leur souci de diagnostic et d’étude s’ouvrent peu à peu sur la conscience d’être face à un art véritable.

La folie devient l’emblème de ce romantisme que Charles Nodier qualifie de « frénétique ». Nodier écrit sur les « fous littéraires », mais surtout donne à la folie une place éminente dans son oeuvre : La Fée aux miettes se présente comme le récit d’un lunatique de l’asile d’Édimbourg. La folie est volontiers l’explication rationnelle de l’irrationnel auquel le siècle ne croit plus. Ainsi, dans Inès de Las Sierras, l’apparition d'un spectre se révèle n’être que celle d’une folle que la pratique de son art – le chant – va guérir. Nodier fait ici entrer le visiteur de plain-pied dans le « traitement moral » et « l’art thérapie » avant la lettre.

Plusieurs psychiatres collectionnent les oeuvres de leurs patients, certains pour des raisons scientifiques ou thérapeutiques, d’autres pour le simple plaisir de collectionner. Poussés par des efforts humanistes – ouverture des hôpitaux, traitement plus « humain » des malades mentaux –, ces premiers psychiatres-collectionneurs ont tenté de circonscrire un nouveau champ de recherche esthétique.




Aux racines de l’art brut
La « découverte » des productions des malades mentaux après la Première Guerre mondiale et l’« invention » de l’art brut par Jean Dubuffet après la seconde témoignent d’un fervent intérêt. Nombreux sont les artistes qui se sont intéressés, parfois passionnés pour les œuvres des collections Prinzhorn et Morgenthaler. On pourrait citer Paul Klee, Max Ernst – qui avait un projet d’ouvrage sur l’art des malades mentaux –, Salvador Dalí, Hans Bellmer enthousiasmé par les sculptures en bois de Johann Karl Genzel, Jean Tinguely par les dessins de Heinrich Anton Müller, ou encore Georg Baselitz, Walter Stöhrer, Jiri Georg Dokoupil, Arnulf Rainer, ou Richard Lindner à l’égard des travaux de Josef Schneller. Les oeuvres provenant des hôpitaux psychiatriques sont redécouvertes sous l’impulsion de Harald Szeemann, qui présente en 1963 les réalisations d’Adolf Wölfli et de H. A. Muüller au Kunstmuseum de Berne ainsi qu’à Bâle. Jean Dubuffet les a définitivement placées hors de l’hôpital en les intégrant dans le fonds de la Compagnie de l’art brut.




Parcours de l’exposition :
Le parcours de visite, organisé de façon chronologique à travers quatre grandes collections européennes, met en lumière près de 200 oeuvres parmi les plus anciennes et peu ou pas vues en France. Clandestines, fragiles, faites sur les murs de l’asile ou sur des matériaux de hasard récupérés en cachette, dessins ou peintures, broderies ou objets. Chacune de ces oeuvres nous ouvre un univers et nous plonge aux racines de l’art brut. Les contraintes d’espace ont conduit au choix de quatre collections, significatives, voire emblématiques, réparties géographiquement et chronologiquement : celles du docteur Browne, du docteur Maire, de Walter Morgenthaler et la collection Prinzhorn. Refusant l’imagerie de la folie et sa mise en spectacle des troubles mentaux, l’exposition s'ouvre sur l'évocation de Eugène, frère de Victor Hugo et de sa propre fille Adèle tous deux atteints de troubles psychiatriques, entend ne montrer que l’oeuvre des malades et leur rendre hommage, en tant qu’artistes, comme à leurs thérapeutes.