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“À l’aube du japonisme” Premiers contacts entre la France et le Japon au XIXe siècle
à la Maison de la culture du Japon, Paris

du 22 novembre 2017 au 20 janvier 2018



www.mcjp.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse le 20 novembre 2017.

2294_Aube-Japonisme2294_Aube-Japonisme2294_Aube-JaponismeLégendes de gauche à droite :
1/  Attribué à Katsushika Taito II, Le bac sous la neige, non signé, vers 1823-1826. Lavis de couleur et encre sur papier japonais. BnF, département des Manuscrits. © Bibliothèque nationale de France.
2/  Photographie de Jacques-Philippe Potteau, Okkotsu Wataru, 1864. © musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais / image musée du quai Branly - Jacques Chirac.
3/  Attribué à Kawahara Keiga, Comptoir hollandais de Deshima à Nagasaki, avant 1842. Gouache et aquarelle sur papier vélin, Inv.15.0A 27. © Musée national de la Marine/P. Dantec.

 


2294_Aube-Japonisme audio
Interview de Geneviève Lacambre, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 20 novembre 2017, durée 10'05". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Ce sont les objets plus que les témoignages qui décrivent le mieux un pays lointain et mystérieux. Ils ont voyagé dans les bagages de diplomates et d'officiers de marine, parvenant en France presque comme de la contrebande. Certains de ces petits fragments de l'ailleurs, si ils semblent extraordinaires dans leurs vitrines d'exposition, ont pourtant été achetés dans la boutique d'un bazar. Un nécessaire à pique-nique en bois laqué rouge décoré de motifs floraux témoigne avec élégance de coutumes simples, comme de se rassembler en famille sous les cerisiers en fleurs.

Une jatte à couvercle en forme de chrysanthème du début du XIXéme siècle a traversé le temps, son design aurait été parfaitement à la mode dans les années 70. Elle fait partie d'une série d'objets, théières, tableaux, sculpture de tortue, ayant été acquis au Bazar Bonne Nouvelle, manifestant des relations commerciales avec le Japon autant que de l'intérêt porté à cette culture alors exotique.

Des maquettes de maison traditionnelles, un modèle de palanquin, des plans de quartiers avec leurs rues et bâtiments permettent d'étudier de plus près la physionomie d'un pays, d'en analyser le fonctionnement. De même, une série de photographies immortalise ambassadeurs, officiers, traducteurs et secrétaires. Ces acteurs de la rencontre entre la France et le Japon sont figés dans des poses graves, rigides et droits dans leurs kimonos épais, le sabre fièrement en main. Sous l'habit traditionnel on peut distinguer ici et là un col de chemise, une cravate, petits éléments d'une curiosité partagée, d'une porosité culturelle naissante.

Pour se plonger dans la culture du japon, dans l'existence de son peuple, une série d'estampes dont certaines attribuées à Hokusai en décrit la vie quotidienne. Des pêcheurs sous la pluie, une scène de rue, des voyageurs et pèlerins affrontant la neige sont, avant d'être des œuvres graphiques d'exception, les archives d'une époque. Des peintres peignant une lanterne pour une fête, des artisans travaillant la laque ou teignant des tissus, des paysans déchargeant de pastèques ou des pêcheuses d'abalones dévoilent, avec quelques pointes d'humour finement dispersées, les spécificités d'une culture. Les personnages sont animés d'un mouvement entre contorsion grossière et danse pleine de grâce. Le monde semble être ainsi une scène de théâtre où l'ironie succède à un réalisme lucide. Les différentes castes sociales, paysan, artisan, marchand, portent chacune les qualités de sa position, mais l'œil du peintre réussit à saisir les caractères, leur donner vie, les habillant de caricature.

Sur des albums colorés, les samouraïs aux visages coléreux s'affrontent. Les couleurs saturées, les cadrages en font un roman pulp avant l'heure. Ces illustrations reprennent les classiques de la littératures japonaise, des épopées chevaleresques peuplées de héros, de traitres, de belles dames. Un autre aspect de la culture japonaise traverse les océans pour frapper nos imaginaires. La fiction, le folklore, se partagent plus facilement, marquent les esprits tout en en disant beaucoup sur le peuple d'où ils viennent. Comme les pavillons des expositions universelles ou les gravures illustrant les récits de voyageurs, tout finit en fiction. Le pays lointain est mis en scène, l'étonnement devant son étrangeté devient un récit à part entière, la rencontre avec l'homme de là-bas une aventure pleine de périls, un conte à faire frissonner.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire de l’exposition : Geneviève Lacambre, conservateur général honoraire du patrimoine



Pour son 20e anniversaire, la Maison de la culture du Japon à Paris évoquera les premiers rapports du Japon avec la France au XIXe siècle à l’aube du japonisme à travers de nombreuses pièces : modèles de maisons japonaises, objets en laque, nacre ou céramique, livres, peintures et estampes. Cette exposition présente aussi les ambassades japonaises sous le Second Empire et l’époque où les artistes français découvrent avec admiration le chatoiement des kimonos, les vives couleurs des estampes des années 1840-1865 et le naturalisme des livres illustrés de Hokusai et ses contemporains.

À l’époque des shoguns Tokugawa installés à Edo, ancien nom de Tokyo, le commerce se faisait par l’intermédiaire des Hollandais et des Chinois depuis leurs comptoirs de Nagasaki. Lors de leur retour en Europe, les responsables du comptoir hollandais rapportaient des collections japonaises, tandis que les Français qui se rendaient en Chine pouvaient y acquérir des objets japonais. Le Japon fermé était moins coupé du monde qu’on ne l’imaginait et connaissait déjà diverses choses de la France, notamment les événements de la Révolution et de l’Empire.

Après la signature du traité de commerce et d’amitié entre le Japon et la France en 1858, le commerce s’intensifia. Le Japon participa officiellement pour la première fois à une Exposition universelle, celle de 1867 à Paris, à l’occasion de laquelle le jeune prince Akitake Tokugawa visita la France, à la veille de la chute du régime shogunal et de l’instauration de Meiji qui transforma radicalement le Japon.

L’exposition se propose de montrer des objets – souvent inédits – conservés en France, qui illustrent la connaissance que les Japonais avaient des Français : des médaillons en laque noir et or d’après des gravures transmises par les Hollandais, mais aussi des peintures de Hokusai offertes à la Bibliothèque nationale de France par le fils du capitaine du comptoir de Deshima, Sturler, qui quitta le Japon en 1826. Un large choix en sera présenté pour la première fois à Paris montrant la familiarité de Hokusai avec la perspective occidentale.

Des objets japonais, laques, céramiques, maquettes de maisons, qui étaient en vente à Paris dès 1840, seront également présentés, de même que des pièces japonaises collectées par les membres de la mission française lors de la signature du traité de 1844 avec la Chine, et qu’une remarquable vue de Deshima, en laque et nacre, offerte au musée de la Marine par Delprat, le premier Français travaillant pour les Hollandais au Japon entre 1845 et 1849.

La collection du baron de Chassiron, membre de l’ambassade française au Japon de 1858, les photographies faites à Paris des membres des ambassades japonaises de 1862 et 1864, des porcelaines, des albums d’estampes, des livres illustrés présentés à l’Exposition universelle de 1867 montreront comment, en peu d’années, s’installe un réel engouement pour l’art japonais qui prend bientôt le nom de japonisme.






Un parcours chronologique en trois temps


Avant 1858

Objets commandés au Japon par les Hollandais

Après un « siècle chrétien » qui suit l’arrivée des premiers Portugais en 1543, le Japon persécute les convertis et chasse les missionnaires. Seuls les Hollandais, protestants, peuvent continuer à commercer avec le Japon en étant toutefois contraints de s’installer en 1641 à Deshima, un îlot artificiel construit dans la baie de Nagasaki. C’est par cet intermédiaire que les nouvelles du monde parviennent au Japon. Dans les dernières années du XVIIIe siècle, les Hollandais effectuent leurs premières commandes auprès des artisans japonais de petits objets (panneaux de cuivre laqué d’or, médaillons...) réalisés d’après des gravures européennes. On y retrouve alors des représentations d’empereurs romains, ou encore de célébrités du monde occidental. De rares amateurs français en collectionnent alors.

Objets japonais arrivés en France par l’intermédiaire de la Chine
Les Chinois installés dès la fin du XVIIe siècle non loin de Deshima sont les intermédiaires entre Nagasaki et la Chine. Ils exportent alors des objets japonais tant pour le marché chinois que pour les Européens. A Paris, de 1840 à 1842, le Bazar Bonne-Nouvelle présente une première exposition d’objets asiatiques qui est un véritable évènement. Parmi les nombreuses pièces exposées, des objets japonais sont achetés par le musée de la Marine, pour enrichir ses collections ethnographiques, et la manufacture de Sèvres, intéressée par l’étude des techniques de la céramique. D’autres objets japonais présentés dans cette section proviennent de la mission Lagrené (à l’origine du traité de Whampoa ouvrant cinq ports chinois aux Français), de la collection d’un jésuite, et de celle de Charles de Montigny, consul à Shanghai et Ningpo.

OEuvres arrivées par l’intermédiaire du comptoir hollandais de Deshima
Johan Willem de Sturler fut le responsable du comptoir de Deshima de 1823 à 1826. En 1826 il acquiert une série de peintures de Hokusai et son atelier, qui entre en 1855 au département des Manuscrits de la Bibliothèque impériale (actuelle BnF). L’année suivante, le Français J.-C. Delprat, offre au musée de la Marine un panneau exceptionnel en laque et nacre représentant une vue du comptoir de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales avant l’incendie qui le ravagea en 1798.



Après 1858

Objets et livres rapportés du Japon par des Français

Sous la menace des navires américains du commodore Perry en 1853 et 1854, le Japon est contraint d’ouvrir les ports de Nagasaki, Shimoda et Hakodate aux navires occidentaux et signe en 1858 des traités de paix, d’amitié et de commerce avec cinq pays, dont la France. Le baron de Chassiron, membre de l’ambassade française qui négocie le traité d’Edo, rapporte un nombre important de laques, livres et objets variés qui seront par la suite légués à la ville de La Rochelle. Tous ces objets sont faits pour le marché japonais et diffèrent de ce que l’on pouvait jusqu’alors rapporter de Chine. Après le sac du Palais d’été de Pékin en 1860, des officiers français passent par le Japon et achètent dans le nouveau port de Yokohama, ville ouverte depuis peu aux étrangers, des objets luxueux qui apparaissent bientôt à Paris dans des ventes publiques.

Les ambassades japonaises sous le Second Empire
En 1862, quatre ans après la signature du traité d’amitié et de commerce entre la France et le Japon, une ambassade japonaise prend le chemin de l’Europe. Ses membres ont pour but de retarder jusqu’en 1868 l’ouverture des villes d’Edo et d’Osaka ainsi que de nouveaux ports aux étrangers. Le Japon n’étant pas encore prêt à ce changement radical. Pendant leur séjour de près d’une année, ils étudient également la civilisation occidentale. À Paris, Nadar multiplie les photographies de ces Japonais qui sont reproduites dans la presse, tandis que Potteau mène une campagne systématique de portraits de face et de profil pour le Muséum national d'histoire naturelle. Un climat de guerre civile s’installe au Japon, divisant le pays en partisans de l’ouverture à l’Ouest et ceux qui veulent expulser les « barbares » craignant pour l’intégrité de la civilisation japonaise. Ainsi, en 1864, la deuxième ambassade japonaise en France est hostile aux étrangers et décidée à obtenir la fermeture du port de Yokohama, ce qu’elle n’obtient pas. Elle attire, comme la première, l’attention des photographes, fascinés par le costume traditionnel porté par ses membres.

Le Japon vu par Aimé Humbert
Aimé Humbert séjourne à Edo de 1863 à 1864 afin d’obtenir la signature du traité d’amitié et de commerce entre le Japon et la Suisse. Il amasse alors une importante documentation qui servira à illustrer, à partir de 1866, ses articles sur le Japon dans la revue française Le Tour du monde.



L’Exposition universelle de 1867

En 1867 le Japon participe officiellement à sa première Exposition universelle ; tenue à Paris elle va considérablement enrichir la connaissance de l’art japonais auprès des Européens et séduire les visiteurs. Les pièces présentées y sont d’une grande diversité : armures, textiles, céramiques, estampes, livres, objets d’artisanat… Aux côtés d’oeuvres commandées à des artistes et artisans, figurent quelques objets anciens. Dans cette exposition, le Japon trouve l’occasion de montrer la qualité de ses créations dans divers domaines comme en témoignent les nombreux prix qui lui sont attribués. Cette expérience va donner une impulsion encore plus forte à la politique de modernisation du Japon dans les décennies qui suivent et marquer sur le plan artistique les prémices du japonisme. A l’occasion de l’Exposition universelle, le prince Akitake Tokugawa, âgé d’à peine 14 ans, visite la France, à la veille de la restauration de Meiji qui va poursuivre la modernisation du Japon.






Les premiers collectionneurs à l’origine du japonisme en Europe

Le Hollandais Johan Willem de Sturler (1774-1855) arrive en 1823 à Deshima où il sera le chef de la factorerie durant trois ans. Aux côtés, notamment, du médecin allemand Philipp Franz von Siebold, il se rend à Edo en 1826 pour la visite réglementaire au shogun qui a lieu tous les quatre ans. Il y acquiert une série d’une vingtaine de peintures de Hokusai et son atelier, qu’il emporte avec lui lorsqu’il quitte le Japon pour Batavia en août 1826.

En 1855, son fils offre à la Bibliothèque impériale de Paris (actuelle BnF) la collection de peintures, d’estampes et de livres de son père, qui est classée au département des Manuscrits.

A la différence du fonds Siebold, aucun inventaire de la collection Sturler n’a été retrouvé.

Paul Ginier fait plusieurs voyages « à la Chine et dans la mer des Indes » et constitue une importante collection d’objets de Chine et du Japon. Il présente son Musée chinois et japonais à Marseille en 1839 avant de le vendre à MM. Deschaux et Cie qui l’expose au Bazar Bonne-Nouvelle, à Paris, de 1840 à 1842. Avec environ 860 objets japonais, soit près d’un quart des pièces exposées, à côté d’objets de Chine et de diverses contrées de l’Asie du Sud-Est, cette exposition est un véritable évènement pour un premier aperçu de la civilisation japonaise. Le musée de la manufacture de Sèvres, intéressé par l’étude encyclopédique des techniques de la céramique, y achète des pièces variées. Le musée de la Marine au Louvre enrichit ses collections ethnographiques des pays lointains en y acquérant une centaine de pièces des différents pays d’Asie orientale.

Le baron Charles de Chassiron (1818-1871) est membre de la mission diplomatique française en Extrême-Orient, dirigée par le baron Gros, qui quitte la France en mai 1857 et séjourne en Chine avant d’aller au Japon. Le journal qu’il tient durant son voyage, Notes sur le Japon, la Chine et l’Inde, 1858–1859–1860, est publié en 1861. C’est sans doute au bazar de Shimoda, bourgade au sud-ouest d’Edo où la mission française doit attendre quelques jours en septembre 1858, qu’il acquiert les laques de sa collection. À Edo, il se procure des livres – dont plusieurs de Hokusai, des ivoires, des céramiques, des objets en métal... Tous ces objets sont faits pour le marché japonais et diffèrent de ce que l’on pouvait jusqu’alors rapporter de Chine. Ce qu’il va rapporter de ce voyage est toujours conservé à La Rochelle.