contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Duographie” Maurice Blaussyld / Samuel Richardot
à la Fondation d'entreprise Ricard, Paris

du 28 novembre 2017 au 13 janvier 2018



www.fondation-entreprise-ricard.com

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition, le 27 novembre 2017.

2296_Duographie2296_Duographie2296_DuographieLégendes de gauche à droite :
1/  Samuel Richardot, Ascona, 2014. Courtesy de l’artiste.
2/  Maurice Blaussyld, Sans titre (détail) 2016. Courtesy de l’artiste et de la galerie Allen, Paris.
3/  Samuel Richardot, Mojave, 2016. Courtesy de l’artiste.

 


2296_Duographie audio
Interview de Anne Bonnin, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 27 novembre 2017, durée 19'38". © FranceFineArt.

 


texte de Mireille Besnard, rédactrice pour FranceFineArt.

 

En convoquant le silence pour aborder le travail de Maurice Blaussyld et de Samuel Richardot, Anne Bonnin, commissaire de l’exposition Duographie, nous précipite dans un espace sonore potentiel. Pourtant, avec les images crues d’autopsie et les écritures torrentielles de Maurice Blaussyld, le silence apparait surtout comme l’évacuation d’un trop-plein, d’une parole ininterrompue, « un cri », disent l’artiste et la commissaire. Ce trop-plein ici est dissimulé dans une quasi-absence de formes ou dans la pauvreté de celles-ci, simples, brutes. Parfois recouvertes de peinture noire, obstruées par le papier millimétré, ces formes et ces objets sonores aphonisés, visent plus que le silence, la non-vision, l’absence de représentation ou tout du moins sa mise à distance. Une mise à distance qui parait ici vitale pour envisager, accepter, apprivoiser la présence obsessionnelle d’images violentes.

Parallèlement, Samuel Richardot cherche dans ses agencements picturaux une planéité parfaite, une surface absolue, absolument lisse, sans aspérité, sans histoire, une surface neutre, souvent blanche. Les agencements contiennent l’énigme du jeu des formes et des couleurs. Réduites à une expressions minimales, elles apparaissent, transparaissent dans le blanc ou dans des fonds indistincts. Sans référent autre que celui du titre de l’œuvre, formes et couleurs agissent dans une mobilité provoquée par des répétitions, des basculements et des décalages. Sans en comprendre le sens, notre œil est en mouvement. L’espace cérébral stimulé par ces interrogations formelles, est à l’écoute, comme sur le « seuil », en « ouverture », suggère Anne Bonnin.

Ainsi, peut-être, le silence serait un bruit indistinct, apparemment sans signification. Il dirait pourtant des choses qui agissent en sourdine, au-delà du supposé mutisme. Alors, Maurice Blaussyld, Samuel Richardot apporteraient des dispositifs, des agencements qui feraient réceptacle et permettraient d’écouter le bruit du silence.

Mireille Besnard

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissaire de l’exposition : Anne Bonnin



Maurice Blaussyld et Samuel Richardot sont deux artistes a priori si différents qu’on ne saisit pas ce qui les réunit. Disons-le d’emblée, tous deux ont un rapport au silence. Celui du premier est hiératique, celui du second est coloré. Lorsque la Fondation d’entreprise Ricard m’a proposé de les réunir dans une exposition, j’ai imaginé cette Duographie comme la rencontre contrastée de deux silences dont la cohabitation semble inattendue. Si celle-ci n’est évidemment pas le fait du hasard, elle tient aussi à ces sortes de coïncidences qui sont révélatrices : comme je passais du temps avec chacun d’eux de façon concomitante, des connexions se sont faites, dessinant la possibilité d’une duographie.

« Le silence n’existe pas. Il se passe toujours quelque
chose qui produit un son.
Nul ne peut avoir d’idée
une fois qu’il se met à écouter véritablement.
C’est très simple mais extra-urgent ».*

Le silence est toujours silence de quelque chose, et renvoie donc à une expérience toujours unique.

Formes épurées, tonalités neutres de gris, noir et blanc : les œuvres de Blaussyld (installations, sculptures, dessins) dénotent une économique esthétique maigre et itérative, l’artiste travaillant en outre un corpus restreint d’œuvres, depuis 30 ans. Elles s’imposent par leur mutisme. La « Peinture Noire », originellement inspirée d’une enceinte acoustique désossée, est en réalité un volume dont le dos est ouvert. Avec ses deux trous, elle s’offre comme une béance : sa forme en A n’étant pas étrangère au langage. Elle compose aussi une face grotesque, qui évoque un totem, un masque, ou encore un cri muet, comme celui de Munch. Or, « Peinture Noire » n’est pas son titre, mais un nom, c’est ainsi que l’artiste l’appelle couramment. Cette désignation, qui crée un flottement, participe de l’œuvre et de son fonctionnement paradoxal : sculpture et peinture à la fois, ou plutôt ni l’une ni l’autre. Ce nom l’affilie en effet à la peinture suprématiste de Kazimir Malevitch, en quête d’une réalité pure et d’un monde sans objet. « Peinture Noire » est ainsi apparition et éclipse d’un objet.

L’artiste conçoit en effet ses œuvres comme des apparitions reproduites lors de chaque exposition. Chaque apparition est donc unique, l’idée coïncidant avec sa réalisation : cette pratique semble pour le moins platonicienne. Blaussyld définit en effet son art comme une ontologie tandis que son vocabulaire est celui d’une mystique, néanmoins sans dieu : « vision », « apparition », « être », « un ».

On comprend progressivement que ces mots qui énoncent une visée – a vision – sont en même temps les instruments avec lesquels l’artiste façonne ses œuvres. La parole fait ainsi partie de l’œuvre qui en est l’émanation.  Cette extrême cohérence peut fasciner ou laisser indifférent – c’est tout un avec cet art hiératique – elle autonomise une œuvre qui révèle sa complexité si on l’approche car elle ne se donne pas au premier regard.

L’art de Blaussyld est clairement énigmatique. Il est en effet travaillé par une contradiction irrésolue, laissée en suspens : une dialectique impossible selon laquelle « le positif s’obtient toujours par la présence du négatif, mais qui nie cela même qui s’affirme » (Emmanuel Levinas). Il y a du Blanchot chez Blaussyld qui partage avec l’écrivain non seulement des initiales et un prénom, mais une obsession pour le silence et la mort. L’artiste expliquait à Bernard Lamarche-Vadel que son « art a une relation à la mort ». Une violence sourde se dégage de cet art tendu vers un point d’intensité contradictoire dans lequel on reconnaît aussi la violence du neutre barthésien.

L’installation « 1' sentiment de la distance » est un dispositif de vision : véritable autopsie de l’acte de voir. Une boîte blanche, de 24 m2, disproportionnée dans les espaces de la Fondation, impose sa présence massive. Une paroi de verre couverte d’un large papier millimétré laissant deux bandes de jour latérales permet de voir l’intérieur. Au sol, à gauche, un gros magnétophone et, face à la paroi, l’image, petite, en noir et blanc d’une autopsie. Cet agencement pour le moins glaçant évoque un dispositif de torture kafkaïen. Or, il produit de façon inattendue une impression tactile : on voit, on sent une absence envahir ces 24 m2, le silence se faire chair, telle une épiphanie négative.

L’art de Richardot nous emmène vers un tout autre horizon de silence auquel les grands fonds blancs de ses peintures renvoient. Celles-ci se caractérisent par une composition éclatée : le silence est parsemé d’apparitions fragmentaires, palpitantes. Des figures flottent et se détachent dans un espace indéfini, sans profondeur, neutre ; leur répartition éparse semble aléatoire. Ainsi, dans « Palladium », se côtoient un grand zigzag bleu-rouge-noir-jaune, deux petits nuages blanchâtres, des traits réguliers polychromes et un bandeau de rayures : toutes ces figures révèlent des arrière-pays de couleurs, sous l’écran blanc… Les fonds ne sont seulement pas des fonds, ils participent d’une économie picturale mouvante et métamorphique. Récurrents d’un tableau à l’autre, les motifs colorés et graphiques composent un vocabulaire, comme une grande famille d’individus tous différents – rayures, zébrures, losanges arlequinés, marbrures, ronds, lignes droites, bouclées ou erratiques. Maigre et sans matière, la peinture de Richardot, qui affirme sa condition de surface, est plate comme une image, jouant aussi des effets illusionnistes. Parcellaires, les motifs esquissent et esquivent des ressemblances : ils sont ainsi singulièrement familiers, suggérant la fulgurance du souvenir, une mémoire de l’oubli ou l’abandon à ce qui vient.

L’art chromatique et graphique de Richardot est éclatant et gai… dynamique… bondissant, il touche une mémoire sensible, réveille des souvenirs de peinture, de textures ou de moments joyeux. Il vient chercher le regard ; car ses figures, quoiqu’indéfinies, sont précises avec leurs contours nets, leurs coloris francs et leurs détails qui trompent parfois l’œil.

Les coloris s’affrontent, parfois brutalement, se superposent ou fusionnent. La géométrie est contrariée, fracturée et hybride, emportée par une liberté du trait. La peinture de Richardot, avec ses aplats colorés, évoque bien sûr Matisse et les cartoons, mais on y rencontre aussi des morceaux d’Odilon Redon, de Morris Louis, dans certaines toiles imprégnées d’écoulements polychromes all-over. On reconnaît aussi un peu de Seurat dans les lumières et les éclats d’ambiances de cirque, de jeu, de loisirs balnéaires, ou de Picabia dans l’esquisse d’un ballon, mais aussi du Gerhard Richter… Or, ces réminiscences, trop elliptiques pour être des citations, sont surtout le fait d’un regard mis en action par une peinture qui joue avec elle-même, c’est-à-dire avec l’illusion, l’artifice, la représentation, et donc avec ses regardeuses et regardeurs.

La peinture de Richardot est le théâtre d’un jeu d’improvisation qui nous ramène aussi au présent. Les tableaux sont en effet bousculés par leurs titres qui renvoient à des situations concrètes et hétérotopiques d’autocréation collective : « Football, Barbecue, Palladium, Bidonville ».

La rencontre des deux artistes est pour le moins stimulante, deux silences communiquent : l’un, métaphysique, opère à distance et lentement ; l’autre, plus spontané, associe l’instant présent et une mémoire esthétique. Quoique très différents, ils se retrouvent néanmoins dans un art non représentatif, suggestif bien qu’incisif, un art du seuil qui fait place au silence, à une diversité de silences… Car, faire silence est « extra-urgent ».


*John Cage, Silence : Discours et Écrits, 2004, pag. 147, édition Denoël (première parution en 1970).