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“Christelle Cantereau” Point de rencontre, deux points ouvrez les guillemets
à la galerie Françoise Besson, Lyon

du 15 décembre 2017 au 24 février 2018



www.francoisebesson.com

www.christellecantereau-actu.com

 

2303_Christelle-Cantereau2303_Christelle-Cantereau2303_Christelle-CantereauLégendes de gauche à droite :
1/  Christelle Cantereau, La photo de classe, série J’étais une princesse, 2. © Christelle Cantereau.
2/  Christelle Cantereau, Je ne jure de rien, Série Convergences. Caisson en bois, dispositif électrique (Leds) et radiographies médicales. © Christelle Cantereau.
3/  Christelle Cantereau, La balançoire, série J’étais une princesse, 1. © Christelle Cantereau.

 


Christelle Cantereau, pour la première fois à l’étage de la galerie Françoise, est invitée à présenter deux facettes de son travail : “J’étais une Princesse” et “Convergences”.


Interview de Christelle Cantereau par FranceFineArt.com

 

Votre oeuvre est plurielle, vous abordez la peinture, le dessin, la photographie, le volume. Ici avec l’exposition "Point de rencontre, deux points ouvrez les guillemets" présentée à la galerie Françoise Besson – Lyon – on va découvrir l’aspect photographique de votre travail. Une photographie que vous manipulez pour en révéler une autre dimension, une nouvelle aura. Avant d‘évoquer en détail, “J’étais une Princesse” et “Convergences” les 2 séries que vous exposez, comment la photographie en tant qu’objet, matière, est-elle devenue l’un des éléments de vocabulaire de votre écriture plastique ?

Ce travail plastique sur une base photographique est récent dans mon parcours. Si je ne m’interdis rien en matière de représentation, je n’avais jusqu’alors jamais pensé utiliser la photographie en tant que médium.
Comme dans tout processus, il est le fruit d’une maturation.
J’ai toujours aimé feuilleter les albums de famille, il y a de manière intrinsèque une forme de tendresse dans ces collections mais aussi une représentation antagoniste de la cellule familiale : d’un côté les individus existent par leur image spéculaire, une forme de véracité, et de l’autre il y a ce faux-semblant parce qu’ils sont dans la représentation au moment de la prise de vue.
Lorsque j’ai demandé à ma mère de me confier l’album de famille correspondant à nos jeunes années, je ne savais pas encore s’il y avait matière à l’utiliser. C’est en scannant les images qui m’intéressaient que le lien naturel et familial qui me lie à elles s’est déconnecté et que l’idée s’est imposée : cette famille n’était pas la nôtre, cette petite fille censée me représenter ne pouvait être moi. Je sais qu’elle me représente car elle est entourée de mes proches que j’identifie mais il existe une forme de travestissement, de mensonge, une profonde dichotomie entre cette image spéculaire et moi-même.
Alors, même si on ne peut pas superposer le mot « authenticité » à une image photographique, puisque par essence elle est une imposture, tout juste un instantané qui la seconde suivante est devenu obsolète, je décidai de partir sur ma trace.
Tel un détective, je suis partie à ma recherche.


Pour rester dans la globalité de votre travail et au regard des 2 séries présentées, “J’étais une Princesse” et de l’œuvre “Je ne jure de rien” de la série “Convergences”, une chose me semble unir ces 2 recherches plastiques. L’une par la numération, le scannage des photographies originales et l’autre par l’utilisation d’images provenant de radiographie, donc par le balayage de la lumière, j’ai la sensation que votre travail révèle les envers des histoires, il nous fait découvrir ce qui se passe de l’autre côté du miroir, du décor. Par définition, la photographie est “écrire avec la lumière”. Ici par le mouvement de la lumière, comment détournez-vous le geste de l’onde lumineuse pour inverser l’histoire originale, pour nous en révéler une autre, la vôtre ?


Vous avez raison, il y a une correspondance entre ces deux mondes : le transpercement.
Dans un cas comme dans l’autre, je ne suis pas à l’origine des images, je n’ai pas appuyé sur le déclencheur, je ne les ai pas décidées, pas produites.
C’est une re-production, une ré-appropriation.
Je choisis de travailler à partir d’une image que je n’ai pas créée mais que je manipule.
Dans le cas des photographies brodées, il était important dans mon processus créatif de ne pas utiliser les images originales. En les triant, en effectuant des choix, en les scannant, je les fais mienne, je les traverse, je vais chercher ma vérité, ma propre interprétation. Le balayage de la lumière par le scan est le premier pas, la prise de position qui me permet d’entamer ma traversée.
Dans le cas des radiographies, ce qui m’intéresse c’est que l’image ne peut exister sans le recours à la lumière. Le radiologue traverse l’enveloppe du corps pour en révéler la structure.
Je traverse l’image photographique par le passage de la lumière du scan puis du transpercement de mon aiguille pour en révéler une autre dimension, une dimension personnelle, structurelle.


Par l’utilisation de photographies, d’images déjà existantes, votre travail questionne la mémoire, le souvenir. En utilisant des photographies de votre album de votre enfance, “J’étais une Princesse” sont vos propres souvenirs, une double autofiction composées de 9 images chacune. Pourtant vous dites “ […] Je sais qu’elle me représente car elle est entourée de mes proches que j’identifie mais il existe une forme de travestissement, de mensonge, une profonde dichotomie entre cette image spéculaire et moi-même. […] ” . Dans la confusion de vos souvenirs, comment la broderie va-t-elle vous permettre de vous réapproprier votre propre histoire, de vous relier à votre famille ?


« J’étais une princesse » aborde des thèmes récurrents dans mon travail, il y est question d’identité, de mémoire, du souvenir et de la réminiscence, de l’image mentale et de son double imprimé ( l’image « spéculaire » telle que définie par Lacan)
Des thèmes qui englobent des questionnements sur la construction de l’individu.
Quand je parle de dichotomie, c’est ce que je ressens à la vue de ces images : je ne me reconnais pas. J’étais une enfant silencieuse et refermée sur elle-même et je me découvre souriante, le regard droit dans l’objectif.
Mais personne ne se reconnaît sur une image photographique, il y a toujours collision mentale.
Le travail du fil est dans mon ADN. Petite, j’ai observé ma mère tricoter et repriser, ma grand-mère coudre et crocheter : elles avaient toujours les mains occupées à un ouvrage. Je suppose qu’il fait donc partie de mon patrimoine génétique, j’ai toujours été sensible au travail de la main. Avec le fil, on peut repriser, combler un vide, on répare mais on construit aussi, il est à la fois utile et esthétique. Broder du papier est un processus délicat qui demande de la concentration, son exécution lente et minutieuse permet la mise en place du souvenir par une abstraction de la réalité du moment, elle met en suspension l’espace-temps dans lequel je me trouve pour me projeter dans une émotion ancienne.
Percer le papier ou la toile revient à percer le mystère.
Former des boucles permet de relier un à un le fil du souvenir.
La famille de mon père est si nombreuse, qu’enfant, je ne parvenais pas à les identifier. A contrario, celle de ma mère se limite à ma grand-mère, fille-mère et émigrée polonaise qui ne parlait ni de son pays d’origine, ni de son passé. Ma mère n’a jamais cherché à connaître l’identité de son père. Elle l’a fantasmé sans le chercher, sans doute pour éviter tout désenchantement. C’est son droit, c’est son histoire, mais elle a entaché la mienne.
Il y a quelques années, lors d’un voyage à Varsovie, aux prémices de ce travail, j’ai offert à l’amie qui me recevait une photographie brodée représentant ma grand-mère et ma mère, enfant. C’était pour moi un geste fort : celui de rétablir le lien avec leur terre ancestrale.


En utilisant l’apparence de l’autoportrait, comment impulsez-vous une valeur commune, voire universelle à vos propres photographies, à votre propre image ? Est-ce l’utilisation de la broderie qui incite ce détachement à l’image, à votre propre image ?


Sur les images sélectionnées, le personnage principal, en l’occurrence moi-même, est rarement seul. D’ailleurs quand il l’est, il y a une forme d’abandon, sans doute parce que les enfants ne sont pas aptes à vivre de manière autonome. Ce qui m’intéresse, c’est la place de l’individu en tant qu’entité dans un ensemble. La broderie permet de mettre en avant la singularité, elle dirige l’œil vers le sujet mais le texte qui accompagne les images est tout aussi important dans le sens où le lecteur y découvre des similarités avec sa propre existence.
Mais c’est un ensemble indissociable de couches successives. Le choix des images, la broderie puis les textes constituent un processus lent et délicat qui permet de rendre visible un souvenir indéfini, de l’ordre du ressenti. Ce ne sont pas des rajouts, elles sont autant de couches nécessaire à la restitution de la mémoire.
Cette remémoration par le texte qui accompagne l’image est factuelle, le récit mélange fabulations et affabulations, anecdotique parfois mais toujours ressenti, je pourrais sans doute y ajouter une odeur si j’avais accès à cette dimension de représentation.
Cette histoire est la mienne mais sa résonance prime sur l’autoportrait .
Elle n’est en rien personnelle: nous sommes tous cet enfant posé sur une balançoire soumis à l’objectif. Nous sommes tous constitués de l’histoire des précédentes générations que nous portons, transformons et léguons aux générations suivantes.
Le fil est ce qui nous relie, il nous soutient et nous contraint.


Pour continuer d’évoquer “J’étais une Princesse” où vous reconstituez le fil de vos souvenirs, de votre mémoire, comment choisissez-vous les zones, les motifs que vous brodez ? En mettant certaines parties en avant, en relief, en créant des formes, des costumes, est ce pour vous, une façon de diriger le regardeur, d’imposer le sens de l’histoire ?


Le titre, le choix des broderies, des zones du dessin du fil, est un ensemble qui est en correspondance directe avec ma propre histoire. « J’étais une princesse » est une boutade, c’est le surnom que me donnait mon frère aîné sur le ton de la moquerie. Je détestais ça.
Alors naturellement le signe distinctif de la première série est que je me coiffe d’une couronne au fil des images. Quant à la deuxième, je suis plus âgée et mes souvenirs sont plus conscients alors j’utilise des éléments réels comme cette parure d’Indien avec laquelle nous nous déguisions.
Mais c’est l’image qui m’inspire, c’est elle qui ravive des souvenirs que je dessine avec de la broderie.


Pour rebondir sur le sens de l’histoire, “J’étais une Princesse” est composée de 2 séries de 9 photographies chacune. Dans la numérologie, le chiffre 9 à une valeur rituelle, il symbolise le couronnement des efforts, l’achèvement d’une création. Dans cette composition, comment les 9 chapitres se sont-ils imposés à vous ? En construisant une histoire multi entrées, comment les 9 scènes vous permettent-elles la recomposition de vos souvenirs, d’une histoire ?


Dès le départ, je me suis imposée comme contrainte de ne travailler qu’à partir de cet album.
Mais mes parents n’étaient pas de grands photographes, mon outil de travail est disparate, il est composé de peu d’images souvent mal cadrées et floues. De plus, nous étions quatre enfants alors je ne suis pas toujours au centre de l’attention.
Entre la qualité des images et leur faible nombre, il a fallu faire un choix et les neufs scénettes se sont imposées d’elles-mêmes, ce nombre était suffisant pour construire mon histoire.
A contrario, ce qui était important était de distinguer deux séries. Séries que j’ai traitées différemment. Dans la première, je n’ai pas encore atteint l’âge conscient des souvenirs et par conséquent les broderies sont moins travaillées, elles sont moins mises en avant par le jeu de la couleur. La deuxième est plus franche, plus travaillée, mise en avant par le fil de couleur sur l’image en noir et blanc.
C’est dans cette différenciation de traitement que j’évoque clairement les notions de souvenir et de réminiscence, de conscient et d’inconscient, de mémoire pure ou induite par les récits des autres.


Pour poursuivre sur un autre symbole, pour la série “Convergences” vous utilisez la forme de la croix. Comment la forme de la croix est-elle devenue l’un de vos vocabulaires plastiques ? Pour vous, quel est son symbole, sa signification ? Reste-t-elle un signe religieux ou est-elle par sa construction, son graphisme, la possibilité d’interaction et donc de composition ?


La croix est lourde de symbole.
La plupart des Occidentaux vont voir dans la croix le symbole de la religion chrétienne : elle symbolise Dieu et la mort - puisqu’on la pose sur notre dernière demeure. C’est aussi, sans paradoxe pour les croyants, le signe de la vie éternelle : Jésus est mort crucifié puis ressuscité, c’est la preuve que nous donne Dieu de son existence et donc qu’il n’existe ni commencement ni fin.
Dans son dessin, la croix chrétienne est constituée de deux rectangles croisés perpendiculairement. La partie verticale, où jambe, est plus longue. La raison de cette représentation est sans doute liée à la morphologie du corps humain pour la crucifixion. C'est un objet de propagande : elle a besoin de stabilité dans la terre afin qu’elle se dresse bien droite sur la colline où étaient exposés les crucifiés. Elle est au départ un symbole de propagande anti-chrétienne pour devenir un dogme, le symbole absolu et récupéré. Les chrétiens font le signe de croix sur leur front. Les témoins de Jéhovah quant à eux refusent cette symbolique, pour eux Jésus a été cloué sur un gibet (poteau) les mains au-dessus de la tête.
N’étant pas théologienne, je ne donnerais raison à personne mais il faut admettre que cela eut été dommage pour la symbolique.
La symbolique est liée à la forme employée, celle que j’utilise est la croix dite « grecque », mais si cette même forme est placée en diagonale, elle devient la croix de « St André » en forme de X, si elle est habillée d’ornement au bout de ses 4 extrémités, elle devient suivant le dessin fourchée, fleurdelisée ou recroisée.
Tout dépend également de la couleur employée: si elle est verte, elle sera celle de la pharmacie, si elle est rouge elle représentera la croix rouge, si elle est bleue elle peut être le symbole d’une association de lutte contre l’alcoolisme, la représentation d’une organisation ou d’une institution liée à la santé.
C’est le symbole de l’institutionnel, qu’il soit religieux ou non.
« Bien avant le christianisme, le signe de la croix était utilisé pour désigner symboliquement la création. La volonté de créer (ligne verticale descendante) pénètre l’incréé (ligne horizontale) et le résultat (la croix) est la création. Ou bien, si nous restreignons l’étendue de la signification du symbole : l’esprit (verticale) descend dans la matière (horizontale) et le résultat (la croix) est la vie. » René Barjavel « La faim du tigre »
Il est difficile lorsque l’on est comme moi de culture française et de berceau catholique de se détacher des a priori contextuels de notre société liés à la symbolique mais c’est une forme que je trouve pour ma part d’une grande beauté.
Se pose la question de son autonomie, de faire en sorte que cette image vive de manière autonome, une croix qui se promènerait d’œuvre en œuvre et qui serait prétexte à une réflexion.


Si on évoque l’œuvre “Je ne jure de rien”, cette croix, vous l’avez comblé de radiographies représentant des mains. Par la radiographie, la présence du squelette, cette œuvre prend une dimension de reliquaire, de relique. Dans cette dévotion populaire, quel est le symbole de la main, d’une main percée par des points lumineux ?


Le titre de cette œuvre est clairement une référence à la main posée sur la Bible.
La main est un symbole fort dans la religion chrétienne : l’apposition des mains était pratiquée par les apôtres lors du baptême, les présidents américains continuent de prêter serment la main gauche posée sur la Bible même si la religion n’est plus inscrite dans leur constitution.
Quant à la lumière placée en points lumineux, elle évoque sans ambiguïté la crucifixion.
Alors oui, même si ici, je revendique mon athéisme en ne jurant de rien, culturellement je suis catholique. J’en connais les pratiques, j’ai fréquenté les églises pendant mon enfance et les représentations iconiques de la religion me touchent. Les églises ont été mes premiers musées et je remercie les hommes d’avoir inventé Dieu car il a été l’inspiration de grandes œuvres tant graphiques que musicales.


Dans votre travail, la croix n’est pas seulement le cadre qui accueille vos compositions, elle est aussi volume, une forme qui se positionne dans l’espace. Si, on fait le lien entre vos photographies brodées et cette réappropriation de la croix en signe graphique, comment votre écriture plastique manipule-t-elle la matière à dimension “plane” pour l’orienter vers une forme sculpturale ? Peut-on parler de sculpture ?


Volume ? Sculpture ? Oui, les pièces présentées à la galerie Françoise Besson sont tridimensionnelles – ce qui n’a pas toujours été le cas dans cette série.
Leur image est double : allumées, elles sont sculpturales ; éteintes, elles ont tendance à se fondre dans le cadre mais je prends soin de matifier la matière de la boîte afin que la croix continue d’exister.
Quant aux photographies brodées, même si elles ne ressemblent pas aux cartes postales espagnoles que m’envoyait ma tante lorsque j’étais enfant, dont la danseuse dessinée était affublée d’un gros jupon, sur certaines œuvres, le fil peut prendre de l’épaisseur.




Publications : J'étais une princesse Livre 1 & 2 – auto-édition.


Biographie :
Christelle Cantereau est née en France, dans le loir et cher, en 1967. Elle vit et travaille à Lyon.
Dès l’adolescence, elle fréquente l’École des Beaux-arts de Blois en cours du soir et décide qu’à l’issue du lycée, elle poursuivra des études supérieures en arts.
Elle s’inscrit dans un atelier parisien pour préparer les concours des grandes écoles d’art parisiennes. Reçue au concours de l’École des Beaux-arts de Paris, elle préfère entrer aux arts Appliqués « Parce qu’à l’époque, je ne me suis pas sentie en adéquation avec les élèves, balancer des seaux de peinture sur les toiles ne me correspondait pas. Bien sûr je caricature mais je préférais m’engager dans une voix plus concrète, cela me rassurait. »
Après quelques années en tant qu’architecte d’intérieur, elle décide de se consacrer à l’Art. Touche à tout, elle navigue entre peinture, gravure et volume, et se consacre pendant une année à l’écriture d’un roman (L’astéroïde B 613 paru aux éditions l’Harmattan).