contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“César” La rétrospective
au Centre Pompidou, Paris

du 13 décembre 2017 au 26 mars 2018



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, tournage presse, le 11 décembre 2017.

2304_Cesar2304_Cesar2304_CesarLégendes de gauche à droite :
1/  César, Coque Vallelunga n° 1, 1986. Compression. Tôle peinte sur support en fonte. 238 x 173 x 10 cm. Plaque de support en fonte : 9 x 120 x 80,5 cm. Hauteur globale sur pied : 286 cm. MNAM / Centre Pompidou, Paris. © SBJ / Adagp, Paris 2017. Crédit photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Philippe Migeat / Dist. RMN-GP.
2/  Giancarlo Botti, César à la Société française des ferrailles de Gennevilliers, début des années 1960. Photo © Giancarlo Botti.
3/  César, Chauve-souris, 1954. Fer forgé. 144 x 215 x 12 cm. MNAM / Centre Pompidou, Paris. © SBJ / Adagp, Paris 2017. Crédit photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI / Service de la documentation photographique du MNAM / Dist. RMN-GP.

 


2304_Cesar audio
Interview de Bernard Blistène, directeur du Musée national d’art moderne et commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 11 décembre 2017, durée 22'51". © FranceFineArt.

 


texte de Mireille Besnard, rédactrice pour FranceFineArt.

 

Résidus ferreux assemblés et comme rendus à l’organique, masses automobiles réduites au cube, coulées plastiques envahissantes, fragments corporels en démesure, César remettait en forme et en couleur les matières industrielles de son époque. Avec une simplicité apparente, une efficacité fulgurante, peut-être même agaçante, il réactualisait les enjeux de la sculpture.

Un rien provocateur, durant ces Trente glorieuses qui consacraient l’ère industrielle, il s’amusait à transformer et à désactiver l’engin symbolisant le triomphe et la puissance de la liberté individuelle, la voiture. Il se permettait de renverser au sol le produit phare de la pétrochimie, le plastique. Il réduisait la représentation de soi à un doigt phalliquement érigé, à un téton géant posé au sol.

Exubérant et volubile, à la tête d’une petite fortune, l’artiste a pu être compris comme un cabotin cédant à la facilité. Pourtant, soudure, gâchage, presse et cuve, le geste et les outils de César restaient souvent ouvriers. Les dénominations des œuvres, « fers soudés », « compressions », « empreintes », « expansions », « enveloppages », consacraient le procédé, plus que l’idée.

Cette simplicité et ce synthétisme offrent simultanément un paradigme sociétal et une pureté formelle. Reposant sur des tensions contradictoires, celle-ci n’assigne pas la matière à une forme acceptée. La tôle se fait meule et souple, presque à la manière du chewing gum. Le plastique, lui, comme en excès, reste informe. C’est en tout cas ce que le commissariat de Bernard Blistène avec la scénographie de Laurence Lebris permettent de dégager, dans cette galerie 1 du 6e étage, toute ouverte sur Paris plein Nord, sans qu’aucune cimaise ne vienne scinder et cloisonner l’espace et l’œuvre de ce gamin de Marseille.

Mireille Besnard

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire :
Bernard Blistène, Directeur du Musée national d’art moderne, Centre de création industrielle.
En collaboration avec : Bénédicte Ajac, Attachée de conservation au Musée national d’art moderne, Centre de création industrielle.
Hervé Derouault, Chargé de production
Laurence Lebris, Architecte-Scénographe




« J’ai eu plusieurs vies, plusieurs maisons, plusieurs époques. Je ne renie rien. Je demande seulement qu’il y ait plusieurs lec­tures : on y trouvera l’Académie, le besoin de renouvellement, le quotidien, le témoignage face à la civilisation industrielle, l’abstraction, la fascination des matières nouvelles, mon désir de remettre de l’ordre, mon besoin de détruire, de reconstruire. » César – citation - In Otto Hahn, Les Sept Vies de César, Lausanne / Paris, Favre, 1988 (p. 152).

La rétrospective de l’oeuvre de César présentée par le Centre Pompidou coïncide avec le vingtième anniversaire de la mort de l’artiste. Illustre dès l’âge de 25 ans, César a vécu plus de cinquante années de création. Il est la dernière figure majeure du Nouveau Réalisme dont l’oeuvre n’a pas encore fait l’objet d’une rétrospective au Centre Pompidou. À travers une centaine d’oeuvres présentées dans la plus vaste de ses galeries d’expositions, le Centre Pompidou propose de découvrir, dans toute son intégrité et sa richesse, le parcours de l’un des plus grands sculpteurs de son temps. Avec les oeuvres majeures les plus célèbres, comme à travers certains cycles plus méconnus, cette rétrospective présente un ensemble inédit à ce jour.

Né à Marseille en 1921, César commence un apprentissage qui le conduit à Paris à l'École nationale supérieure des Beaux-arts. À Paris, il croise entre autres, Alberto Giacometti, Germaine Richier, Pablo Picasso et se mêle à la scène artistique d'alors, côtoyant les artistes de Saint-Germain-des-Prés et de Montparnasse. Très tôt, il se fait remarquer par une technique qui lui est propre et lui apporte la célébrité : ce sont les « Fers soudés », les figures humaines et autres « Vénus » ainsi que le bestiaire qu'il invente, peuplé d'insectes et d'animaux de toutes sortes qui l'amènent à sa première exposition personnelle, galerie Lucien Durand en 1954. Bientôt célèbre, son oeuvre est exposée de Londres à New York.


L’intelligence du geste
Confrontant sans cesse son oeuvre au classicisme et à la modernité, César élabore alors une pratique fondée sur ce que le critique Pierre Restany appellera une opposition continue entre « homo faber » et « homo ludens ». Jouant de l’opposition entre une maîtrise assumée du métier de sculpteur et des gestes novateurs, César stupéfie son public lorsqu’au tournant des années 1960, il réalise ses premières Compressions. Présentées au Salon de Mai de 1960, elles font scandale et inaugurent un cycle aux évolutions nombreuses qui ne s’interrompra qu’avec la mort de l’artiste, en 1998. Les Compressions seront l’un des gestes les plus radicaux de la sculpture du 20e siècle, présentées aussi bien à la Documenta de Cassel qu’à la Biennale de Venise, repensées par de nombreux artistes allant de l’américain Charles Ray, au français Bertrand Lavier.

L’audace des matériaux
Inventif et guidé par la logique accidentelle du matériau, César s’engage ensuite dans une forme de dialectique en développant des Expansions selon un principe opposé à celui des Compressions. Au métal compressé succèdent le polyuréthane et autres matériaux que l’artiste teinte et polit, leur appliquant son savoir-faire et une méthode propre à la sculpture classique. Après les Fers soudés, les Compressions et les Expansions sont tôt reconnues comme deux moments inauguraux de la sculpture moderne. Les Moulages et les Empreintes humaines, qui ont précédé et initié les Expansions, ajoutent à l’oeuvre de César une dimension nouvelle. Déléguant au pantographe l’agrandissement mécanique de son propre pouce à l’occasion d’une exposition autour du thème de la main, César conceptualise un nouvel aspect de sa pratique, variant délibérément les échelles et les matériaux, soucieux d’apporter une méthode jusqu’ici inconnue à l’art de la représentation. Autre sujet de prédilection, le thème de l’autoportrait traverse les différents cycles de son oeuvre.

Un artiste de son temps
César, au faîte de la célébrité, devient au tournant des années 1970, l’une des figures emblématiques de l’art de son temps. Associé aux artistes du mouvement du Nouveau Réalisme fédéré depuis 1960 par Pierre Restany, il expose dans le monde entier et réalise en public des expansions éphémères qui sont autant de performances. De Paris à Londres, de São Paolo à Milan, César allie à la permanence de la tradition classique des gestes radicaux et inventifs, souvent spectaculaires et éphémères. Refusant de choisir entre le mot d’ordre des modernes et celui des classiques, il construit ainsi une réflexion originale et sans doute médiane entre l’intensité d’expériences souvent imprévisibles requises par l’art de son temps et la sagesse du temps long que lui offre la pratique patiente et laborieuse de l’assemblage.

Un constant pouvoir d’invention
Les années 1980 voient se développer un nombre important de ses sculptures monumentales. La carrière de César est récompensée et il reçoit le prestigieux Praemium imperiale au Japon. Il expose dans le monde entier mais l’institution française - toujours elle - tarde à reconnaître en lui davantage qu’un maître du passé. Les rétrospectives de Marseille, du Jeu de Paume ou de la Fondation Cartier rappellent au public le rôle essentiel de l’artiste et son constant pouvoir d’invention. Il représente la France à la Biennale de Venise et ses rétrospectives se succèdent à Milan, Malmö, Mexico... Après Otto Hahn, Pierre Restany, Daniel Abadie ou Catherine Millet parmi bien d’autres en France, une nouvelle génération de critiques venus de toutes parts le découvre et met en évidence la singularité de son oeuvre et de son propos, révélant un intérêt pour les matériaux les plus contradictoires allant du marbre au chiffon, du fer à la paille, du plastique au papier.






César et César par Bernard Blistène, Directeur du Musée national d’art moderne, commissaire de l’exposition - extraits du catalogue de l’exposition aux Éditions du Centre Pompidou.

On a beaucoup glosé sur l’oeuvre de César. De nombreux historiens de l’art et critiques l’ont fait dès le début des années 1950, fascinés par son inventivité et sa maîtrise et le font de nouveau avec acuité aujourd’hui. Comme si le pouvoir d’attraction de l’oeuvre et de l’homme, à tout moment, avait conduit l’analyste à tenter de comprendre son parcours, ses ruptures et ses lignes de fuite. César lui-même n’était pas avare de commentaires et s’attachait, on l’a souligné maintes fois, à brouiller les pistes afin de ramener l’analyse à sa seule préoccupation : la sculpture et sa puissance expressive, la sculpture et la logique du matériau.

La sculpture et rien que la sculpture. Comme si tout le reste n’était que littérature enfermée dans une glose qu’il écoutait, dubitatif ! Comme si toutes les tentatives d’aller sur d’autres terrains que celui de faire oeuvre ne devaient nous ramener qu’à son seul souci : donner à la sculpture une présence toujours plus forte, une présence au mépris des contingences du temps, pour se tenir face à la seule éternité.

On l’a dit et redit, César n’avait de lignes d’horizon que Rodin et ses presque contemporains, Picasso en tête. Picasso par-dessus tout. Sa vie durant, l’oeuvre sculptée de l’Espagnol l’aura fasciné. Sa technique, ses métamorphoses, son sens aigu et épiphanique du bricolage, son « instinct du matériau » – c’est César qui parle. Picasso fut pour César et pour tant d’autres le sculpteur par excellence, allant du plâtre à la fonte, du fer au bronze, de la tôle à n’importe quoi. Faire feu de tout bois et se réinventer sans cesse, avec ce qu’on a littéralement sous la main : un art consommé de la métamorphose.

[…]

On a dit de César qu’il était tout et son contraire, qu’il était versatile, classique et moderne à la fois. […] On a transformé en valse-hésitation ce qui était l’expression de contraires bien plus que de contradictions. César a sans doute été dialecticien malgré lui, s’escrimant à dialoguer avec l’histoire tout en étant indéfectiblement l’homme de tous les présents.

[…] César dit venir à la ferraille par défaut. Il lui faut des matériaux qu’il n’a guère les moyens d’acheter. Nécessité fait loi et l’apprenti sculpteur invente le Gobi (Esturgeon, 1954). La sculpture, on le sait, a suscité l’étonnement et l’intérêt de celles et ceux qui l’ont vue dans la cour de l’École des beaux-arts ou à l’occasion de sa présentation à la Galerie Lucien Durand.

César, homme de gestes radicaux, délégués à des machines sur lesquelles il exercerait un contrôle relatif, même si la Compression deviendrait « dirigée ». César, un moderne parmi les modernes. César, homme d’artéfacts quand lui-même s’obstinerait, sa vie durant, à délaisser une méthode au profit d’une autre. César, homme du non-choix ou plus précisément, homme se donnant le choix de ne pas choisir.

[…] Il n’était pas davantage l’homme des Fers soudés puis des Compressions puis des Expansions ou des Empreintes humaines. Il était et serait tout cela à la fois et en même temps. Sa trajectoire ne serait pas celle qu’on lui imposerait ni que le succès, au gré des cycles inaugurés, finirait par dicter. César serait César. Les deux n’en feraient qu’un. À prendre ou à laisser.

Être « ancien » et « moderne » à la fois... Être l’homme d’un bestiaire de fer et simultanément de ballots de métal plus ou moins dirigés, sortis d’une presse industrielle, que l’artiste – il n’est pas inutile de le rappeler – avait été le tout premier à utiliser. Être l’homme des Compressions de carcasses de voitures ou de motocyclettes, de lits cages ou de tout ce qui pourrait plier sous la pression de la machine. Être l’homme d’Expansions de polyuréthane tantôt brutes et tantôt polies, tantôt blanches et tantôt irisées, au gré des pigments qui les composaient. Être l’homme des Empreintes humaines défiant la représentation par le pantographe ou d’Enveloppages de Plexiglas, s’enrubannant à chaud autour d’objets trouvés. Être tout cela et tellement davantage, au mépris des chronologies et d’une téléologie qui fondent l’histoire de l’art.

[…]