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“Par éclat et par ricochet” article 2324
à la Galerie de la Voûte, Paris

du 25 janvier au 17 février 2018



www.galeriedelavoute.com

 

© Anne-Frédérique Fer, visite de l'exposition avec Marie Gayet, le 26 janvier 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Laurence de Leersnyder, Form derived from a cube, d'après Sol LeWitt [détail], 2015.
2/  Pauline Bazignan, Juin (14/06/2017-20/06/2017), 2017. Acrylique sur toile 116 x 97 cm. photo : © Rebecca Fanuele.
3/  Claire Colin-Collin. Peinture acrylique sur toile, 162 x 130 cm.

 


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Interview de Marie Gayet, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 26 janvier 2018, durée 16'58". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : Marie Gayet



avec Pauline Bazignan, Tiphaine Calmettes, Claire Colin-Collin, Laurence De Leersnyder, Cléo Tabakian, et Flora Vachez.

L’exposition est dédiée à la mémoire d’Anne Dufourmantelle.

Le titre « Par éclat et par ricochet » fait écho à un texte de Jean-Christophe Bailly, où l’expression, apparue au milieu d’une phrase, a fait saillie dans le fil de la lecture : «Ce qui s’engouffre ici, ce n’est pas tant l’immense rêverie d’un travail délivré de l’aliénation qu’une multitudes de sorties, grandes ou petites mais effectives, qui toutes ont ce sens de déporter l’activité hors du rendement et qui toutes réalisent ou actualisent, mais par éclats et par ricochet, l’utopie d’un temps tout autrement employé, celle autrement dit d’un temps sans emploi, purement traversé et vécu : la dimension qui se précise là aussitôt, quoi qu’on fasse, est celle de l’expérience, celle d’une restitution – ou plutôt, et sans nostalgie dès lors, d’une constitution- de l’expérience. »1. En jaillissant ainsi, les cinq mots parvenaient à faire passer la pensée sur un autre plan et je peux même dire qu’il n’y avait plus rien autour si ce n’est cette expression comme une déflagration poétique. Elle créait tout un flux d’images et de sensations qui suggéraient le fragment et le rebond, le miroitement et l’impulsion, le suspens et le flux, la répétition et la discontinuité. La même impression s’est reproduite en revoyant le film « Jules et Jim », au moment où la voix off dit : « Ils descendirent au bord du lac et jouèrent avec des cailloux blancs. Catherine leur en fit lancer jusqu’à épuisement. Elle et Jules apprirent à faire des ricochets. Le ciel était tout près. » Ce « ciel tout près », arrivé avec le simple geste du ricochet, faisait basculer le monde, introduisait dans l’image le temps, le hors champ, le renversement, la dimension poétique, un éclat de l’univers tout entier.

Il s’agit donc avec les six artistes présentées dans l’exposition de repenser la métaphore du ricochet - faut-il en redonner la définition ? Mouvement de rebond d’un objet plat lancé obliquement sur la surface de l’eau ou d’un projectile renvoyé vivement par le sol - et de l’éclat, à la fois brillance et éblouissement, fragment et brisure. Bien qu’utilisant des médiums différents (peinture, dessin, sculpture, vidéo, photo), la pratique de chacune porte sur la notion de répétition, de transformation et de variation. Chaque oeuvre, à sa manière, est le résultat d’un processus de mise en mouvement, parfois aléatoire, mais faisant confiance au hasard, à la matière ou à cet endroit en soi, là où ça peut tomber avant de rebondir. Dans ce moment de l’intervalle, entre ce qui est visible et ce qui ne l’est pas, entre ce qui fait forme et ce qui fait absence, d’un point de départ à un point d’arrivée (supposé), la discontinuité de la trajectoire n’existe qu’en apparence ; dans son rebond et sous la surface, le mouvement du ricochet matérialise un nouvel espacement. C’est un cercle d’ondes vibratoires, un frémissement léger, une transparence floue, une danse, une modulation silencieuse ou au contraire un bruit sec.
Ce qui se cherche encore au moment de son achèvement.
Quelque chose s’écrit et se prédit…


Dans les peintures de Pauline Bazignan, l’impulsion du départ est donnée par une pointe de peinture, une coulure, autour de laquelle vont se déployer de larges cercles de couleur délavée. A la fois d’une grande présence et d’une grande fragilité, ces formes concentriques font penser à des éruptions volcaniques, des corolles suaves, des planètes spectrales. Le geste ne rajoute pas en matière mais délave, retire, suspend, pour laisser se diffuser par le coeur de la toile un affleurement mouvant et vibrant.

Du ricochet, les calques photographiques et leurs phrases écrites à la main de Tiphaine Calmettes en prennent la partie aléatoire mais aussi divinatoire. Car le lancer de cailloux peut nous dire les présages du monde à venir ! Image, texte, constellation, prédiction… Initiés lors d’une résidence à Bratislava, ils s’appuient sur l'hypothèse que l'ancestralité et le futur auraient en commun d'être basés sur la lecture spéculative de signes, lecture qu'il est fort aisé de remettre en doute. Les phrases prélevées au gré de ses lectures et d'autres dont elle est l'auteur ajoutent une nouvelle manière de les interpréter.

Claire Colin-Collin recouvre et recouvre encore la peinture au point qu’elle se demande toujours à quel moment elle va s’arrêter ! Sur la grande toile présente dans l’exposition, le cerne blanc forme un espace de dessus tracé sur l’espace du dessous. Entre les deux, si peu et tant, car il semble que les deux plans existent pour se rencontrer l’un et l’autre dans le troisième espace de l’intervalle, qui les met en résonance, conjointement et séparément. En surface comme en profondeur, la peinture contient son propre temps de début et de fin. Celui du fond est un infini, « celui des pluies sur la terre », celui du dessus un geste d’intensité.

Un des principes fondateurs du travail de Laurence De Leersnyder est d’associer dans une même forme, de la rigueur et du chaos. La série Form derived from a cube, reprend la logique sérielle de l’oeuvre de Sol LeWitt tout en transgressant son unité formelle et sa rigueur géométrique par l’introduction d’un processus aléatoire de décomposition de la matière. À chaque nouvelle altération du moule, un tirage a été réalisé. La présentation en série souligne le caractère à la fois pur et impur de la variation combinatoire et trace une ligne au caractère conceptuel et métaphysique de l’altération.

Les dessins au fusain de Flora Vachez semblent se tenir entre l’air et l’espace. Pourtant distincts les uns des autres, une ligne invisible se trace entre eux, suspendue à l’énergie et à la grâce d’un geste. Anthropomorphiques, ils composent d’étranges calligraphies qui oscillent entre le végétal, le tissu osseux, la torsion d’un textile ou d’une branche. Au titre Fire walk with me, répond la texture noire et profonde du charbon sur le papier, une empreinte de cendre déposée, avant d’être soufflée.

Chez Cléo Tabakian, c’est la danse qui mène le corps, - à moins que ce ne soit l’inverse - et induit le mouvement de répétition. Ce mouvement devient lui même rythmique, reproduit en séquences, lié par des gestes, des images superposées de danseuses et de rues et les ondes sonores diffractées d’une musique originale. Dans la vidéo Play Grounds, l’espace vole en éclats, on le traverse par strates, en une fraction de seconde. Déjà le présent sort du cadre.
« Still looking for the end »
Le ricochet ne retourne jamais en arrière.

1-Jean-Christophe Bailly L’élargissement du poème. Coll « Détroits ». Christian Bourgois Editeur