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“Georges Michel” Le paysage sublime
à la Fondation Custodia, Paris

du 27 janvier au 29 avril 2018



www.fondationcustodia.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 26 janvier 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Georges Michel, L’Orage. Huile sur toile, 48 × 63 cm. Strasbourg, musée des Beaux-Arts. inv. 937 / Photo : M. Bertola.
2/  Georges Michel, Paysage. Fusain et estompe, 412 × 516 mm. New Haven, Yale University Art Gallery. inv. 1977.128.2.
3/  Georges Michel, Vue de la Seine avec une diligence. Huile sur papier, marouflé sur panneau, 60 × 79,5 cm. Paris, musée du Louvre, Département des Peintures. inv. RF 2008-48 / Photo : Dist. RMN-Grand Palais/Jean-Gilles Berizzi.

 


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Interview de Ger Luijten, directeur de la Fondation Custodia,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 26 janvier 2018, durée 22'03". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Des cieux emplissent les toiles, un univers en expansion repousse avec force les limites du cadre qui lui est imposé. Il y a peu de ce bleu immaculé que nous valorisons tant dans le ciel de Georges Michel, son cosmos est fait de nuages. Ils sont mouvants, traversent l'espace, se fondent les uns dans les autres, se séparent, se gonflent à en exploser puis se vident en torrents glacés. Ce cycle se répète comme une respiration, la pulsation d'un cœur.

Le paysage est sombre, boueux, la végétation trempée jusqu'au pourrissement, la vie semble avoir déserté les quelques bâtisses et moulins perchés sur les collines. Il ne semble n'avoir comme fonction qu'à délimiter la ligne d'horizon sur laquelle s'appuie ce ciel. Les nuages ne sont pas cotonneux, ils ont une telle présence physique, modelés qu'ils sont dans du plomb, que les forces de gravitation les entrainent jusqu'au sol pour qu'ils s'y posent, écrasant tout sous leur masse. Des orages lourds, menaçants, assombrissent la campagne jusqu'à n'en faire qu'une ombre, une pierre tombale silencieuse où errent quelques hommes muets, silhouettes courbées, déchues, chassées d'un quelconque paradis oublié.

Des rayons de lumière percent ces nuées en d'étroits éventails, trop affaiblis pour réchauffer cette terre damnée sinon de quelques éclaboussures. La peinture de Georges Michel est une expérience permanente, une avant-garde d'épaisseurs blanches étalées au couteau, sculptant le relief des nuages et de la terre, de griffures à la brosse sèche faisant d'un geste tomber une pluie pesante en puissantes diagonales. Des personnages détaillés comme des miniatures, des cumulus soyeux et sensuels, arrêtant le temps dans un petit moment de grâce laissent place à la brutalité soudaine de tempêtes floues approchant de l'abstraction monochrome. Les orages éclatent en gerbes de flammes, geysers de feu jaillissant du sol comme sortis des enfers. La furie météorologique est ainsi une métaphore divine.

Un éclair déchire le ciel. Venant d'une masse sombre de feuilles et de glaise qui flotte de façon incongrue dans les airs, il vient frapper le feuillage d'un grand arbre. L'image du dieu créateur se forme, le geste est le même que celui du doigt divin enfantant l'homme dans La création d'Adam de Michel Ange. Voilà donc de quoi nous parle Georges Michel : du grand mystère de l'univers, du dieu créateur puis destructeur, plein d'amour et de colère, qui donne et qui reprend. Les nuées s'assèchent et s'assombrissent, deviennent une fumée noire qui s'épaissit et salit la toile de taches de suie. Le paysage est traversé de longues bandes d'obscurité, de ténèbres noires engloutissant tout sur leur passage. Tout ce qui a été crée est détruit, incinéré, ne laissant comme témoignage que les traces de sa combustion.

Le ciel que nous regardons est là depuis la nuit des temps, il est le même que celui qui emplissait l'âme des premiers hommes d'espoir, de crainte et d'effroi lorsqu'ils s'aventuraient hors de leur caverne. La peinture de Georges Michel est intemporelle, elle touche au sacré, au mystère, c'est à cela que l'on reconnait un grand peintre.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat  : Ger Luijten, directeur de la Fondation Custodia et Magali Briat-Philippe, conservateur, responsable du service des patrimoines, Monastère royal de Brou.

[L’exposition est produite par la Fondation Custodia, en partenariat avec le Monastère royal de Brou à Bourg-en-Bresse.]




Admiré de Vincent van Gogh, Georges Michel est considéré comme le précurseur de la peinture en plein air. Influencé par les peintres du Siècle d’or hollandais et surnommé le « Ruisdael de Montmartre », il demeure encore aujourd’hui peu connu du grand public.

La Fondation Custodia, en collaboration avec le Monastère royal de Brou, propose de lever le voile sur cet artiste dont le marchand Paul Durand-Ruel fut l’un des premiers à remarquer au XIXe siècle le mérite. Cette première exposition monographique consacrée à Georges Michel depuis cinquante ans présente quelques quatre-vingts peintures et dessins – principalement issus de collections publiques et privées françaises – parmi lesquels plusieurs acquisitions récentes de la Fondation Custodia.

Georges Michel est né en 1763 à Paris où il meurt en 1843 après une carrière singulière, réalité ou construction post mortem du mythe de l’artiste incompris. L’essentiel de ce que nous savons de lui provient de la biographie écrite par Alfred Sensier en 1873, telle qu’elle lui fut contée par la veuve du peintre. Loin des cercles officiels, il ne participe au Salon qu’entre 1791 – date à laquelle l’exposition est ouverte aux artistes extérieurs à l’ancienne Académie royale – et 1814. Il ne fait par la suite plus parler de lui, jusqu’à la vente de ses œuvres et de son fonds d’atelier en 1842, un an avant sa mort.

L’exposition s’ouvre sur les œuvres de jeunesse de l’artiste, encore marquées par la tradition du paysage français issue du XVIIIe siècle et incarnée par l’art de Lazare Bruandet (1755-1804) ou de Jean-Louis Demarne (1752-1829), avec qui Michel parcourt l’Ile-de-France pour dessiner sur le motif. Il reste fidèle à la capitale et à ses environs, affirmant que « celui qui ne peut peindre toute sa vie sur quatre lieues d’espace n’est qu’un maladroit qui cherche la mandragore et ne trouvera jamais que le vide ». Saint-Denis, Montmartre ou La Chapelle, les Buttes-Chaumont et les bords de Seine, les paysages situés au nord de Paris offrent une alternance de plaines et de collines, ponctuées de carrières, de moulins et d’habitations éparses.

S’éloignant peu à peu des vues topographiques et des paysages pittoresques et anecdotiques en vogue entre 1770 et 1830, le style de Georges Michel se distingue de manière originale. Ses œuvres évoquent avec sincérité et un souffle pré-romantique ces espaces ruraux promis à la disparition avec l’annexion des faubourgs limitrophes de Paris à la capitale dans les années 1860.

A l’époque où le goût pour la peinture des écoles du nord connaît un renouveau en France, Georges Michel aurait, selon sa veuve, exécuté des restaurations de tableaux hollandais pour l’influent marchand parisien Jean-Baptiste Pierre Le Brun (1748-1813) et pour le Muséum central des Arts (actuel musée du Louvre) sur la demande du directeur Dominique-Vivant Denon (1747-1825). S’il ne reste aucune trace de cette activité dans les archives, Michel demeure indéniablement imprégné par les maîtres du Siècle d’or hollandais. L’exposition de la Fondation Custodia – dont l’une des missions est d’étudier la réception de l’art hollandais en France – saisit l’occasion de confronter Michel à ses prédécesseurs qu’il a tant admirés et parfois même copiés. De Jacob van Ruisdael (1628/1629-1682), il retient les compositions animées de ciels balayés par les vents qui laissent parfois s’échapper un puissant coup de soleil. Mais les clairs-obscurs magistraux de ses peintures puisent leur source dans l’œuvre de Rembrandt (1606-1669). Confondu au XVIIIe siècle avec ce dernier, Philips Koninck (1619-1688) a sans doute également inspiré Michel par ses vastes paysages aux espaces infinis.

Maison de l’art sur papier à Paris, la Fondation Custodia s’est enrichie au cours des dernières années de nombreuses feuilles de Georges Michel. Elle consacre une large place à ses dessins dans le dernier volet de l’exposition. La prolifique production graphique de Michel se caractérise par une diversité de sujets et de techniques. L’artiste sut notamment saisir à la pierre noire – et plus rarement à la plume – des vues très vivantes de Paris. Le caractère topographique de ces représentations permet l’identification des lieux figurés : le Louvre, les Tuileries, le Jardin des Plantes ou encore les Barrières de Ledoux.

Le manque d’assurance qui transparaît parfois dans ces scènes urbaines, est balayé par le don de Michel pour restituer l’atmosphère des paysages ruraux. Arpentant les plaines franciliennes encore en friche, Georges Michel réalise en plein air un nombre considérable d’études exclusivement à la pierre noire, souvent sur un papier bleu de format régulier. Comme dans les peintures, les immenses plaines ponctuées de motifs évanescents prennent place sur ces feuilles de petites dimensions, parfois rassemblées dans des albums, dont quatre sont encore conservés au Louvre, au musée Carnavalet et au Rijksmuseum d’Amsterdam. Tirée d’un cinquième album acquis par la Fondation Custodia en 2016, une sélection de quinze études permet d’illustrer dans l’exposition cette pratique du dessin compulsive – voire obsessionnelle – de Georges Michel. Elles témoignent en effet du besoin de l’artiste de retravailler en permanence ses sujets de prédilection, simplement pour mieux en explorer les possibilités. Plus rares sont les dessins de sujet isolé, parmi lesquels les études d’arbres sont probablement les plus frappantes. Rehaussés d’aquarelle, annotés parfois, ces dessins traduisent une observation précise et pourraient s’apparenter à d’authentiques études de botaniste. Mais l’intérêt de Georges Michel se porte avant tout sur la majesté d’un spécimen ou les formes fantasques d’un autre, comme un hommage au pittoresque de la nature et à la variété de ses créations.

Ainsi, s’il s’imprègne de l’influence de ses prédécesseurs français et de l’art des artistes hollandais du XVIIe siècle, Georges Michel confère à ses œuvres une résonance vibrante et tourmentée unique. Par sa liberté de touche en peinture – qui répond à son usage dramatique de la pierre noire ou du fusain dans certains dessins – il parvient à transcender les plaines d’Ile-de-France. Les paysages de Michel s’affranchissent de l’observation après en avoir été nourris ; c’est là que se révèle le sublime.

L’œuvre de Georges Michel annonce un tournant dans l’art du paysage en France. Il a influencé la génération de peintres emmenée par Jules Dupré (1811-1889) ou Charles Jacque (1813-1894), mais a aussi fortement marqué Vincent van Gogh (1853-1890). Dans les lettres de ce dernier se manifestent sa parfaite connaissance et son admiration pour l’œuvre et la personnalité de notre artiste, qu’il appelle « maître Michel ». Au sein des collections de la Fondation Custodia, Georges Michel incarne donc parfaitement le lien entre les paysages du Siècle d’or hollandais et les vues esquissées à l’huile, sur le motif, par les artistes du XIXe siècle.


L’exposition est accompagnée d’un catalogue Georges Michel. Le paysage sublime - sous la direction de Magali Briat-Philippe et Ger Luijten, aux éditions de la Fondation Custodia.