contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“Peintures des lointains” La collection du musée du quai Branly - Jacques Chirac
au musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris

du 30 janvier 2018 au 6 janvier 2019



www.quaibranly.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 29 janvier 2018.

2328_Peintures-lointains2328_Peintures-lointains2328_Peintures-lointains
Légendes de gauche à droite :
1/  Le flamboyant – Martinique. © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain.
2/  Marcel Mouillot (1889 – 1972), Site du volcan à La Réunion, Années 1930. Huile sur toile. 55,7 x 66,9 x 2 cm, 1207 g. © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain.
3/  André Suréda (1872 – 1930), La Fête arabe dans la campagne de Tlemcen, Années 1910-1920. Huile sur toile, 190 x 230 cm. Légende : Il s'agit peut-être d'une représentation des processions des fêtes du Mouloud à Tlemcen. A l'arrière-plan, le marabout de Sidi Abdallah Ben Mançour à Aïn-el-Hout ?. © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Claude Germain.

 


2328_Peintures-lointains audio
Interview de Sarah Ligner, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 29 janvier 2018, durée 13'41". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Comment décrire l'ailleurs, le peindre, transmettre l'étonnement, le dépaysement, la rencontre ? Le travail de ces peintres voyageurs documente voyages et expéditions du port de Saïgon au calme d'un café algérois ou à la halte d'une caravane dans un oasis. Montrer n'est pas un acte neutre mais un récit, un documentaire qui décrit la vie et les mœurs d'autres peuples. De la violence barbare de l'exécution de la Juive par Alfred Dehodencq ou du portrait d'un fanatique religieux de Lucien Lévy-Dhurmer à la douceur des deux portraits de femmes sénégalaises par Fernand Lantoine, pleins de noblesse et d'élégance, le peintre s'approche de l'autre jusqu'à le toucher, cherchant à transmette à la fois son étrangeté et sa similitude.

Prosper Marilhat peint une mosquée dans la basse Egypte, celle-ci disparait derrière une végétation luxuriante envahissant le cadre, la faisant ressembler à un décor de péplum. Chez Léon Armand, un groupe d'explorateurs et leurs guides traversent le Haut-Maroni sur lequel un tronc d'arbre est jeté en guise de pont. L'image met en scène l'héroïsme des hommes affrontant un environnement hors d'échelle prêt à les engloutir, posant les bases de ce qui sera plus tard un standard de films d'aventures, tout comme les longs panoramas de déserts de Maxime Noiré annoncent le cinémascope des westerns. Le documentaire glisse peu à peu vers la fiction.

Les Jonques de mer à Culao peintes par Frédéric Bernelle s'éloignent aussi du simple travail de documentation. La forte expressivité de la peinture en épaisseurs, formant comme une mosaïque, la palette vive de turquoises, de mauves, les voiles jaunes éclatantes donnent à la toile une nouvelle dimension: l'ailleurs est lumineux, riche, excitant, magnifié dans son opposition à la banalité du familier. Charles Camoin peint une plage à Tanger toute en formes simples, délavées, roses, bleues, jaunes. Le peintre se laisse emporter par l'ambiance de l'aube, et au lieu d'exotisme, c'est la similitude de cette impression matinale avec celle que l'on peut ressentir dans nos campagnes qui s'impose au regard.

Il y a cette naïveté dans la représentation de L'ile de Djerba par André Suréda, de celle des livres pour enfants, qui rend le monde irréel comme un pays de conte de fées. Ce fantasme exotique trouve sa forme archétypale dans le roman Paul et Virginie, ici décliné dans ses multiples éditions et illustrations. Les "bons sauvages" s'incarnent en indiens alanguis dans leur pirogue, en silhouettes dansant dans les formes colorées du village Wayana de Guyane de Gaston Vincke. L'exotisme superpose au réel sa forme rêvée jusqu'à devenir un songe psychédélique de couleurs acidulées, comme dans le tableau chamanique Ambohimanga de Willy Worms.

Le récit prend aussi la forme d'un roman colonial, dans lequel les peuples mélangés travaillent avec joie à extraire les matières premières qui seront exportées en métropole. Cet ode à la production de café, de cannelle, de cuivre ou de zinc est celui de l'œuvre civilisatrice de l'Occident. Ainsi l'autorité coloniale est mise en scène réalisant d'émancipateurs grands travaux, offrant la modernité comme on distribue des bonbons à des enfants, éduquant et soignant. Le docteur Sainte-Rose de Madeleine Luka devient une icône, le médecin se voit présenté en héros folklorique, sauveur du peuple indigène pour avoir soigné fièvre jaune et choléra.

Dans les marges de l'entreprise coloniale, des écoles de Beaux-Arts sont fondées. Artistes français et locaux s'y rencontrent et s'enrichissent mutuellement, fusionnant les différentes traditions et faisant naitre de nouvelles formes d'expression. Les scènes malgaches de Joseph Razafintseheno ou celles domestiques de Tô Ngoc Vãn, le couple d'amoureux de VuGia nous laissent enfin entendre la voix de ces hommes d'ailleurs, une voix sensible, digne et d'une douce beauté.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Sarah Ligner, responsable de l’unité patrimoniale Mondialisation historique et contemporaine du musée du quai Branly - Jacques Chirac



Lumière sur la collection de peintures conservée au musée du quai Branly - Jacques Chirac. Près de deux cents oeuvres inédites révèlent l’évolution du regard porté en Occident sur les peuples, sociétés et territoires plus ou moins lointains.

Des portraits d’Amérindiens de George Catlin aux scènes de vie quotidienne du Caire d’Émile Bernard, en passant par les estampes et dessins de Tahiti signés Henri Matisse ou Paul Gauguin…C’est un voyage aux destinations multiples que propose à travers cette exposition le musée du quai Branly - Jacques Chirac en présentant pour la première fois sa collection de peintures.

Près de 220 toiles et oeuvres graphiques – parmi les 500 oeuvres du fonds – de la fin du 18e siècle au milieu du 20e siècle racontent la rencontre avec l’Autre et l’Ailleurs, en interrogeant plus particulièrement la notion d’exotisme. Cette exposition inédite est aussi l’occasion de revenir sur l’historiographie d’une collection composite et largement méconnue, née dans une Europe en pleine expansion coloniale.

La collection de peintures du musée du quai Branly - Jacques Chirac voit en effet le jour avec l’Exposition coloniale internationale de 1931. Elle prend de l’importance au palais de la Porte Dorée, à l’époque du musée des Colonies (1931-1935), du musée de la France d’outre-mer (1935-1960), et lorsque ce dernier se transforme en musée des arts africains et océaniens (1960-2003). Elle n’a cessé de s’enrichir depuis la création de l’établissement public du musée du quai Branly en 1998. Entre onirisme et naturalisme, fantasme et documentaire, romantisme et propagande coloniale, cette collection de peintures est le reflet de l’histoire artistique et politique, mais aussi du discours et de la visée des institutions qui se sont succédé au palais de la Porte Dorée.

Au-delà de l’aspect historiographique, cette collection permet aussi d’explorer la thématique du regard sur l’autre, et en l’occurrence de l’homme européen sur le vaste monde à l’heure des grandes expéditions. Face à l’étranger et à l’inconnu, les artistes occidentaux expriment sensations, émotions et points de vues variés. Nées d’initiatives individuelles ou exécutées sur commande, leurs créations retranscrivent la mutation du regard porté en Occident sur les peuples, sociétés et territoires plus ou moins lointains, sans occulter la part de stéréotypes et de racisme. Face au choix d’un monde qui lui ouvre ses portes, l’art occidental emprunte différentes voies : cédant d’abord à la tentation de l’exotisme – où l’exaltation de la couleur et de la lumière sert les rêves d’un Orient de luxe et de volupté – il figurera par la suite un regard plus réaliste, ethnographique, attentif à l’autre.



Plus de 120 tableaux d’une collection en comptant plus de 500 sont présentés dans l’exposition. L’essentiel de la collection a été conservé et présenté entre 1931 et 2003 au palais de la porte Dorée, à proximité du parc de Vincennes à Paris. Cet édifice a été construit pour l’Exposition coloniale internationale de 1931. Destiné à abriter un musée colonial, son décor peint et sculpté célèbre la France et son empire outre-mer.

En 1931, une exposition de peintures et dessins sur l’influence de l’exotisme dans l’art français y est présentée. Elle constitue les prémisses de la collection de peintures développée au musée des Colonies, devenu en 1935 musée de la France d’outre-mer. Outre les achats et les dons, la collection comprenait de nombreuses oeuvres prêtées ou déposées par d’autres musées ou des particuliers. Deux oeuvres longtemps exposées au palais de la porte Dorée mais conservées aujourd’hui au musée national du château de Versailles et au musée d’Orsay témoignent dans l’exposition de l’histoire de la collection.

Après la seconde guerre mondiale, les anciennes colonies françaises accèdent à l’indépendance et le musée situé palais de la porte Dorée est dévolu en 1960 aux arts africains et océaniens. La collection de peintures est alors largement remisée en réserves. Mais le passé colonial demeure présent dans le décor sculpté et peint du palais de la Porte dorée, qui abrite aujourd’hui le musée national de l’histoire de l’immigration après le transfert des collections du musée national des arts d’Afrique et d’Océanie au musée du quai Branly - Jacques Chirac en 2006.