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“Sheila Hicks” Lignes de vie
au Centre Pompidou, Paris

du 7 février au 30 avril 2018



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 6 février 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Sheila Hicks, Lianes de Beauvais, 2011-2012. Centre Pompidou, Paris. © Adagp, Paris 2018.
2/  Sheila Hicks, La Clef, 1988. Collection particulière. © Bastiaan van der Berg. © Adagp, Paris 2018.
3/  Portrait de Sheila Hicks, Musée Carnavalet, FAP 2016. © Cristobal Zanartu.

 


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Interview de Michel Gauthier, commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 6 février 2018, durée 10'25". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

commissaire de l’exposition :
Michel Gauthier, conservateur au musée national d’art moderne, service des collections contemporaines
assisté de Mathilde Marchand, assistante au musée national d’art moderne, service des collections contemporaines





Le Centre Pompidou consacre une exposition à l’oeuvre de Sheila Hicks, artiste américaine installée à Paris depuis le milieu des années 1960. Rassemblant 145 oeuvres, de 1957 à aujourd’hui, l’exposition présentée dans l’espace ouvert sur la ville de la Galerie 3, invite le public à découvrir les diverses expressions d’un art qui, au moyen de coton, de laine, de lin ou de soie, exalte notre perception de la couleur, de la matière et de l’espace.

« Sheila Hicks. Lignes de vie » apporte sa touche au processus de réexamen de l’oeuvre de l’artiste entrepris depuis plusieurs années. Une vingtaine des pièces présentées appartiennent à la collection du Centre Pompidou à la suite d’une récente donation au Musée national d’art moderne. Le parcours de l’exposition, fluide et non chronologique prend pour axe le dialogue formel et chromatique que les oeuvres entretiennent entre elles et avec l’espace.

Avec ces sculptures, dont certaines sont monumentales, l’exposition présente plus d’une centaine de Minimes, petits tissages ou compositions de la taille d’une feuille de papier A4, qui constituent comme le laboratoire de l’oeuvre tout entier et témoigne d’une jubilation de la création.

Durant ses études à l’université de Yale dans la seconde moitié des années 1950, Sheila Hicks découvre les splendeurs et les subtilités des textiles précolombiens. Elle recueille aussi, à travers l’enseignement de Josef Albers, l’héritage du Bauhaus pour entreprendre un travail ébranlant la hiérarchie des pratiques, qui circule librement entre Bel Art, design et décoration. Au contact d’Albers, théoricien et praticien des couleurs, puis du grand architecte mexicain Luis Barragán, s’affirme une authentique « chromophilie » que toute l’oeuvre ultérieure manifeste.

Dans la seconde moitié des années 1960, dépassant le modèle de la tapisserie qui avait constitué jusqu’alors la modalité dominante de l’oeuvre textile, elle réalise des « soft sculptures », devenues des pièces historiques (The Evolving Tapestry : He/She – MoMA et Banisteropsis - Dark Ink – Philadephia Museum of Art). Empilements de laine ou lin, ré-interprétables à chaque présentation, elles rapprochent Sheila Hicks de certaines propositions contemporaines de l’Antiforme et du post-minimalisme.

Dans la décennie suivante, elle inaugure une série de grandes sculptures souples (Trapèze de Cristobal – Stedelijk Museum, Amsterdam ou Lianes nantaises – Château des ducs de Bretagne), faites de lianes colorées tombant du plafond, qui déploient la couleur dans l’espace et constituent l’un des apports majeurs de Sheila Hicks à l’art des années 1970. Ses oeuvres, par le jeu de leurs couleurs et la tactilité de leurs matières, incarnent, c’est leur importance historique, un moment de retrouvailles de l’optique et du toucher. Polymorphe, l’oeuvre s’adapte et se transforme, n’est plus soumise à une forme immuable. Déformable, étirable, souple, elle s’adapte et se transforme pour revivre au gré des circonstances, des lieux et des installations successives.

Le catalogue bilingue (français/anglais) de l’exposition est publié par les Éditions du Centre Pompidou, avec des textes Michel Gauthier, commissaire de l’exposition, de Monique Lévi-Strauss et de Cécile Godefroy.






Extrait du catalogue aux Éditions du Centre Pompidou - Le Principe d’ouverture par Michel Gauthier

Le rêve de Sheila Hicks, au milieu des années 1950, quand elle commence à étudier à l’Université de Yale sous la direction de Josef Albers, c’est la peinture telle que la magnifie alors l’expressionnisme abstrait. Quelques photographies montrent la jeune artiste en présence de toiles qui témoignent de ses ambitions de peintre (l’exemple de Joan Mitchell et le souvenir des Nymphéas de Monet) et de sa maîtrise de l’idiome dominant. Avec Albers, Hicks recueille le vivant héritage du Bauhaus, que va enrichir l’influence du professeur George Kubler, l’éminent spécialiste de l’art précolombien, qui allait bientôt écrire : « Supposons que la notion d’art puisse être étendue jusqu’à embrasser la totalité des choses faites par l’homme. » Découvrant alors avec émerveillement l’ouvrage de Raoul d’Harcourt,

Les Textiles anciens du Pérou et leurs techniques (1934), Hicks infléchit la trajectoire initiale de son travail et adopte le textile comme matériau privilégié de son art. L’étude des tissages précolombiens l’avait déjà menée en Amérique du Sud durant ses études. Le Mexique sera, après Yale, sa destination principale. Elle y noue des liens étroits avec l’architecte Luis Barragán et le sculpteur Mathias Goeritz, qui ont peu avant réalisé ensemble les monumentales Torres de Satélite (1957). Tous deux l’encouragent à poursuivre dans la voie qu’elle est en train d’ouvrir. En même temps qu’elle s’éloigne du centre que représente encore la peinture dans le système des beaux-arts de l’époque, elle gagne ce qui, au regard du même système, constitue une autre périphérie, géographique celle-là – le Mexique, puis la France, où elle s’installe dans la seconde moitié des années 1960. Voilà les quelques données, désormais légendaires, qui semblent fournir le préambule à toute entrée dans l’oeuvre de Hicks. Ces informations sont effectivement essentielles car, au-delà de leur pouvoir auratique, elles donnent des clefs pour comprendre le cadre esthétique dans lequel l’oeuvre naît et se développera.

« Le but ultime de tous les arts visuels, c’est le bâtiment ». La célèbre formule de Walter Gropius, si elle assujettit à l’architecture, dans un geste autoritaire, peinture, sculpture, tapisserie ou ébénisterie, a toutefois pour effet d’abolir la hiérarchie entre art et artisanat. […] L’important est qu’à travers ce tropisme décoratif s’affirme une conception résolument non autonomiste de l’oeuvre d’art.

De fait, Hicks conçoit très rapidement son activité dans un vaste champ où le passage de l’oeuvre d’art à la décoration ou au design se veut fluide. Le choix du textile est tout à la fois la cause et la conséquence de pareille ouverture.

Ce médium jouit en effet d’atouts non négligeables au regard d’une esthétique qui souhaite ne plus s’embarrasser de distinctions hiérarchiques entre beaux-arts et arts appliqués.

Du vêtement au support de la noble peinture, en passant par le mobilier et la décoration, le textile est l’un des matériaux que la vie, au gré d’expériences fort diverses, met constamment sur notre chemin. Les minuscules tissages que Hicks entreprend dans la seconde moitié des années 1950, et auxquels elle attribuera ultérieurement le nom de Minimes, se présentent comme les embryons d’un processus créatif, d’une « grammaire générative », d’avant les distinctions domaniales ou génériques. Slow Scribble (1956), l’un des tout premiers Minimes, témoigne ainsi d’un souci de libre expérimentation : gribouillage laineux, lent parce que s’élaborant au rythme du tissage, sans autre finalité que lui-même, libre des futures applications auxquelles il pourrait donner lieu. […]

Les Minimes le révèlent, il y a dans l’art de Hicks une attention au matériau qui prime sur la conscience du code. Ce primat explique également l’élection du textile, l’un des rares médiums avec lesquels la forme n’éclipse jamais totalement le matériau. Cette forte dimension matériologique est également présente dans la pensée d’Anni Albers, qui aspirait à restaurer la sensibilité à un « état originel » de la « matière » accessible physiquement, sans « information ». La Sentinelle de safran (2018), monumental amas de fibres que Hicks installe dans son exposition « Lignes de vie » au Centre Pompidou, révèle que sa passion du matériau, dans sa réalité proprement ineffable, non seulement persiste mais s’est peut-être même amplifiée au fil du temps.

Héritière du Bauhaus, Hicks l’est donc, non certes dans ses recherches formelles (elle doit davantage à l’artisanat précolombien), mais dans sa façon de se déplacer de l’ars gratia artis vers les travaux à vocation décorative et le design, que le modernisme historique désignait aux artistes comme fin dernière. Dès les débuts, son activité est plurielle. Pour son exposition de fin d’études à Yale en 1959, elle présente, à côté de peintures, des tissages de la belle série Faja, commencée trois ans plus tôt, dont le titre, qui signifie « ceinture », renvoie à un objet fonctionnel et vernaculaire. L’accrochage met en équivalence et en tension peintures et tissages. L’année suivante, avec Tenancingo, l’oeuvre textile se soustrait au traditionnel destin de tapisserie, en passant à la troisième dimension, de même que des Minimes tels les remarquables Clignancourt ou Dimanche (tous deux de 1960), dont les entrelacs et noeuds de lacets anticipent singulièrement de près d’une décennie certains travaux des membres du groupe Supports/Surfaces, comme les Objets d’analyse d’André Valensi. Si Hicks a d’abord utilisé le textile pour réaliser des oeuvres d’art, elle va très vite montrer qu’une légataire des idéaux du modernisme historique ne saurait accepter le cloisonnement de sa pratique.

En 1965, alors qu’elle entreprend ce qui est certainement son premier chef-d’oeuvre, Banisteriopsis, empilement d’éléments jaunes de lin et de laine, elle réalise ses premiers travaux pour la firme Knoll : des coussins pour la Tulip Chair d’Eero Saarinen ; la même année, elle commence à travailler avec une société indienne, Commonwealth Trust Handweaving Factory, pour laquelle elle conçoit le fameux tissu Badagara. En 1966, CBS lui commande une oeuvre destinée à décorer le restaurant de son siège new-yorkais, le « Black Rock », créé par Saarinen : ce sera Grand Prayer Rug. Parallèlement, elle imagine les fameux bas-reliefs avec médaillons en réponse à une demande de la Ford Foundation pour son immeuble de Manhattan. L’année 1972 voit Hicks réaliser deux de ses plus beaux travaux de décoration - pour le quartier général de Morgan Guaranty Insurance Company à Milwaukee et pour celui d’IBM à La Défense (Paris) – et exposer dans « Douze ans d’art contemporain en France » au Grand Palais (Paris) deux de ses plus indiscutables réussites : Je savais que si j’y venais un jour j’y passerais mes nuits et L’épouse préférée occupe ses nuits (toutes deux de 1972). Ainsi, dans une logique toute moderniste, aura-t-elle constamment entrecroisé les registres de l’art, de la décoration et du design. […]