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“En suspens” article 2337
au Bal, Paris

du 9 février au 13 mai 2018



www.le-bal.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse de l'exposition, le 8 février 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Darek Fortas, Changing Rooms VI, 2012. © Darek Fortas.
2/  Henk Wildschut, Ville de Calais, Partie Sud, 2016. © Henk Wildschut.
3/  Mélanie Pavy, photogramme extrait de Go Get Lost, 2018. © Mélanie Pavy.

 


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Interview de Julie Héraut, co-commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 8 février 2018, durée 21'06". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

commissariat : Diane Dufour et Julie Hérault.



Avec Bas Jan Ader, Debi Cornwall, Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon, Luc Delahaye, Darek Fortas, Hiwa K, Aglaia Konrad, Jacques-Henri Michot, Rabih Mroué, Mélanie Pavy, Sebastian Stumpf, Henk Wildschut, Paola Yacoub.

Ce qui est perdu, c’est l’intervalle qui aurait dû se former entre cet homme et ses semblables. — Hannah Arendt

Cette exposition est une tentative abstraite, poétique et fragile, de traduire quelque chose de notre temps. Quelque chose d’indéfinissable, d’intangible mais que nous reconnaissons possiblement comme l’état d’un homme, de plusieurs ou de tous : être en suspens.

Ni transition vers un futur possible, ni étape intermédiaire, cet état a plutôt à voir avec les notions de blocage et de répétition d’un même cycle à l’infini : ne plus savoir où se diriger, ne pas trouver sa place, avoir un statut indistinct, flou, précaire, répéter des gestes dénués de sens, de finalité, en sont autant de manifestations visibles. Souvent assimilé à la paralysie ou à la sidération, le suspens force, au contraire, à s’adapter constamment, sans répit, sans trêve, la menace se précise, le temps paraît compté. Ce n’est pas une lutte pour s’affranchir de la temporalité mais une lutte pour s’y inscrire.

Insaisissable, protéiforme, le suspens est aussi ce contre quoi l’image vient buter. Comment en exprimer la matière, la réalité ? Comment représenter l’homme en suspens en train de s’effacer dans une prolifération et une obsolescence immédiate des images, des discours, des lois, des technologies, indifférentes à son sort ?

Pour les artistes, le suspens n’est pas un « sujet ». Il opère là, quelque part, presque malgré eux. Et si leurs images frappent par une intensité brutale, concrète, immédiate, elles nous touchent aussi par leur simplicité, une forme de neutralité, de laconisme, de distance. Comme si le langage devait s’appauvrir pour se tenir au plus près du sens.

Est montré ici, le suspens d’hommes relégués hors de l’histoire, hors du paysage, en situation de survie dans un no man’s land politique : des territoires désertés, des corps en arrêt, isolés ou happés, sans ancrage. L’espace s’est refermé. Les visages ont disparu, la connivence des regards aussi.

Constellation hétérogène de lieux et de problématiques, l’exposition tisse peu à peu un large réseau de correspondances, suggérant un lieu commun du suspens. Quand prend fin le mythe d’une histoire linéaire du progrès, quand l’idée d’une communauté de destin fait défaut, le suspens s’étend. Il en vient à désigner un état du monde.

Diane Dufour


Un ouvrage "En suspens” en co-édition LE BAL / Shelter Press accompagne l'exposition.






Bas Jan Ader. 
Né en 1942 à Winschoten, Pays-Bas. Porté disparu en 1975, entre Cap Cod et l’Irlande. Artiste conceptuel du début des années 1970, Bas Jan Ader réalise des actions filmées ou photographiées, orchestrant le plus souvent la chute de son propre corps. Dans Untitled (Tea Party) (1972) il rampe dans une clairière, en direction d’un carton tenu ouvert à l’aide d’une branche. Tandis qu’il se soumet, en costume cravate, au rituel du tea-time britannique, la branche qui maintenait le carton se détache, provoquant sa disparition. Par des moyens minimalistes, Bas Jan Ader traduit ici l’évolution de l’espèce humaine et la vulnérabilité de l’individu pris au piège du mirage de la civilisation.

Debi Cornwall.
Née en 1973 à Weymouth, Etats-Unis. Avocate pour la défense des droits civiques pendant 12 ans, Debi Cornwall obtient en 2014 le droit de photographier le centre de détention américain de Guantanamo. Malgré la censure militaire et l’interdiction de photographier les visages, elle rend compte du système dans toute sa complexité : lieux de détention, vie militaire quotidienne, boutique de souvenirs… Pour Beyond Gitmo, elle rencontre 14 anciens détenus de retour chez eux ou le plus souvent exfiltrés dans un des 59 « pays tiers » avec lesquels les États-Unis ont conclu des accords secrets (Albanie, Slovaquie, Salvador, Bermudes ...). Ne parlant pas la langue locale, souvent privés de papiers et ne pouvant justifier des années passées en captivité sans jugement, toujours sous le joug de décisions arbitraires quand à leur droit de circulation, ils errent. Ni tout à fait libres, ni tout à fait enfermés.

Stéphane Degoutin & Gwenola Wagon.
Né en 1973 à Toronto, Canada / Née en 1975, Paris. Les projets de Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon questionnent la place de l’homme dans nos sociétés de plus en plus robotisées. Dans Le monde comme entrepôt de livraison (2017) les robots, soulageant les hommes des tâches pénibles, dangereuses ou simplement répétitives, ont envahi les entrepôts automatisés, bâtiments anonymes, indiscernables dans notre paysage quotidien. Par bien des aspects, l’architecture et l’organisation sociale du monde contemporain deviennent peu à peu celles d’un immense entrepôt de livraison ou d’un data center : un espace aspécifique, continu, homogénéisé et indifférent, dont le fonctionnement est optimisé par des algorithmes et duquel l’homme a disparu.

Luc Delahaye.
Né en 1962 à Tours, France. La vidéo Eyal Checkpoint (2016) appartient à un ensemble d’images, principalement photographiques, réalisées par Luc Delahaye en Palestine de 2015 à 2017. Situé entre la Cisjordanie et Israël, près de Qalqiliya, le terminal de contrôle d’Eyal ouvre en 2004 après l’édification par les Israéliens du mur de séparation entre les deux entités. La caméra – un téléphone - est attachée au portique d’entrée et, de ce point de vue fixe et frontal, enregistre le passage de milliers de Palestiniens se rendant en Israël pour travailler. C’est un dispositif « pauvre » et improvisé qui s’apparente pourtant, par sa neutralité, à la technologie de surveillance déployée dans le terminal. Dans un flux incessant, les individus sont happés par la machinerie de contrôle. Le son du portique renforce le trouble de leur disparition progressive. La caméra, cependant, nous montre des corps, des visages, des regards et inscrit les traits distinctifs de chacun dans une histoire commune.

Darek Fortas.
Né en 1986 en Pologne. Jeune photographe polonais, lui-même fils de mineur, Darek Fortas se penche depuis plusieurs années sur la place des mineurs dans l’histoire politique et sociale de son pays. Changing Rooms (2012) s’inscrit ainsi dans un travail spécifique sur les mines en Haute-Silésie. En ralliant les grèves initiées par Solidarnosc, menaçant de paralyser l’économie du pays, les mineurs ont joué un rôle stratégique dans la fin de l’ère communiste et l’établissement d’un nouvel ordre démocratique. Représentant une salle des pendus – nom donné aux vestiaires dans les mines – immuable depuis l’ouverture de la mine de Jas-Mos en 1964, le travail de Darek Fortas interroge ici « le pouvoir politique paradoxal des masses, capables de renverser des régimes mais impuissantes à véritablement changer leur destin ».

Hiwa K.
Né en 1975 à Sulaymaniyah, Kurdistan Irakien. Hiwa K conçoit des oeuvres protéiformes, le plus souvent fruit d’expériences collectives et participatives, dans lesquelles formes vernaculaires, histoires orales et constructions politiques s’entremêlent. View From Above (2017) raconte l’histoire vraie de M., demandeur d’asile originaire du Kurdistan irakien contraint de mémoriser le plan d’une ville située dans une zone en guerre, dont il feint d’être originaire, afin d’obtenir le statut de réfugié. La fiction devient ici la condition d’un possible retournement des faits. Le sentiment d’irréalité et d’étrangeté, l’entre-deux de la mémoire, l’aléa et l’aberration bureaucratiques sont évoqués ici comme inhérents à l’état de réfugié.

Aglaia Konrad.
Née en 1960 à Salzbourg, Autriche. Aglaia Konrad a constitué depuis 20 ans un vaste corpus sur les grands centres urbains et leurs périphéries. S’y expriment les contradictions entre cité rêvée, héritage moderniste et urbanisme forcené. Son livre Desert Cities (2008) évoque le projet initié par le Président Anwar Sadat il y a 30 ans de construire 16 villes nouvelles dans le désert égyptien devant loger 500 000 habitants chacune et endiguer la surpopulation du Caire. Souvent en ruine avant même d’être habitées, coupées de toute infrastructure pouvant les rendre viables, certaines sont devenues le refuge des expulsés de la vie rurale, d’autres des villes fantôme. Ici, l’architecture, devenue pure abstraction, condamne à la fragmentation, au vide. Dans cet espace, la présence humaine paraît incongrue, anecdotique, presque accidentelle.

Jacques-Henri Michot.
Né en 1935 en France. Écrivain français, Jacques-Henri Michot a publié plusieurs ouvrages à la croisée de l’écriture poétique et de la chronique politique. Dans Un ABC de la barbarie (1998 et 2014), il recense les lieux communs du langage dominant qui suspendent le jugement et font obstacle à une pensée critique de l’ordre établi. Jacques-Henri Michot fabrique ainsi « une toute petite machine de guerre contre la fausse solidité bétonnée criarde calamiteuse sinistre de la parlerie à prétention consensuelle ».

Rabih Mroué.
Né en 1967 à Beyrouth, Liban. Empruntant à la fois aux arts visuels, à la performance et au théâtre, la pratique de Rabih Mroué exprime les doutes, tensions et contradictions inhérents à la perception par les Libanais de leur propre histoire. Composé de 366 collages, Diary of A Leap Year (2017) est construit à partir d’images et de mots prélevés chaque jour pendant une année dans la presse libanaise et du Moyen-Orient. La représentation des faits, fragmentée, amputée, rendue opaque, reflète la censure et les fractures idéologiques qui dominent la vie politique et les médias libanais. Face à la violence endémique et à la complexité des enjeux, Rabih Mroué assemble des figures humaines éparses et isolées, suspendues au destin politique de leur pays.

Mélanie Pavy.
Née en 1977 en France. Mélanie Pavy mène, avec les outils de l’anthropologie et du cinéma, une démarche à la frontière de l’art et de la recherche. Go Get Lost (2017) est réalisée à partir de plans tournés par PMORPH, robot-serpent envoyé par la société Tepco en 2015 dans les zones les plus radioactives de la centrale de Fukushima. Le robot enregistre les images et les données de son exploration au coeur du réacteur, ne survivant que quelques heures au taux record de radioactivité, et devenant à son tour déchet nucléaire inaccessible à l’homme. En figurant la mort des robots, Mélanie Pavy interroge ici la menace ultime, quand la technologie, jouet des hommes, s’avère impuissante à nous sauver du désastre d’un monde sans hommes.

Sebastian Stumpf.
Né en 1980 à Würzburg, Allemagne. Sebastian Stumpf réalise des actions dans l’espace urbain qu’il enregistre à l’aide d’un appareil photo ou d’une caméra. Dans Puddles (2013), son corps immobile et tendu, allongé face contre terre dans une flaque, s’inscrit comme une anomalie dans un environnement entièrement banalisé. Geste affirmatif d’imposition dans la ville, l’action répétée en dix lieux à dix moments devient peu à peu prévisible, mécanique, vaine. Sebastian Stumpf explore ici un état paradoxal entre anonymat et appropriation, métaphore et incarnation, absurdité et résistance.