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“Jim Dine” Paris/Reconnaissance - La donation de l’artiste au Centre Pompidou
au Centre Pompidou, Paris

du 14 février au 23 avril 2018



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 13 février 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Jim Dine, Nancy and I at Ithaca (Straw Heart), 1966 69/1998. Acier, paille, résine, colle. Collection Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. photo © Ellen Page Wilson. © Adagp, Paris 2017.
2/  Jim Dine, The Prince, 2008. Email et peinture sur bois. 184 x 72 x 66 cm. Collection Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. photo © Amahra Leaman. © Adagp, Paris 2017.

 


2340_Jim-Dine audio
Interview de Bernard Blistène, directeur du musée national d’art moderne et commissaire de l’exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 13 février 2018, durée 21'01". © FranceFineArt.

 


texte de Sylvain Silleran, rédacteur pour FranceFineArt.

 

Des poèmes sont graffités sur les murs en grands lettres capitales de craie noire, dans le style de Basquiat. Les mots effacées puis réécrits, la langue scandée des cahiers de la Beat generation, sont la première matière que travaille Jim Dine. Puis cette littérature souple et humide de glaise s'empare de peinture, de fer et de bois, glane quelque matériel dans les rayons des quincaillers ou au fond de granges et vient donner vie à des tableaux.

Car ce sont des tableaux ce que l'on peut voir ici, utilisant le sol et les murs comme toile tendue pour composer une scène à l'aide d'objets et de chutes de bois. Un paravent de fer, enchevêtrement d'outils et de branches, cisailles, pelles, scie, clé à molette peints en éclaboussures multicolores nous offre une vision du Jardin d'Eden. Ce paradis a les couleurs de l'optimisme forcé d'un vieux Disney mais les formes résistent à leur maquillage de peinture, la puissance de l'outil domine.

C'est en cela que Jim Dine se distancie du Pop Art, par son enracinement dans l'Amérique rurale et ouvrière, dans le mythe pionnier fondateur. Comme dans La petite maison dans la prairie, l'homme dompte la nature, en apprivoise la rudesse pour fonder son foyer. Son œuvre célèbre le dur labeur du bâtisseur, sa foi, ses espérances en réalisant des icônes à partir des instruments qu'il emploie, transformant les arbres en maisons, en fermes, en magasins. L'outil sert à ordonner le monde, ici représenté dans sa nudité de branches et de troncs d'arbres, à lui donner un sens, à transmettre espoirs et traditions à la génération future. Dans son ode aux moissons, têtes et jambes se mêlent aux fourches, la courbe d'une pelle prend les allures sensuelles d'une paire de fesses. Le travail une fois fini donnera lieu à une fête, la récolte s'inscrit comme une naissance dans un cycle de vie.

Les habits noirs de deuil pendus à des cintres sur une grande toile grise nous rappellent la simplicité, la sobriété aride d'une vie modeste, loin des fastes de la ville, loin de l'effervescence d'une modernité qui s'emballe, se détache de ses racines. Une meule de foin en forme de cœur y oppose la vie dans sa forme graphique la plus universellement partagée, un art folklorique, chantant et dansant, appartenant à tous.

De la Vénus de Milo grossièrement sculptée dans un tronc noirci, brûlé, ou bien peinte et équipée d'une ceinture d'outils de charpentier à Pinocchio dressé sur un piédestal comme une idole, Jim Dine cherche à transmettre la fable morale, celle qui ordonne le chaos et nous guide, nous aide à nous tenir debout.

Au moment où on pense avoir compris son travail, ses œuvres de peinture sur toile, bois ou cuivre posent de nouvelles interrogations. Autoportraits flous, abstractions de larges taches, personnages aux têtes d'animaux ou de dessins animés, oiseaux noirs marquent un nouveau virage imprévu. La peinture est sculptée, ses épaisseurs ont été abrasées à la meuleuse, laissant l'empreinte d'un outillage lourd et bruyant.

La symbolique religieuse s'organise en triptyque autour de le forme vernaculaire omniprésente du cœur. Mais plus que ce cœur, c'est chez Jim Dine la figure de l'arbre qui semble la plus centrale. En nous montrant l'extrémité de ses branches, il nous invite à en parcourir les veines, à descendre jusqu'aux racines pour que nous revienne en mémoire d'où nous venons.

Sylvain Silleran

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissariat :
Bernard Blistène, directeur du musée national d’art moderne
avec la collaboration de Annalisa Rimmaudo, attachée de conservation, musée national d’art moderne.




Du 14 février au 23 avril 2018, le Centre Pompidou expose l’exceptionnelle donation que Jim Dine a faite récemment au Musée national d’art moderne et qui se compose de 28 oeuvres, de peintures et de sculptures, réalisées entre 1961 et 2016. Un don par lequel, Jim Dine, comme il le dit lui-même, voudrait « rembourser la France d’une dette culturelle et personnelle », à savoir les nombreuses années passées à Paris qui lui ont permis d’accéder à « une esthétique » qui a éclairé ses choix. En saluant ce geste, l’exposition retrace de façon saisissante son parcours unique et toujours aussi fécond.

Jim Dine occupe une place à part dans l’histoire de l’art de plus d’un demi-siècle. Né en 1935 à Cincinnati, dans l’Ohio, il s’installe à New York en 1958 où il débute sa pratique artistique et se fait connaître par ses environments et happenings réalisés aux côtés de Claes Oldenburg. Figure centrale d’une pratique qu’on assimile sans doute trop rapidement au pop art, il s’en éloigne, reconnaissant encore aujourd’hui ce qu’il doit à l’oeuvre de De Kooning et à l’expressionnisme abstrait. Durant les années 1970, il se tourne vers les pratiques du dessin et de l’estampe et entreprend une remise en question radicale qui l’amènera, dès la fin de ces années, à redecouvrir la figuration.

Au tournant des années 1980, Dine s’approprie les éléments stylistiques des cultures anciennes, les icônes artistiques et les images vernaculaires, développant une pratique attentive aux formes du passé et somme toute post-moderne, bâtie sur l’amour du travail manuel et imprégnée de symboles personnels.

La donation, entièrement exposée, comprend les toutes premières oeuvres dans lesquelles s’affirment le vocabulaire plastique et l’originalité des thèmes de l’artiste. L’outil y tient une place déterminante et donne d’emblée à l’oeuvre une dimension spécifique, mêlant son histoire personnelle à une recherche identitaire qu’il n’abandonnera jamais. De splendides assemblages mariant les matériaux les plus composites illustrent le foisonnement des recherches de Dine au tournant des années 1970. Les motifs récurrents de son oeuvre, coeurs, robes de chambre et autres objets du quotidien de l’artiste figurent aussi au nombre des pièces présentées. Les premières sculptures visitant les icônes de l’art comme la Vénus de Milo ou les masques du Fayoum côtoient les Pinocchio polychromes devenus autant de doubles de l’artiste. L’ensemble se compose également de ces treillis et autres paravents de métal auxquels Dine accroche, comme autant de reliques, ses différents objets et outils fétiches tels ces fragments de corps qui peuplent ses travaux antérieurs.

Enfin, de grandes peintures d’une liberté et d’une richesse de matière aux tonalités à l’opposé des oeuvres sévères et quasi monochromes des débuts de l’artiste, mettent en évidence sa liberté d’allure et le désir intarissable de fabriquer des oeuvres exemptes de toute contrainte.

Homme passionné et inquiet qui n’a jamais voulu se fixer quelque part, en perpétuel mouvement, il court - encore aujourd’hui - de par le monde, de l’Amérique où il est né et continue de vivre sporadiquement à l’Europe et la France où il ambitionne désormais de passer le plus clair de son temps. Car Jim Dine, on le sait, aime la France.

Catalogue, sous la direction de Bernard Blistène, directeur du musée national d’art moderne, un catalogue bilingue (français/anglais), format 20 cm  x 26 cm, d’environ 150 pages et 50 illustrations, est publié en co-édition Centre Pompidou/Steidl. L’ouvrage comporte des poèmes et des textes de Jim Dine.

L’exposition et la publication sont réalisées en collaboration avec Annalisa Rimmaudo, attachée de conservation au musée national d’art moderne.






Extrait du catalogue – Avant-propos par Serge Lasvignes, Président du Centre Pompidou & Bernard Blistène, Directeur du Musée national d’art moderne.

Il n’est pas fréquent qu’un artiste de la notoriété de Jim Dine offre à une institution quelque vingt-huit oeuvres couvrant près de soixante années de son travail. Il n’est pas fréquent qu’un geste de cette ampleur soit consenti sans la moindre demande en retour ! Il faut, en exergue de ces quelques lignes, le souligner, et rendre hommage à son auteur à plus d’un titre. Jim Dine, on le sait, occupe une place à part dans l’histoire de l’art du dernier demi-siècle. Célèbre dès ses premiers travaux du début des années 1960, il n’hésite pas à se remettre radicalement en cause dès la fin des années 1970. Figure centrale d’une pratique qu’on assimile sans doute trop rapidement au pop art, il s’en éloigne, reconnaissant aujourd’hui encore sa dette à l’oeuvre de Willem De Kooning. Inventeur de « happenings » qui comptent parmi les plus beaux de cette Amérique libertaire incarnée par la Judson Gallery qu’il crée en 1958 avec Claes Oldenburg et Marcus Ratliff, il retourne à l’atelier, convaincu qu’il doit se dédier à la peinture. Jim Dine, homme passionné et inquiet, n’a jamais voulu se fixer quelque part. En perpétuel mouvement, il court de par le monde, de l’Amérique, où il est né et continue de vivre sporadiquement, à l’Europe et la France, où il ambitionne désormais de passer le plus clair de son temps. Car Jim Dine aime la France au point d’y avoir trois ports d’attache : son appartement dans le 6e arrondissement parisien – Paris qu’il sillonnait déjà à vélo lors de ses premières escales –, sa retraite dans le 14e arrondissement, au coeur de ce quartier des artistes qu’il aime et fréquente autant qu’il le peut, son atelier à Montrouge, plus vaste endroit qu’il ait jamais eu pour travailler, comme il se plaît à le dire. Jim Dine est un travailleur acharné, un expérimentateur forcené qui ne cesse d’explorer toutes sortes de techniques et de sujets au point d’en déconcerter plus d’un. Voyez ses premières sculptures, voyez ses derniers tableaux ! Voyez les assemblages des oeuvres initiales et les sculptures à la hache des années 1990.

Voyez l’extrême sobriété des propositions exposées chez Ileana Sonnabend et le lyrisme coloré des derniers tableaux. Dine aura tout essayé, tout investi. Il n’aura jamais eu qu’une passion : son travail, sur lequel il revient toujours, avec une énergie jamais démentie. Certains ont mal compris ce qu’ils ont considéré, dans les années 1980, comme une rupture sans appel. Dine l’objecteur s’affirmait alors toujours davantage peintre, sculpteur et formidable graveur, revendiquant une attention soutenue à des techniques éprouvées, cherchant à inscrire son travail dans une relation toujours plus forte au métier.

On l’a critiqué, on a cru le voir abandonner la dimension exploratoire d’une oeuvre en perpétuel mouvement, cherchant à maîtriser toujours plus son rapport au matériau. Dine s’est alors rapproché de l’histoire de l’art et de ses formes, s’appropriant avec une fantastique dextérité ses icônes et figures emblématiques pour toujours mieux les faire siennes et les métamorphoser. On l’a vu faire surgir la figure de Pinocchio tel un talisman qui ne l’avait en fait jamais quitté. On l’a vu recommencer sans cesse de grands tableaux toujours plus colorés et libres où certains signes qui avaient fait sa notoriété sont réapparus, manière de nous dire qu’ils l’ont toujours accompagné. La magnifique donation de l’artiste au Musée national d’art moderne retrace de façon saisissante ce parcours unique et toujours aussi fécond. Dine a lui-même ajouté des pièces à la première sélection dans le but de compléter l’ensemble et de donner une vision précise et extrêmement diverse de son histoire. On y retrouve les toutes premières oeuvres dans lesquelles s’affirment son vocabulaire plastique et l’originalité de ses thèmes. L’outil y tient une place déterminante et donne d’emblée à l’oeuvre une dimension spécifique, mêlant histoire personnelle et recherche identitaire, ce fil rouge toujours présent. De splendides assemblages mariant les matériaux les plus composites illustrent le foisonnement des explorations de Dine au tournant des années 1970. Les motifs récurrents de son oeuvre, coeurs, peignoirs et autres objets du quotidien de l’artiste, figurent aussi au nombre des pièces présentées. Les premières sculptures revisitant les icônes de l’art comme, parmi d’autres, la Vénus de Milo ou les masques du Fayoum côtoient les Pinocchios polychromes devenus autant de doubles de l’artiste. L’ensemble se compose également de ces treillis et autres paravents de métal auxquels Dine accroche, comme autant de reliques, ses différents objets et outils fétiches comme les fragments de corps qui peuplaient ses travaux antérieurs. Enfin de grandes peintures d’une liberté et d’une richesse de matières aux tonalités à l’opposé des oeuvres sévères et quasi monochromes des débuts de l’artiste mettent en évidence la grande latitude et le désir toujours fécond de Dine de fabriquer des oeuvres affranchies de toute contrainte.

On l’aura compris, l’entrée de cette magnifique donation est un chapitre important du développement des collections américaines du Musée. Nous tenons à saluer ce geste et à rendre hommage à l’homme et à l’oeuvre à travers cette publication. Jim Dine s’y livre avec la volonté de raconter son parcours, sa formation et ses étapes, ses doutes et sa soif jamais étanchée de vivre son oeuvre comme une aventure de l’esprit. Que cette exposition soit aussi l’occasion de saluer Diana Michener, l’épouse de l’artiste, pour sa disponibilité et son engagement dans ce projet. Que Daniel Clarke, formidable complice quotidien de Jim Dine, trouve ici l’expression de notre reconnaissance.

Que Paul Gray, Daniel Templon et Anne-Claudie Coric soient assurés de notre sympathie.

Enfin, que Jim Dine, être généreux et passionné, peintre et sculpteur, graveur et grand poète dont on découvre l’ampleur au fil de récentes publications, sache combien son énergie et sa passion à se réinventer sont une leçon pour toutes et tous.