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“Guillaume Herbaut” Pour mémoire
à l’Arche du photojournalisme, La Grande Arche - La Défense

du 13 février au 13 mai 2018



www.lagrandearche.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, visite presse, le 15 février 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Guillaume Herbaut, Lina Hili. Son mari était comptable dans une petite entreprise de maçonnerie de Shkodra, Albanie. Le 5 octobre 1999, après avoir récupéré les salaires du mois à la banque, il a été abattu dans la rue par un homme qui lui a dérobé les 130 000 leks cachés dans sa sacoche (l’équivalent de 1 000 euros). Lina a été vengée par son beau-frère. Depuis elle craint que son fils ne soit la prochaine cible.
© Guillaume Herbaut.
2/  Guillaume Herbaut, Larissa (48 ans) est l’une des dernières habitantes de la ville de Poliske (Ukraine), située dans la zone interdite. Cette ville de 20 000 habitants a été évacuée dix ans après la catastrophe nucléaire. Aujourd’hui, une dizaine d’habitants y vivent encore.
© Guillaume Herbaut.
3/  Guillaume Herbaut, Russie - Kotovsk - Parc des Cheminots - 19 décembre 2013 - 14h39. La statue de Lénine, détruite dans la nuit du 8 au 9 décembre 2013.
© Guillaume Herbaut.

 


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Interview de Guillaume Herbaut,
par Anne-Frédérique Fer, à La Défense, le 15 février 2018, durée 14'58". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

La photographie est l’art de mourir - Michel Poivert, historien de la photographie



Légendaires actualités

Guillaume Herbaut engage la photographie dans un processus à rebours de l’actualité. Au témoignage direct sur l’événement, il superpose l’élaboration de scènes dignes de récits légendaires. Pour construire cet ambitieux projet, il s’immerge dans les temps et les espaces de la grande comme de la petite Histoire où l’humanité fait face à son destin. Gloire technologique (le nucléaire), instruments du pouvoir (les armes), souffle démocratique (révolution en Ukraine) se heurtent au péril sanitaire, à la cupidité morbide et aux affres totalitaires. Herbaut photographie la chute de l’Empire contemporain.

Le pouvoir des images est au coeur de la transformation de l’actualité en légende. Chaque grand chapitre qui s’écrit au fil de l’oeuvre de Guillaume Herbaut est une exploration des ressources esthétiques de la photographie et des références qu’elle offre après deux siècles d’existence – exploration aussi de sa capacité à imaginer le monde à partir des faits bruts.

La photographie est-elle encore capable de nous édifier ? semble interroger Herbaut. Oui, lorsque l’histoire singulière et les lieux particuliers se transforment en thèmes universels. La Zone est la figure du déclin, la Place est celle des espoirs, le sexe nu celle d’une origine du monde iconoclaste, une poitrine libre l’image d’une révolution à venir. Guillaume Herbaut ose photographier comme on écrit une tragédie. Mais la catharsis n’est pas affaire de morale, elle nous aide à visualiser nos peurs.

On lira tout au long de cette fresque photographique le récit du journal de Guillaume Herbaut. Il affirme ainsi son rôle de narrateur. Ce n’est plus alors à la tragédie que l’on pense mais au théâtre épique de Brecht, lorsque l’acteur vient nous parler en face : la parole crée cette distance qui fait observer les événements terribles qui se jouent sur la scène du monde. En accuser les travers, en pointer les impasses comme les espoirs, en exprimer la sensualité âpre et héroïque, c’est à la photographie qu’il revient aujourd’hui de représenter les événements avec le réalisme dont elle est la seule capable. Toutes les photographies de Guillaume Herbaut ressemblent à de mauvais rêves éveillés. Il y a quelque chose d’enfoui dans ses photographies qui tout d’un coup fait surface : c’est la semelle des images qui colle à vos yeux.

Peut-être est-ce cela, le stade ultime de ce que le photojournalisme a dessiné depuis le XXe siècle : un art séculier, le point de rencontre de l’imaginaire et du politique.


Tchernobyl : condamnés à l’invisible

Jadis, l’incendie ou la tempête : au répertoire des catastrophes il faut ajouter désormais l’explosion nucléaire. Rivale de ses ancêtres interprétées comme la colère des dieux, la catastrophe nucléaire a d’abord été une icône avec son champignon maléfique. Puis est venu Tchernobyl.

Et l’impossibilité de faire image de la réalité du drame, puisque la menace est invisible et infinie sur l’échelle du temps humain. Durant des années, Guillaume Herbaut s’est mis au défi de faire image de Tchernobyl. Peu de symboles ou d’allégories toutefois : remplacer l’invisible par du visible consiste avant tout à faire de la frontalité son sujet. Le face à face sera le protocole visuel capable de révéler l’ennemi invisible.

Cette frontalité dispose devant nous des rescapés, des disparus présents par leur seule photographie exhibée, des fétiches ou des spécimens. Puis des portes : emblèmes de la frontalité qui, enfin, dit ce que ce point de vue signifie à Tchernobyl. Voir les choses en face, dans le rayonnement du mal, c’est produire l’histoire des condamnés. Le condamné est le seul à pouvoir donner un visage à l’inéluctable, le condamné est un voyant privé d’horizon. Voilà ce que propose Herbaut : conjurer l’invisible par l’image des condamnés.


La zone : les bas-fonds du XXIe siècle

Ici tout devient visible. Tout saute aux yeux, comme si le danger faisait exister plus fortement. Fini le temps de la désolation, la photographie peut capter l’urgence et le désordre de la vie. Herbaut privilégie un style réaliste qui se distingue de tout naturalisme : les images forcent le trait, intensifient les situations, imposent leur rythme. Rien n’existe tel quel, le travail du photographe est dans cette capacité à épaissir le réel.

L’image du danger s’est déplacée dans la Zone. Ce n’est plus la toxicité des radiations mais l’état dégradé de l’humanité qui produit ses propres effets : les condamnés laissent place aux misérables. Dans La Zone, Herbaut amène la photographie au contact de l’imaginaire des romans russes d’un Dostoïevski. Le photographe travaille des personnes, des figures, des types. Il a trouvé avec la Zone la scène idéale pour construire son monde empreint de sentiments désoeuvrés, d’espoirs contradictoires jusqu’au grotesque.

Mais comme toujours, ce sont les espaces entre les images et la voix de son journal qui construisent un monde légendaire. Herbaut distancie toujours. Il fait penser à un metteur en scène qui aurait trouvé des lieux emblématiques où se donnent à observer les limites de l’humain. Rien à voir ici avec un essai photo qui dénonce ou même informe, rien de compassionnel dans la tradition humaniste/ humanitaire : juste les personnages pris dans l’inextricable destin de misérables.


Weapons shows : le choix des armes

Les salons professionnels de l’armement affichent, avec une ostentation proportionnelle au secret qu’ils imposent, le cynisme du monde. Guillaume Herbaut sait bien que photographier des stands au design martial ne peut que conduire à un bégaiement : montrer ce qui se donne déjà comme une image. Pourtant, derrière le pléonasme visuel, le photographe sait qu’il dévoile la partie immergée de l’iceberg. Le mal que constitue le commerce international de l’armement est ici à visage découvert. Mais quel visage lui donner ?

Celui de la mort à venir mais qui est encore notre monde de vivants : Herbaut photographie les salons d’armement comme un musée Grévin. Le déclenchement de l’appareil photo est la réponse métaphorique au bruit des armes qu’essaient généraux, conseillers stratégiques de tous les pays du monde, et que vantent les hôtesses aux charmes de déesses guerrières. Bienvenue dans le monde des puissants.

Ce travail est le contrepoint de toute l’oeuvre de Guillaume Herbaut où l’humain est perçu dans la sombre harmonie de ses souffrances et de ses désirs. Ici, le registre clinique de l’image dit bien que l’humain s’est déjà retiré, qu’il ne reste que l’impassible académie de la force. En fixant les sourires et les attitudes expertes des visiteurs, les photographies nous renvoient à cette perversion qui transforme les armes en jouets dans l’esprit de ceux qui garnissent les casernes. L’artifice appuyé par les images a la force d’un slogan. Aux puissants les images offrent un miroir déformant. L’art de la guerre ne mérite pas mieux que sa relégation au rang de foire.


Ukraine, de Maïdan au Donbass : les combattants

Les révolutions ne sont jamais écrites d’avance. Lorsqu’elles s’éternisent, le temps joue contre l’événement – peu à peu les héros s’épuisent et livrent des personnages aux destins de plus en plus incertains. Depuis des années, Guillaume Herbaut se rend en Ukraine pour y suivre les tensions entre les partisans d’un pays tourné vers l’Europe et ceux qui sont attirés par sa composante russe.

Cette lutte qui commence par l’occupation héroïque d’une place de Kiev se transforme en une guerre de tranchées dans l’est du pays : comment traduire cette installation d’un peuple dans ce qui devient aux yeux de tous une époque maudite ? Peut-être en donnant à chaque être révolté la figure d’un combattant, et le faire entrer dans la légende de l’actualité.

Comment ne pas rappeler que c’est là, à cet endroit précis du monde, au milieu du XIXe siècle, que la photographie s’est pour la première fois affrontée à la guerre ? Guerre de Crimée (1853-1856) : l’Anglais Roger Fenton avance avec son vanlaboratoire tiré par six chevaux et dans lequel il développe ses plaques de verre au collodion. Elles serviront à faire graver « d’après photographie » les premières images de presse de l’histoire.

Herbaut retrouve quelque chose d’archaïque dans la guerre du Donbass : figures taciturnes, paysages figés, atmosphère gelée. Herbaut fraternise avec ses ancêtres photographes comme les séparatistes et l’armée ukrainienne rejouent l’antique dispute de l’Europe et de l’Asie.


7/7, l’ombre des vivants : Memento mori

7/7 est un contrat que Guillaume Herbaut a passé entre la photographie et lui même : sa peur peut-elle être la raison d’une oeuvre ? Aller sur le terrain, là où opère la violence, non pour la subir ou même témoigner, mais pour en faire sa cible : une étude sur la nature de l’humanité contemporaine.

Réfléchissant ses images le crayon à la main, prenant notes et traçant ses croquis, le photographe avance étape par étape jusqu’à la réalisation de la prise de vue. Vengeance en Albanie, terreur au Mexique, blessure au Japon, traumatisme en Pologne ou bien encore hantise en Ukraine forment de longs cercles qui toujours ramènent le photographe à sa propre histoire.

Donner un visage à ce qui effraie peut-il aider à conjurer nos peurs ? Memento mori : derrière l’esthétique des vanités, les images forment ici un art de mourir.

Michel Poivert, historien de la photographie