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“L’un et l’autre” Un projet de Kader Attia & Jean-Jacques Lebel
au Palais de Tokyo, Paris

du 16 février au 13 mai 2018



www.palaisdetokyo.com

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse, le 15 février 2018.

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Légendes de gauche à droite :
1/  Portrait de Jean-Jacques Lebel. Courtesy de l’artiste.
2/  Portrait de Kader Attia. Photo : Sam Mertens
3/  Kader Attia, The Culture of Fear: An Invention of Evil, 2013. Installation, étagères en métal, livres, journaux. Courtesy de l’artiste. © ADAGP, Paris 2017.

 


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Interview de Kader Attia,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 15 février 2018, durée 14'43". © FranceFineArt.

 


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Interview de Jean-Jacques Lebel,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 15 février 2018, durée 4'46". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

« L’Un et l’Autre est un laboratoire de recherche plutôt qu’une exposition. Il est né de l’échange de nos regards, d’une alliance doublée d’une profonde amitié entre nous. Nous y présentons certains de nos travaux liés aux enjeux majeurs de notre civilisation, principalement deux installations : la première consacrée à la fabrication dans et par les médias dominants de l’Autre absolu, comme une entité à craindre, violente et belliqueuse, le Satan, le Sauvage, le Terroriste – ; la seconde consacrée à la persistance transhistorique de l’humiliation, du viol et de la torture en tant que crimes de guerre impérialiste.

En contrepoint de ces installations, nous présentons des objets énigmatiques et polysémiques que nous avons collectés ici où là, des objets chargés d’esprits invisibles à l’oeil nu, qui nous parlent à tous, nous transmettent des discours codés, et procèdent à des réparations et des détournements.

A cet ensemble hétérogène de points du vue, d’oeuvres visuelles et sonores, d’objets sans nom, de masques de visages et de ventres et de films, tous tissés les uns dans les autres, nous avons tenu à associer des plasticiens et cinéastes amis dont les démarches croisent les nôtres. Nous produisons ainsi ensemble un « agencement collectif d’énonciation » (Félix Guattari), un « montrage » sans fin qui démultiplie les regards, les horizons et les critères d’appréciation.

Ce laboratoire transculturel n’en est qu’à ses débuts. »

Kader Attia et Jean-Jacques Lebel


Avec : Marwa Arsanios, Sammy Baloji, Alex Burke, Gonçalo Mabunda, Driss Ouadahi, PEROU – Pôle d’Exploration des Ressources Urbaines



Jean-Jacques et moi par Kader Attia

« L’isolement de la pratique artistique vous conduit parfois sur les sentiers de la recherche. Du terrain aux livres, elle tisse, à la rencontre des cultures autres et de leurs objets, des échos riches et toujours différents avec notre propre histoire.

C’est autour d’une guerre, la Grande Guerre, et d’une gare, celle de Metz, que je suis tombé en fascination pour l’oeuvre de Jean- Jacques Lebel : assemblage, réassemblage et réappropriation d’objets de mort devenus objets d’art, sur le seuil de l’enfer, dont la force n’a d’égale que la fragilité du temps où ils furent créés. Avoir ressenti la profonde émotion qui émane de ces objets modestement immenses, fut le début de notre dialogue. Une conversation en mouvement dont les routes sinueuses n’ont cessé de nous transporter.

Raconter l’histoire de la rencontre de nos pensées et de notre sensibilité commune à travers les objets est apparu comme une évidence. Ces objets sont ceux que nous avons collectés, ou seulement croisés dans notre parcours, et plus particulièrement ceux qui constituent fortement notre interrogation, que ce soient des objets traditionnels appartenant à des cultures autres, des objets immatériels comme des textes, des musiques, des discours politiques, ou encore des oeuvres d’autres artistes. L’idée de notre exposition à venir au Palais de Tokyo est de donner à voir, pour la partager, notre pensée, aussi bien à travers des œuvres d’artistes, que d’objets du quotidien, et de montrer comment tout objet est avant tout chargé d’énergie, de bon sens, de poésie sans qu’on le sache.

Ce qui transpire de notre passion commune pour la rencontre des objets, c’est cette phrase qu’André Breton dit un jour à Jean-Jacques : « On ne découvre pas un objet, c’est lui qui vient à notre rencontre ». Par métaphore, l’intérêt pour ces objets divers, et la variété de leur valeur esthétique et éthique, a pour désir de reproduire nos interrogations sur la société et ses articulations. Notre exposition permettra en effet de voir la société sous l’angle concret de ce qu’elle a produit, pour le meilleur et parfois le pire...

« Les objets quotidiens nous hantent, et nous souhaitons laisser sublimer la lumière sombre qui émane de ceux que nous avons réunis. Plus ils sont simples, plus ils sont immuables, incontestables et incroyablement grands. Cuillère en bois, vieux téléphone en bois, moulin à café au manche sculpté, plateau de thé chinois du XVIIIe siècle réparé avec des agrafes, prothèse de hanche en nickel, planche à laver le linge en bois sculpté, etc. Certains de ces objets ont même été fabriqués avec un matériau inattendu, telle cette pipe à opium faite d’un obus de tranchée.

Et puis il y a les objets sacrés : religieux ou animistes, outils de rituels et livres saints, classique et modernes, masques en bois, poteau sacré, masque Dan de Côte d’Ivoire fabriqué avec le pantalon d’un tirailleur sénégalais, ou encore masque de maladie dont les dents sont faites du métal provenant d’une balle de fusil. Ces objets originellement sacrés le sont doublement aujourd’hui par la modernité qui les a érigés en traces indélébiles de l’histoire de l’humanité. Mais avaient-ils besoin de cela ? N’existaient-ils pas déjà au-delà ?

Ces objets sacrés ou profanes ont beaucoup de choses à se dire, à nous dire... Ils nous survivront, puisqu’ils seront collectés par d’autres, qui s’en iront à leur tour et d’autres viendront les aimer. Ce n’est pas nous qui collectons les objets, ce sont eux qui nous collectionnent et nous regardent passer : les objets nous regardent ! Ensemble, tentons de repenser l’oeuvre d’art sans hiérarchie, et de révéler les conflagrations sémantiques qui s’opèrent entre l’action et la représentation, entre le politique et le poétique... »



Kader et moi par Jean-Jacques Lebel

« Nos activités anthropologico-artistiques s’étaient, depuis longtemps déjà, rencontrées mais à notre insu, lorsqu’en 2012 nous avons fait personnellement connaissance à l’occasion du colloque organisé par Laurent Le Bon et Claire Garnier autour de leur exposition « 1917 », au Centre Pompidou-Metz. Sur le champ et réciproquement, nous avons été frappés par l’acuité et la profondeur des affinités électives de nos travaux respectifs et de nos trajectoires singulières hors des chemins battus des idéologies dominantes.

Notre amitié s’est forgée dans de vifs échanges d’idées puis, quatre ou cinq fois par an, par d’intenses séances de travail prolongées – en dépit de la distance géographique séparant Berlin, où il habite, de Paris où j’ai élu domicile – par l’échange d’images d’objets révélateurs collectées par l’un ou par l’autre à travers le monde. Ces transactions d’images ont évolué vers l’échange concret d’oeuvres et vers une mutualisation de nos recherches, de nos questionnements, en matière de politique, de prospection philosophique et de pratiques artistiques. La quête et le ramassage permanents qui sont les nôtres, au quotidien, ont continué à porter des fruits tangibles, d’où le projet d’une exposition commune qui a surgi spontanément au cours d’une séance de travaux pratiques. Kader a visité ma rétrospective au ZKM de Karlsruhe, j’ai visité la sienne au musée des beaux-arts de Lausanne. L’évidence d’un cheminement commun s’est imposée.

Notre projet est présenté au Palais de Tokyo dans sa complexité initiale qui relève, stricto sensu, d’un « agencement collectif d’énonciation » –  selon les termes de Félix Guattari, l’indispensable théoricien de l’invu – c’est-à-dire d’une élaboration intersubjective, d’une (co)opération productive et d’une combinatoire de matériaux, de concepts et de pratiques et d’errances débouchant sur un travail commun, égalitaire mais nullement identique et encore moins identitaire. Cette démarche a permis aux altérités d’articuler pleinement leurs pluralités sur le mode du troc et de la schize partagée. L’idée d’une œuvre spécifique pensée et réalisée ensemble, pour cette exposition au Palais de Tokyo, nous a été suggérée par Jean de Loisy, vaillant amiral d’une flottille de brise-glaces tous azimuts, envers qui nous sommes, Kader et moi, redevables dès lors qu’il nous a accordé sa confiance.

Hybrides de naissance, polyglottes par nécessité, appartenant à des générations différentes et vivant dans des pays différents, nomades par plaisir et par principe, nous avons découvert ou redécouvert ce qui fait oeuvre, instinctivement, et c’est ainsi qu’à pris forme, petit à petit, ce refus artistique d’obtempérer que nous opposons, d’un commun accord, à l’ignominie de l’actualité mondiale en cette période de sanglante régression généralisée. »