contact rubrique Agenda Culturel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

“David Goldblatt” article 2349
au Centre Pompidou, Paris

du 21 février au 13 mai 2018



www.centrepompidou.fr

 

© Anne-Frédérique Fer, présentation presse avec Karolina Ziebinska-Lewandowska et David Goldblatt, le 20 février 2018.

2349_David-Goldblatt2349_David-Goldblatt2349_David-Goldblatt
Légendes de gauche à droite :
1/  David Goldblatt, Écolier, Hillbrow, Johannesbourg, juin 1972. épreuve gélatino-argentique, 35,5 x 27,5 cm. Courtesy David Goldblatt et Goodman Gallery Johannesburg et Cape Town. © David Goldblatt.
2/  David Goldblatt, Opératrice informatique originaire de Tsumeb, en vacances à Hillbrow, mars 1973. Épreuve gelatino-argentique, 50,5 x 40,5 cm. Courtesy David Goldblatt et Goodman Gallery Johannesburg et Cape Town. © David Goldblatt.
3/  David Goldblatt, Vendeuse, Orlando West, Soweto, Johannesbourg, 1972. Épreuve numérique sur papier baryté, 28 x 28 cm. Courtesy David Goldblatt et Goodman Gallery Johannesburg et Cape Town. © David Goldblatt.

 


2349_David-Goldblatt audio
Interview de Karolina Ziebinska-Lewandowska, conservatrice au cabinet de la photographie du musée national d’art moderne et commissaire de l'exposition,
par Anne-Frédérique Fer, à Paris, le 22 février 2018, durée 17'00". © FranceFineArt.

 


extrait du communiqué de presse :

 

Commissaire : Karolina Ziebinska-Lewandowska, Conservatrice, Cabinet de la photographie, musée national d’art moderne



Le Centre Pompidou consacre, pour la première fois en France, une rétrospective de grande ampleur au photographe sud-africain David Goldblatt. L’exposition offre une traversée de l’ensemble de la production du photographe (né en 1930) et présente plus de deux cents photographies, une centaine de documents inédits - issus des archives de l’artiste -, des essais de jeunesse (comme les premières photographies qu’il prend dans les mines de Randfontein), jusqu’aux images les plus récentes. Sept films, spécialement produits par le Centre Pompidou pour l’événement, sont diffusés au fil des sections du parcours de l’exposition. David Goldblatt y commente ses photographies et invite les visiteurs à plonger dans son oeuvre fascinant, qui apprend à regarder avec un oeil conscient et analytique.

Depuis les années 1960, David Goldblatt parcourt son pays natal, l’Afrique du Sud. à travers ses photographies, il raconte son histoire, sa géographie, et ses habitants. Ses images examinent scrupuleusement l’histoire complexe de ce pays où il fut témoin de la mise en place de l’Apartheid, de son développement, puis de sa chute.

Lauréat du Hasselblad Award (2006) et du prix Henri Cartier-Bresson (2011), David Goldblatt est aujourd’hui considéré comme un des photographes majeurs du 20e siècle. L’artiste limite chaque travail personnel à un lieu particulier, dont il a une très bonne connaissance. Cette parfaite maîtrise du terrain lui permet de trouver la forme la plus juste pour exprimer toute sa complexité. Si son approche documentaire le rapproche de maîtres tels Dorothea Lange, Walker Evans, August Sander ou encore Eugène Atget, Goldblatt n’a jamais voulu adopter des protocoles photographiques existants qu’il juge trop réducteurs.

La singularité de l’art de Goldblatt réside, plus largement, dans son histoire personnelle et sa vision de la vie. Né dans une famille d’immigrés juifs lituaniens fuyant les persécutions, il est élevé dans un esprit d’égalité et de tolérance vis-à-vis des personnes d’autres cultures et d’autres religions. En témoignent ses premières photographies faites à l’âge de 14 à 18 ans - dockers, pêcheurs, ouvriers miniers. à ce respect, s’ajoutent sa curiosité et sa volonté de comprendre. C’est ce qui l’a poussé, après l’avènement de l’Apartheid, à poser son regard sur les petits agriculteurs afrikaners qu’il croisait dans la boutique de vêtements de son père. Le désaccord avec la politique raciale de l’Apartheid et les abus du gouvernement actuel sont à la source d’une longue série d’images entreprise il y a presque quarante ans, intitulée Structures. Les photographies des bâtiments et des paysages, accompagnées de légendes informatives détaillées, encouragent une réflexion sur le rapport que les formes de ces environnements entretiennent avec les valeurs sociales et politiques des individus ou des groupes sociaux qui les construisent et les habitent.

David Goldblatt répète souvent que, pour lui, la photographie n’est pas une arme et qu’il ne veut la rapprocher d’aucune propagande, même dans un but louable. Le langage photographique qu’il a privilégié est, dans la lignée de cet esprit, à la fois simple et intense.

Figure-clé de la scène photographique sud-africaine et photographe emblématique du documentaire engagé, David Goldblatt donne un espace à la personne ou au lieu photographié, exprimant ainsi leurs idées et leurs valeurs. Il entretient depuis 40 ans cette tension singulière entre les sujets, le territoire, le politique et la représentation.


Un catalogue accompagne l'exposition David Goldblatt. Structures de domination et de démocratie en coédition éditions du Centre Pompidou / Steidl et sous la direction de Karolina Ziebinska-Lewandowska.






Extrait du catalogue - La photographie en tant qu’acte de penser par Karolina Ziebinska-Lewandowska

À plusieurs reprises, David Goldblatt a affirmé que, concernant son travail, l’appareil photographique n’est pas une arme pour lui, ajoutant qu’il a compris très tôt qu’il n’était pas investi d’une mission. Ces mots prononcés publiquement, notamment lors du congrès « The Culture and Resistance » organisé en 1982, en pleine lutte civique contre l’apartheid, par les artistes et intellectuels sud-africains en exil et l’ANC (African National Congress), ont provoqué de vives réactions dans le milieu militant qui participait à l’événement. Parmi les critiques, on compta certains collègues et amis de Goldblatt, membres d’Afrapix – ce collectif et agence photographique indépendants –, pour lesquels dénoncer les dysfonctionnements et les crimes de l’apartheid à travers la photographie était un devoir. S’il soutenait leur action, Goldblatt n’était pas membre de l’Afrapix et ne partageait pas leur stratégie. Il est néanmoins considéré comme l’un des plus intransigeants détracteurs du système, et ses photographies pourraient en être la preuve. Comment, dès lors, rétablir une cohérence entre les intentions de Goldblatt et la réception de son oeuvre ? [...]

La problématique documentaire

[...] Dans l’article « Documentary Approach to Photography », écrit en 1938, Beaumont Newhall […] donne une définition du photographe documentaire : « Le photographe documentaire n’est ni un simple technicien, ni un artiste exclusivement voué à son art. Ses photographies sont souvent excellentes sur le plan technique et très artistiques, mais ce sont essentiellement des comptes rendus en images. C’est avant tout quelqu’un qui visualise. Il met en images ce qu’il sait et ce qu’il pense du sujet qui se trouve devant son appareil photo. […] Mais il ne se coupe pas de ses émotions quand il photographie ; il ne se contente pas d’illustrer les notes qu’il a prises dans les bibliothèques. Il met dans ses études photographiques une partie de l’émotion qu’il ressent à l’égard du problème, car il a conscience que c’est la manière la plus efficace d’instruire le public auquel il s’adresse. »

Cette définition s’applique parfaitement à David Goldblatt, bien que ce dernier soit en désaccord avec un point important, celui de la place accordée aux opinions et aux émotions du photographe dans sa pratique. Goldblatt cherche à les éviter, car alors l’acte photographique s’apparenterait à un jugement.

Ses photographies ne sont pas faites à des fins artistiques. Elles sont techniquement parfaites, sa connaissance du sujet y est engagée, elles apprennent quelque chose à ceux qui les regardent ; mais, bien qu’attentif et conscient, le photographe veut rester un observateur. Ceci n’implique pas pour autant qu’il soit indifférent aux sujets qu’il photographie, bien au contraire. C’est bien de cela dont parle Newhall : il ne s’agit pas de produire des photographies qui soient persuasives, encore moins propagandistes, même si elles peuvent le devenir ensuite par les jeux de l’interprétation. Il s’agit d’adopter une attitude vis-à-vis du sujet. Dans le cas de Goldblatt, cette attitude est guidée par le respect et la curiosité, mais elle reste à l’écart de la compassion, souvent associée au documentaire social.

Newhall mentionne deux autres éléments essentiels de la photographie documentaire, également très importants pour Goldblatt. Il s’agit du rôle crucial de la légende ou du texte, et par conséquent de la diffusion des photographies sous forme de livres ou d’imprimés : « La photographie est un document qui n’a de valeur que s’il est mis en rapport avec l’expérience du spectateur. Une photographie vaut parfois mieux que mille mots, mais – c’est là un paradoxe – l’ajout d’un ou deux mots la rend plus concrète et lui donne plus de force. »

[…]

À la recherche d’un équilibre parfait

Si cette généalogie nous apparaît aujourd’hui cohérente, elle n’était pas évidente à l’époque où ces figures contribuaient de manière effective à la construction de la pratique photographique de Goldblatt. Quand il cherchait la forme la plus appropriée de ses photographies, à la fin des années 1940, puis au tout début des années 1960, Goldblatt ne connaissait pas ces artistes. À l’âge de 18 ans, dans l’après-guerre, les magazines illustrés comme Look, Life et Picture Post, qui publiaient des reportages de W. Eugene Smith, Gordon Parks ou Philippe Halsman, étaient son école du regard. À ses débuts, il voulait devenir photographe de magazines et faisait en amateur des reportages sur des sujets qui peuvent surprendre compte tenu de son jeune âge : les mineurs, les dockers, les habitants des bidonvilles noirs ou les individus rencontrés dans le Johannesbourg noctambule. Il s’intéressait surtout à l’être humain pris dans sa dimension quotidienne et, à l’instar de ce qu’il découvrait dans les magazines, il se concentrait sur la recherche de situations et l’enregistrement de moments particuliers. Il réfléchissait également à la constitution d’ensembles pouvant composer des récit en images (picture stories), encore assez courantes dans les publications qu’il feuilletait alors. Dans les années 1950, quand les lois imposant l’idéologie de l’apartheid à la société sud-africaine sont mises en oeuvre, Goldblatt en photographie les premières marques dans l’espace public qui se divise – comme le montre sa série de quatre photographies de la gare de Johannesbourg. Il photographie également les premières manifestations contre les lois visant la majorité non-blanche de la société sud-africaine. L’escalade de tension provoquée par cette nouvelle situation civile lui fait prendre conscience du fait qu’il ne s’intéresse pas au rendu direct des événements politiques, mais bien plutôt à l’observation analytique, en profondeur et donc à long terme, de la source de ces événements et de leurs conséquences. C’est ainsi qu’il se tourne vers la société des agriculteurs et ouvriers afrikaners et vers l’univers des mines, facteurs majeurs des conditions dans lesquels le photographe devait vivre. Il se consacre à ces sujets au moment où il devient photographe professionnel, et c’est dans la réalisation de ces deux grands thèmes que son style se forge progressivement. [...]
Il photographie frontalement des individus dans leur environnement privé ou professionnel, mais n’essaye pas de réaliser, à la manière d’August Sander, de fresque de l’homme du XXe siècle. Il photographie inlassablement la ville de Johannesburg, mais ne développe pas de protocole de prise de vue ni d’organisation topographique à l’instar d’Eugène Atget. Il dispose d’une conscience sociologique et économique, acquise durant ses études universitaires, mais ne veut pas céder à la simplification qu’impose tout recueil statistique. Il juge la réalité trop complexe et s’installe dans cette complexité, où il trouve son rôle en tant que photographe. […]